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Premières de cordées : des lycéennes découvrent l’alpinisme hivernal

AVEC LE LYCÉE DU BUGEY ET LEAD THE CLIMB

Emma leader tout sourire à la sortie du couloir. ©Roland Vacther

Nous les avions rencontrées en septembre dernier : une prof d’EPS, un groupe de lycéennes et une motivation : aller en montagne, prendre confiance en soi, vivre ensemble de nouvelles choses. Avec les guides de Lead the Climb et le soutien de FFCAM Savoie, les jeunes du lycée du Bugey se sont à nouveau surpassées, cette fois dans les couloirs du Chien et de la Cheminée, à Chamrousse. Récit d’une nouvelle belle aventure.

Si le projet « première de cordée » réalisé l’an passé a été passionnant, il avait coûté tant d’énergie et de temps que, c’était certain, je ne ferai de la montagne que « pour moi » cette année. Et puis, il y a ces questions qui reviennent en début d’année scolaire : « Alors, quel projet cette année ? », « Madame, on recommence ? » Et puis les garçons qui se sentent un peu oubliés : « et nous alors ? »

Et surtout, ce petit goût d’inachevé. Car si nous avons fait le pari que l’apprentissage entre filles est une étape essentielle et efficace, notamment dans le gain de sentiment de compétence, notre ambition a toujours été de tendre vers une mixité harmonieuse, au sein de laquelle chacun trouve sa place, sans injonctions plus ou moins inconscientes. Pour vraiment atteindre notre objectif, il fallait donc partager ce projet avec les garçons !

Le groupe de jeunes au complet, fier de leur aventure. ©Roland Vacther

Alors, on est repartis, puisque tout le monde en avait envie ! Cette fois, on a un peu joué avec les codes : les filles, formées l’an passé et encore au lycée, ont donc invité chacune un garçon à partager leur cordée. Drôle de responsabilité ! Qui j’invite, qui je laisse de côté… Pas toujours simple d’être « celui » qui décide. Et comme les filles se sentaient capable (« mais ouiiiiiiiii ! ») et motivées, c’est vraiment dans le rôle de premières de cordée qu’elles guideront les gars !

Nous repartirons donc gravir un couloir de neige au cœur de l’hiver, avec crampons et piolets. Par sécurité (et aussi pour comparer), nous décidons de retourner à Chamrousse, dans les couloirs du Chien et de la Cheminée. Et pour que l’aventure humaine garde tout son sens, impensable de ne pas suivre notre duo trois étoiles de guides d’exceptionnelles : Begoña Lazpita Greaves et Maud Vanpoulle.

Emmy appliquée lors de la pose de ses crampons. ©Roland Vacther

Comme un petit air de déjà vu, la troupe nouvelle formule se retrouve avec bonheur sur le parking de Chamrousse pour s’équiper grâce au matériel prêter par la FFCAM de Savoie (merci sainte Anaïs !).

Les filles sont si tranquilles et efficaces. Les gars sont enthousiastes, mais le sourire est plus crispé… La peur de l’inconnu touche donc tout le monde. Le dieu de la montagne semble être de notre côté en ce magnifique jeudi de janvier. Beaucoup de neige fraîche, un soleil éblouissant, un froid sec mais sans vent, et une mer de nuages à nos pieds. La journée sera belle !

Quand, enfin, chacun est équipé de tout son matériel, que les prêts de dernière minute ont remplacé les oublis, et qu’Alexandre a retrouvé son « papier pour le ski », nous décollons en cabine tout confort vers la croix de Chamrousse. C’est alors le moment de mettre les crampons durement pré-réglés et de passer au briefing de Maud et Bego, sous les yeux curieux des skieurs.

Beaucoup de neige ce jour, mais des conditions stables. ©Roland Vacther

Les cordées sont prêtes
et les filles sont en tête

Disparue l’angoisse présente dans les yeux de Kyara l’an passé, je ne vois au pied du couloir que des regards pétillants d’envie… et de fierté ? Si les gars sont plus dubitatifs et osent avouer leur « trouille », ils suivent leur leader sans aucune hésitation. La petite séance de révision de la veille semble avoir suffit à tout le monde pour se souvenir des manips : délover les cordes, faire ses nœuds de huit, assurer… Les cordées sont prêtes, et les filles sont en tête. La neige fraîche rend chaque pas bien physique, surtout pour les premiers. On brasse, mais on avance. Corps mort, friends, lunulles, sangles autour des arbres, Begoña et Maud mettent en place de beaux relais tout au long du couloir pour que les filles progressent en toute sécurité.

