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Inoxtag, l’Everest et nous

C’est une étrange vidéo d’adieu qu’a posté Inoxtag, le youtubeur aux 7.5 millions d’abonnés qui vient de partir au Népal pour gravir l’Everest. Postée le 6 avril dernier, « Au revoir Youtube… » affiche déjà 5 millions de vues. Inoxtag y retrace en introduction sa propre ascension, de sa chambre d’ado où à douze ans il postait des vidéos de Fornite, jusqu’à il y a un an, quand il a annoncé vouloir « monter l’Everest », ce qu’il a appelé le « Projet d’une vie ». La vidéo fait presque testament, d’autant plus fascinant qu’un youtubeur y annonce renoncer à Youtube « pendant un moment », peut-être un mois et demi.

À 22 ans, Inès Benazzouz, de son vrai nom, raconte qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour se préparer. S’entraîner, et bien s’entourer. Le premier reproche fait aux prétendants de l’Everest est de se pointer au camp de base en n’étant ni alpiniste, ni familier avec le cramponnage. Inox s’est attaché les services de Mathis Dumas, jeune guide et photographe talentueux. Précisons : ce dernier n’était pas très motivé au départ. « L’Everest, c’était pas quelque chose qui m’emballait » dit-il. Puis il découvre que son client veut vraiment s’impliquer. « Mon challenge à moi c’était de lui faire aimer la montagne, découvrir des choses comme l’escalade. »

Mois après mois, le guide et son client crapahutent en montagne. Inox apprend les codes. Le langage, l’encordement. Il a  même bivouaqué en portaledge sur une falaise du Vercors, ou tâté de la glace sur la tour de Champagny. Avec le mont Blanc en ligne de mire, ils font le premier 4000 d’Inox, la Dent du Géant. Il gravissent le Toit de l’Europe l’été dernier, de même que le Cervin. La vidéo du mont Blanc d’Inox dépasse les 7 millions de vues. La vidéo de Mathis expliquant son job, 800000 vues.

Mon challenge c’était de lui faire aimer la montagne, dit Mathis Dumas.

Même préparé, même encadré par un guide dûment diplômé, Inoxtag suscite des doutes, des railleries. Le photographe Pascal Tournaire, qui en 1986 a tenté l’Everest versant nord, jusqu’à 8600 mètres, sans oxygène, tape sur Inox : « Si on a du pognon, de l’oxygène à profusion, ça ne rime à rien, autant prendre l’hélico ». Pourtant lui-même se trouva sur la voie normale népalaise quatre ans plus tard, pour prendre en photo la première femme française à gravir l’Everest : Christine Janin, et son masque à oxygène. Contradiction ?

Marc Batard, lui, s’entête à ouvrir une variante de la voie népalaise à l’Everest. Il tente de clasher Inoxtag sur les réseaux, lui reprochant de « pertuber le milieu de la montagne » : le « sprinteur de l’Everest », auteur de l’époustouflant record d’ascension de l’Everest en 22h29, en 1988, aimerait, dit-il, avoir une fraction du budget d’Inoxtag pour son projet de voie alternative pour éviter les séracs et les drames récurrents qui s’y déroulent *. L’impression qui se dégage de tout cela ? Des boomers qui semblent oublier que l’Everest leur a beaucoup apporté, à eux aussi.

Certains détracteurs d’Inoxtag semblent oublier que l’Everest leur a beaucoup apporté

Alors oui, Inox aurait pu choisir un autre sommet, un autre 8000. Mais le grand public connaît-il un autre 8000 ? Il aurait pu, avec Mathis, choisir un autre 6000 que l’Ama Dablam, 6812 m, gravi l’automne dernier pour checker sa résistance à l’altitude. Transparent, Mathis Dumas explique la stratégie pour l’Everest : l’oxygène en bouteille permet de « descendre de 2000 mètres ». Donc si tu tiens debout au sommet de l’Ama Dablam, tu es bon pour l’Everest, CQFD.

Dans ce monde  qui se jauge en chiffres et en followers, il n’y a rien d’étrange à ce que l’une des stars du web se fixe l’Everest comme objectif. Non, le plus étrange est qu’il ait voulu apprendre plutôt que consommer. Qu’une star du web ou de la téléralité parle de haute montagne, malgré tout. Qu’il ait compris que même avec force sherpas (au moins trois) et moult bouteilles d’O2, il faut quand même se bouger de son canap’ pour faire l’Everest. Alors oui, il n’y a pas grand chose de commun entre un Valery Babanov, qui à 59 ans va tenter l’Everest sans oxygène, et Inoxtag et son budget XL : sauf l’Everest, bien sûr. Sauf notre propre fascination pour le Toit du monde, portée au pinacle par les réseaux sociaux, et d’habiles businessmen népalais. Alors oui,  entre un temple bouddhiste et le bazar de Katmandou, peut-être qu’un détour dans la campagne népalaise lui fera voir un autre morceau de notre planète.

« Inoxtag rentre dans la zone de la Mort. Va-t-il en sortir ? » s’interroge un youtubeur. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

* Par téléphone, avant de prendre son avion pour Kathmandou, Marc Batard tient à dire que la mise en avant de l’ascension par Inoxtag participe au « business toujours plus important autour de l’Everest». Il précise qu’il « n’est pas jaloux » d’Inoxtag et lui souhaite de « réussir ».