Une prof d’EPS, onze lycéennes, une motivation : aller en montagne, prendre confiance en soi, vivre ensemble l’aventure. Un coup de main du club féminin Lead the Climb et le groupe a rebondi tout le printemps, des goulottes de Chamrousse aux glaciers de la Vanoise. Voici l’histoire d’une classe de filles, qui est passée par les rires et les larmes des journées en montagne …et qui veut y retourner. Initiatrice du projet et prof de ce lycée du Bugey, Anne Vacther nous raconte.
Vendredi 26 mai 2023, 16h, je ne peux pas retenir les larmes… Je les laisse couler, de bonheur, de fatigue, d’émotion, un mélange de tout ça… Prof d’EPS depuis 20 ans, j’en ai pourtant vécu des projets… Mais là, assise par terre, en cercle avec « mes » 11 filles, Begoñia et Maud, et nos 5 mecs accompagnateurs autorisés, je suis un peu dépassée par ce que je ressens… Je croise le regard de Bégo dont la voix tremble tout autant que la mienne…
Des images me reviennent… Une rupture des ligaments croisés qui me donne le temps de rêver à des projets… Un coup de téléphone osé à Marion Poitevin qui n’hésite même pas une seconde pour mettre sur pied en cinq minutes les bases de notre programme.
Affiliée à la FFCAM, l’association « Lead the climb » sera notre partenaire. Et puisque je peine à intéresser les garçons sur le thème de la place des femmes dans le sport, tout miser sur la formation des filles sera une nouvelle expérience ! Prendre confiance, oser, prendre des responsabilités ; la montagne sera le terreau qui permettra peut-être de tester, développer tout ça.
Marine et Kyara, lovage de corde. ©Roland Vacther
Puis la rencontre avec Begoña Lazpita Greaves ; en un repas, tout était décidé ! De l’énergie à revendre, des compétences énooormes dans un cocon d’humilité, et tout ce temps passé à chercher, imaginer les sorties parfaites pour nos filles, avec toutes les contraintes inhabituelles qu’imposent le travail avec un grand groupe scolaire. Dernière étape préparatoire, et non la moindre, la recherche de financement, de matériel, et la demande des autorisations nécessaires… Passons les détails !
En novembre, première rencontre entre les 11 filles volontaires et Begoña, pour un après-midi en falaise ; selon le niveau de chacune, découverte de la grimpe en tête, manip au relais, et manip grande voie pour les plus aguerries. Au bilan de cette première sortie, beaucoup de choses apprises, du plaisir, des sensations, et l’envie de continuer ! Et après une initiation sur le mur d’escalade, une réunion avec les parents pour parler notamment matériel, nous partons en février à l’assaut d’un couloir de neige à Chamrousse ; Maud Vanpoulle sera notre second guide de choix.
Maya dans la partie mixte du couloir. ©Roland Vacther
Petit à petit, les crampons et les piolets se plantent
plus profondément et avec plus de sérénité
L’aventure commence dès le parking. Équiper tout le monde, découvrir ce matériel inconnu : crampons, piolets, DVA, … Les selfies pleuvent. Au pied du couloir, de l’envie dans les yeux d’Ambre, de l’appréhension dans les yeux de Kyara, on commence à faire le plein d’émotions. Assurage du premier de cordée, assurage du second, point de renvoi, les filles appliquent ce qu’elles ont appris avec naturel et efficacité. Petit à petit, les crampons et les piolets se plantent plus profondément et avec plus de sérénité.
Et si l’attente est importante avec nos six cordées, le froid et la neige qui font de notre sortie une vraie hivernale, la bonne humeur reste au rendez-vous et nous progressons aisément. Un réverso oublié, un mousqueton coincé, un petit ressaut final viendront mettre un peu de piment, et accélérer le rythme cardiaque !
Et autour du chocolat chaud, les yeux brillent, les sourires s’étirent jusqu’aux oreilles pour rapporter « sa pépite » et « son rateau » de la journée, pour le débrief organisé par Begoña et Maud. Ne ressort que du positif et de l’envie… On continue.
En avril, nous sommes dans la frustrante obligation de reporter notre sortie rocher pour cause d’affreuse météo, mais nous avons la joie d’accueillir Marion Poitevin, et le festival Femmes en montagne, présenté par Marie Janin. Encore des rencontres d’exception, des femmes aux choix et aux parcours hors du commun, inspirantes, pour les 70 élèves présents, filles et garçons.
Planter des petites graines
pour faire avancer l’égalité hommes-femmes
Place des femmes dans le sport, mixité, non mixité, bonne mixité, tant de thèmes abordés pour faire réfléchir, conscientiser, et nous l’espérons, planter des petites graines pour faire avancer l’égalité hommes-femmes vers une plus belle harmonie.
