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Que reste-t-il de Ueli ?

On se souvient souvent de la disparition comme un fait étonnamment lointain. « Cinq ans déjà ! » pourrait-on s’étonner en se souvenant de la mort de Ueli Steck, le 30 avril 2017. Ce jour là, l’alpiniste pressé trébuchait au Nuptse. 

Pourtant, je dois avouer que c’est la formule inverse qui me vient à l’esprit : « Cinq ans seulement ! ». Oui, sa chute, qui nous avait sidérés, me semble dater d’une autre époque, déjà lointaine. 

Ueli Steck, 2015. ©Ulysse Lefebvre

Lointaine mais pas forcément révolue.
On est en 2022 et d’autres alpinistes vont très vite en haute-montagne, comme Benjamin Védrines, ou encore le compatriote et concurrent de Ueli, en termes de chrono, Dani Arnold. On pense aussi à la fusée italo-polonaise, Filip Babicz.

Quelques uns encore excellent techniquement et montent la barre du haut niveau tout en conservant une pratique alpine ultra polyvalente, tel que Léo Billon.

Certains enfin perpétuent cette singularité du haut-niveau amateur, comprenez : sans avoir le diplôme de guide de haute montagne, tel que Symon Welfringer. 

Et pour ce qui est des approches éclairs, cela se joue désormais par les airs, avec l’ascension du Spantik (7027m) à la journée par Antoine Girard. Cet alpinisme hybride, Ueli l’avait pressenti, lui qui s’était mis au parapente dans ses dernières années. 

comme si le chronomètre était devenu
une composante nécessaire
mais non suffisante

Pourtant, je ne peux m’empêcher de voir une évolution des mentalités et des aspirations des alpinistes, mais aussi du public qui les observe et lit leurs récits.
La vitesse est-elle encore à la mode ? Pas sûr. 

On dirait que prendre son temps, jouer la sécurité ou profiter des moment là-haut est devenu plus attrayant. 
Quand Sean Villanueva réalise la prouesse d’un traversée de la chaine du FItz Roy, en Patagonie, il n’hésite pas à passer une ou deux nuits de plus là-haut, pour « jouer de la flûte et se reposer ».
Plus récemment, cet hiver, le public s’est enflammé pour le solo de Charles Dubouloz, perché 6 jours en face nord des Grandes Jorasses.
Les odyssées solitaires de Silvia Vidal, qui durent parfois 2 à 3 mois, bluffent les communs des mortels et leurs repères spatio-temporels.
Et que dire du regard du public sur le projet de 14 8000 de Sophie Lavaud, de plus en plus admiratif, moins par la prouesse (la première française) que par l’histoire qu’elle nous raconte, pleine de détermination et d’humilité ?

Ueli nous montre son projet pour l’automne 2013 : un certain Annapurna, face sud. ©Ulysse Lefebvre

Aujourd’hui, des gens comme Hélias Millerioux ou Kilian Jornet témoignent de la source d’inspiration qu’a représenté Ueli Steck dans leurs parcours. Mais tout laisse penser que les alpinistes ou amateurs de récits d’alpinisme cherchent aussi autre chose en montagne, comme si le chronomètre était devenu une composante nécessaire mais non suffisante.

Prenez Benjamin Védrines : lorsqu’il boucle la traversée de la Meije qu’il connait par coeur en 4h38 à l’été 2020, on le retrouve au printemps 2021 au Népal pour une ascension technique et magistrale au Chamlang. Deux salles, deux ambiances.

Ueli a marqué une époque, celle où l’alpinisme était propulsé par l’essor du trail-running et de la vitesse en montagne. Il a incarné mieux que quiconque le « fast and light ».
La question n’est pas tant de savoir si quelqu’un peut ou pourra l’égaler un jour, mais plutôt de déceler les tendances de l’alpinisme d’aujourd’hui, sa capacité de renouvellement et d’adaptation. On dirait bien que les nouvelles générations soient en train de créer un détonnant mélange de vitesse « à la Steck » et de créativité en phase avec notre époque (sobriété, temps long, économie de moyens, partage…).

Ueli est toujours là dans les esprits, mais les temps ont changé. Et chaque époque engendre ses nouveaux héros.