On ne s’entend pas bien, on ne se voit pas toujours, mais les manips au relais se font sans erreur : « vacher », « libre », ravalage des cordes (« quasiment » sans nœud !), « bout de corde », assurage du second, « départ »… La routine se met en place et tout s’enchaîne avec des petites douches de neige fraîche régulières, distribuées par les crampons et les piolets des apprentis alpinistes. Malheur à celui qui regarde la neige tomber plutôt que de baisser la tête. Masque givré garanti !

Margot déterminée, se bagarre en tête dans le ressaut du chien. ©Roland Vacther

Manon souriante, Eliott concentré… ©Roland Vacther

Margot, Clara et Emmy complices et  heureuses d’avoir guidé leurs amis. ©Roland Vacther

Bégo ouvre la voie afin de poser les points et confectionner les relais. ©Roland Vacther

La voilà notre mixité heureuse

Loin de la neige « couic » de l’an passé, on avance plus difficilement, mais plus sereinement. Et même les crux des deux couloirs, vrais défis l’an passé, semblent être une simple formalité cette année, même en tête ! Margot et Emma encrent leurs piolets avec détermination, Clara progresse avec un calme olympien, et je sens bien qu’Emmy et Manon auraient aimé être en tête également, plutôt que de seconder Begoña et Maud. Quelle évolution par rapport à l’an passé ! C’est frappant.

Les cordées se retrouvent en haut des couloirs, en un énorme chahut de joie et de neige. Des sourires, des yeux qui brillent, des accolades, des embrassades… La voilà notre mixité heureuse. Comment permettre aux femmes de prendre leur place, sans pour autant que les hommes se sentent en faute, agressés ou seulement indifférents ? J’ai le sentiment d’avoir touché du doigt un brin de solution. Apprendre entre filles pour oser, pour prendre confiance, pour se donner le temps de se sentir capable. Puis revenir à la mixité, chargées de cette nouvelle confiance gagnée, et avec des hommes prêts à partager.

Certes, ils n’étaient que dix. Une petite goutte d’eau du colibris qui fait sa part ou acte inutile, je vous laisse juger. Mais si des financeurs se présentent, nul doute que ce projet sera reconductible et multipliable à l’envie !

Briefing par Maud et Bégo au départ de la croix. ©Roland Vacther

Les retours d’expérience

Ce que j’ai préféré dans ce projet ?

Pour Emma et Mathias ce sont « les moments de partage », tandis que pour Margot, c’est « refaire le couloir en amenant une personne, en étant première de cordée et en appliquant tout ce que j’avais appris pour assurer ma cordée » qui a été le plus marquant.

Une chose que j’ai apprise ?

« Tout peut se faire, il faut juste de la volonté », « Ne pas se poser de questions sur la capacité à réaliser des activités dites « masculines » en étant une femme », « J’ai réussi à battre ma peur du vide, j’ai aussi réussi à me surpasser »

Participer à ce projet m’a fait évoluer ?

« J’ai évolué sur ma façon de voir les sports de montagne et ma capacité à les faire », « le regard admiratif sur les femmes guides, estime des femmes et de mes amies filles… Les filles ont assuré ! » (Mathias), « très enrichissant sur le plan physique et moral. Cela nous permet de nous surpasser et de vaincre nos peurs. C’est un projet riche en émotions », « Une expérience qui nous fait grandir », « développe le dépassement, la confiance en soi et l’esprit d’équipe »

Et à propos de la mixité ?

« Lorsqu’on est avec les filles, on arrive à se faire notre propre place auprès de tout le monde et on ose. Et après, lorsqu’on amène les garçons, c’est super car on leur montre ce qu’on a appris et on partage le bonheur de faire ce sport », « les garçons n’ont pas le même sentiment que nous. Pour eux, c’était sûr à 100% qu’ils allaient y arriver, alors que nous, nous hésitions. Le fait de les guider nous a redonné confiance en nous et que nous pouvons y arriver », « c’est bien de mixer les deux car chacun apporte quelque chose à l’autre », « j’espère que je serai de ceux qui font avancer ça… Car vraiment, ça n’apporte que des bonnes choses » (Mathias)