Notre projet se clôture donc au mois de mai, avec trois journées de suite en forme d’apothéose. Une sortie rocher suivie de deux journées de rando glacière, avec nuit en refuge non gardé… Anneaux de buste, assurage corde tendue, pose de protections, cabestans, demi-cabestans, les filles continuent leur apprentissage, avec quelques passages où le vide doit aussi être apprivoisé. Avec pour bouquet final un rappel de 60 mètres en fil d’araignée ! De vraies limites à dépasser pour certaines, et une expérience inoubliable pour toutes.
Cordée de Maud dans le final de la Réchasse, composée d’Emmy, Clara et Margot. ©Roland Vacther
Et enfin, direction Pralognan, avec pour objectif d’emmener tout le groupe au sommet de la pointe de la Réchasse. Sur le parking des Fontanettes, nous sommes prêts pour ces deux jours hors du temps. Et c’est parti pour le grand chantier de la confection des sacs ! Tout doit rentrer, rien ne doit être oublié, et rien d’inutile ne doit être emporté… De gros dilemmes : paquet de bonbons, saucissons ; cela fait-il partie des choses indispensables ?
La soirée en refuge sera un vrai temps fort de cette aventure. Faire fondre la neige, partager la salle commune et le dortoir avec d’autres alpinistes bien surpris, préparer la course du lendemain (itinéraire, horaires, matériel…), se régaler avec un repas lyophilisé, et faire des selfies au coucher du soleil.
Alors qu’on n’y croyait pas vraiment, tout le groupe est bel et bien au départ à 5h du matin, en 30 minutes efficaces !
Moment magique de fin de nuit, avec cette impression de vivre un moment unique. Seuls le bruit des crampons qui accrochent bien sur la neige gelée. Puis, à mesure que nos frontales s’éteignent et que le jour pointe, nous enfonçons de plus en plus souvent. Nous lâchons les crampons pour les raquettes, qui avaient pris tant de place sur nos sacs mais que nous ne regretterons pas ! Et nous avançons tranquillement sous un soleil magnifique, alternant la place de première de cordée sur le glacier.
Le rythme devient difficile à tenir pour certaines ; devons-nous faire demi-tour, nous séparer, continuer encore ? Encouragements, aide rapprochée de Begoña, nous arriverons tous au sommet… Instant parfait !
Les filles râlent, transpirent, sont exténuées, mais on avance
Comme le disent tous les guides, la course commence à la redescente… Quelle vérité pour nous ! Une redescente au cours de laquelle chaque pas s’enfonce d’1 mètre dans de la neige molle et collante. Un supplice physique… Les filles râlent, transpirent, sont exténuées, mais on avance, à quatre pattes, à plat ventre, sur les fesses, toutes les méthodes sont essayées ! On est même souvent obligé de creuser pour délivrer une raquette bloquée sous 1 mètre de neige…
16 heures, au bout de l’effort pour beaucoup, au-delà des limites connues pour d’autres, nous voilà donc toutes et tous assis en tailleur, en cercle, pour un dernier débrief de la journée et du projet. Quelques mots choisis parmi tout ce qui a été dit et ressenti dans ce moment intense.
Les filles s’expriment
En émotions : « Beaucoup de peur et d’amusement, les émotions ne peuvent pas être décrites. C’était incroyable ! », « Adrénaline, un peu de stress mais beaucoup de joie, de satisfaction personnelle, de bonheur ! »
Sur l’enseignement : « Le dépassement, la confiance en soi et tout le monde est capable de le faire », « Prise de conscience, dépassement, courage » « Ne jamais lâcher et garder son objectif toujours en tête pour y arriver », « Ne jamais abandonner ces projets »
Leur état d’esprit : « Le dépassement, je n’aurais jamais pensée pouvoir le faire donc gros plus dans la confiance en soi », « Le dépassement de soi pour surmonter ses peurs »
Sur le fait d’être seulement entre filles ? : « Être entre filles ne me dérange pas, car on se comprend. On s’encourage. Alors que si des garçons étaient présents, les filles se seraient senties pas à leur place et pas capable de surmonter ses épreuves. » « Le fait de n’être qu’entre filles a été une très bonne expérience. Nous étions toutes sur un même pieds d’égalité, sans aucune rivalité. Nous étions complices et il y avait un très bon esprit de groupe qui nous tirait vers le haut. Cependant, je pense que ce projet aurait été certes différent, mais toujours réussi et convivial avec des garçons. », « J’ai aimé être entourée que de filles, on était toutes très proches les unes des autres, très bonne cohésion. Mais être avec des garçons pourrait être fun, à certains moments être qu’avec des filles entraîne une sorte de « compétition ». »
Sur l’envie de refaire de la montagne, intérêt à reproduire un tel projet : « Ouiiiiii !!! »