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Alpinisme : magnifiques premières sur l’Ushba le Cervin du Caucase et sur l’Ailama

Au sommet de l'Ushba ©Archil Badriashvili

C’est une cordée qui s’est brillamment fait remarquer en 2019 : Archil Badriashvili et Giorgi Tepnadze ont gravi le Nanga Parbat au printemps, les deux alpinistes géorgiens ont réussi les belles premières ascensions des Pangpoche au Népal à l’automne. En 2020, crise sanitaire oblige, la cordée – augmentée de Levan Lashkarashvili pour l’Ushba – a frappé fort, à domicile : en Svanétie, avec une première en face nord-ouest de l’Ushba 4710 m en cinq jours (ED+) et sur l’impressionnant et totalement méconnu Ailama 4560 m. avec une première en face sud-ouest (ED). Le Caucase reste une valeur sûre, autant pour ses sommets que pour ses alpinistes. Récit d’Archil Badriashvili.

L‘Ushba est un sommet iconique du Caucase, à la silhouette célèbre avec des deux pics, nord et sud, situé en Svanétie, province de Géorgie. Une fois que vous avez vu en photo ce sommet double, ou lu les histoires et les légendes qui l’entourent, vous vous souviendrez longtemps de cette montagne. Mais ces impressions changent quand vous regardez avec vos propres yeux le granit vertical qui jaillit littéralement de la base au sommet de cette impressionnante montagne.

Les Géorgiens ont été les premiers alpinistes à avoir fait les premières ascensions de l’Ushba à l’époque de l’occupation soviétique. Depuis lors, la région est devenue un aimant chaque année pour les meilleurs alpinistes de tous les coins de l’empire soviétique. Ceux-ci se précipitaient vers l’Ushba pour faire de leur mieux. C’est donc devenu un symbole de l’alpinisme soviétique.

Les voies devenaient de plus en plus difficiles sur ces versants parmi les plus raides du Caucase. C’est pourquoi il est si difficile, aujourd’hui, de trouver un nouvel itinéraire sur l’Ushba. L’Ushba est une médaille à deux faces : aucune montagne n’a une telle réputation de danger comme celle-ci. Il n’y a pas vraiment de voie facile pour y monter ou en descendre. Pas mal d’expéditions ont échoué, et des vies ont été perdues sur ce beau sommet.

Les sommets sud et nord de l’Ushba. La nouvelle voie sur la face nord-ouest se trouve sur l’autre versant. DR

Après avoir escaladé les deux sommets de l’Ushba par cinq voies différentes, j’ai imaginé réaliser un vieux rêve. En juillet dernier, mon ami et partenaire d’escalade Giorgi Tepnadze et moi-même avons gravi la face ouest et une fois de plus nous avons examiné l’idée d’escalader la face nord-ouest par une nouvelle voie. En septembre, nous sommes revenus en Svanétie. Tout d’abord, nous nous sommes rendus à l’Ailama 4560 m, une grande montagne complètement oubliée du Caucase. Avec Levan Lashkarashvili nous avons réussi le sommet par une nouvelle voie directe dans la face sud-ouest. Un itinéraire vraiment sauvage, avec une descente compliquée. 

Après nous être reposé quelques jours, Giorgi et moi avons été rejoints par mon père, un alpiniste expérimenté et un vrai rebelle puisqu’il a été l’un des rares à faire des activités interdites à l’époque soviétique comme des solos et des ascensions sans autorisation officielle. Lui et notre ami Gezi, célèbre guide et personnalité géorgienne sont venus nous soutenir en Svanétie en restant au camp de base pendant notre ascension. Un bel esprit d’équipe qui nous a aidés !

