fbpx

La vie suspendue d’Evgeni Glazunov

Qu’on le veuille ou non, nos regards restent contraints par les frontières. Celles qui nous séparaient d’Evgeni Glazunov se comptent par dizaines et s’empilent comme autant de filtres opaques, depuis notre camp de base des Alpes françaises jusqu’aux confins de la lointaine Sibérie. Filtres d’autant plus puissants que la Russie n’est pas l’Etat le plus transparent, surtout en temps de guerre. 

Pourtant, Glazunov était l’un des meilleurs grimpeurs et alpinistes de son pays. Depuis sa ville natale de Irkoutsk, au bord du lac Baïkal, il avait été compétiteur en escalade sportive, champion en son pays, avec même le titre national de « Maître d’alpinisme », comme un certain Valery Babanov. Il rayonnait activement dans les montagnes d’Asie centrale. Avec plusieurs sommets de 7000 m à son actif, de nombreuses voies ouvertes et autant de voies très difficiles répétées, Glazunov était un alpiniste aux talents multiples, libre et parfois contestataire, réfractaire à l’intrusion de l’argent dans le monde de l’alpinisme.

Evgeni Glazunov, son humour et son goût pour les vestes d’époque. ©Coll. mountain.ru

D’après notre consœur Anna Piunova du media russe mountain.ru, Glazunov était très attaché à son indépendance, dur avec lui-même et avec ses potentiels sponsors. Les accrochages n’étaient pas rares. C’était un homme droit dans ses bottes qui ne manquait pas de courage. En montagne et ailleurs.

C’est pour échapper à différentes autorités de réglementation de la pratique en Russie qu’il se tourne progressivement vers le solo, et si possible en hiver. Ultime réalisation : la face nord de l’Aksu (5355 m, Pamir Alai) au Kirghizistan, par la voie Chaplinsky (6B, cotation russe, soit ED+ en cotation française). Après une ascension réussie qu’il a confirmée par téléphone depuis le la crête sommitale mi-février dernier, l’alpiniste de 37 ans aurait été victime d’une chute de pierres à la descente. Il lui restait quelques longueurs à descendre en rappel…

C’est en limitant sa communication
 qu’Evgeni préservait sa liberté

Peu médiatisé en Europe, voire en occident, Glazunov n’était pourtant pas le moins connu des alpinistes russes, tout comme son frère Sergueï mort au Latok en 2018. Même sur Alpine Mag, tapez Glazunov et vous ne trouverez que très peu d’informations. Ajoutez Evgeni, et vous ferez chou-blanc puisque que c’est Sergueï qui ressort. C’est en limitant sa communication qu’Evgeni préservait sa liberté. « Il était l’un des derniers romantiques de l’alpinisme » confie Anna Piunova. 

Sur la paroi de plus de mille mètres de la face nord de l’Aksu, quelques dizaines de mètres le séparaient du sol et du retour au monde d’en bas. Même si son corps a été retrouvé quelques jours plus tard, l’esprit de Evgeni Glazunov est resté là-haut, et avec lui l’occasion de rencontrer un homme libre et discret, affranchi de la plupart des liens qui nous entravent. L’air de rien.