Ailama, 4560 m, nouvelle voie en face SO ©Archil Badriashvili

La face nord-ouest du sommet sud de l’Ushba avait déjà deux lignes existantes, sur les côtés droit et gauche de la face. Au centre un mur surplombant restait non gravi. L’itinéraire à l’extrême gauche de la face N-O., appelé Artishevsky a demandé plus de 14 jours à l’ouverture. Quant à l’itinéraire sur le côté droit, Grigorenko-Prigoda, il fallut 12 jours. L’équipe d’Artishevsky a reçu la médaille d’argent soviétique en 71 pour cette ascension, et pour Grigorenko-PrigodaPrigoda la médaille d’or au championnat d’URSS en classe technique. Avec Giorgi nous avons réussi la quatrième ascension connue de la voie Grigorenko-Prigoda, pour la première fois en style alpin, avec une nouvelle variante sur 4 jours, plus la traversée des deux sommets. Pour cette ascension Giorgi et moi-même avons reçu le Piolet d’Or géorgien en 2015. Nous savions que la paroi serait beaucoup plus difficile au centre que la voie réussie en 2015. Mais cette nouvelle voie nous tentait trop pour ne pas l’essayer.

L’escalade mixte libre/artif sur l’Ushba, à 4500m d’altitude. ©Archil Badriashvili

Le premier jour nous sommes partis de l’atitude 2800 m. Au soir du deuxième jour, à environ 4300 mètres, nous avons commencé à escalader la paroi en surplomb. Des longueurs en escalade artificielle délicate, des fissures minuscules et des sections dangereuses. Le quatrième jour, nous avons coupé le chemin de la retraite vers notre petite vire au pied du surplomb : il n’y avait plus qu’à sortir vers le haut. Nous avons fait de notre mieux en grimpant pendant vingt heures d’affilée sur les deux dernières longueurs. A une heure du matin, gelé et engourdi à force d’être suspendu dans un baudrier pendant si longtemps, j’ai entendu Giorgi crier joyeusement dans l’obscurité :

– nous sommes au sommet du mur !

Le lendemain, jour du sommet, les chaussures de Gio étaient tellement usées qu’il ne pouvait plus utiliser de crampons dessus, alors nous avons grimpé très prudemment directement en mixte jusqu’au sommet et y avons célébré notre voie sous un soleil radieux.

La descente fut une autre histoire, mais soyons bref : elle nous a pris sept heures par la voie Gabrieli, sur l’autre versant de l’Ushba. Après avoir été un peu perdus sur les sentiers, nous nous sommes retrouvés fatigués à minuit dans le village. Mon père, Gezi et mes amis nous attendaient avec un verre de vin géorgien et tout ce dont vous avez besoin après une telle expérience.

Tout le monde, svanétiens et géorgiens étaient heureux d’apprendre la nouvelle et ne nous ont pas laissés nous reposer sans fêter l’ascension comme il se doit.

Cette année semble finalement très productive pour les alpinistes géorgiens. Nos amis et la nouvelle génération ont fait de leur mieux  en réussissant de belles répétitions de voies difficiles, ou des classiques en haute montagne. Félicitations à tous ceux, dans le monde entier, qui malgré cette année étrange, ont atteint des objectifs personnels ou sont simplement restés forts.

Plein gaz sur l’Ushba. © Badriashvili

Archil et Gio, heureux au sommet de l’Ushba. © Badriashvili

Ushba, directe N-O. septembre 2020. © Badriashvili

Ailama, 4560 m, nouvelle voie en face SO. © Badriashvili

Ailama 4560 m (ou 4547)

Face SW, nouvelle voie

2000 m, dont supérieur 850 m (partie supérieure) nouveaux

ED / 5B cotation russe ; descente par l’arête ouest, deux bivouacs

Archil Badriashvili, Giorgi Tepnadze, Levan Lashkarashvili.

Ushba 4710 m (Sommet Sud)

Directe en face nord-ouest, nouvel itinéraire

1700 m, ED+; 6A / B cotation russe / UIAA VI / VII et A4

Du 10 au 14 septembre,  descente par face SE.

Archil Badriashvili ; Giorgi Tepnadze.