Giorgi Tepnadze, Baqar Gelashvili et Archil Badriashvili ont frappé fort. Après le Nanga Parbat au printemps*, les trois alpinistes géorgiens ont réussi les deux premières ascensions convoitées des Pangpoche II (6 504 m) et le Pangpoche I (6 620 m) dans la région du Manaslu pendant l’automne 2019 au Népal. Des sommets jumeaux exigeant chaque fois plusieurs jours perchés en pleine paroi. Côtées chacune ED, les proportions de ces nouvelles voies sont gigantesques : 2300 m d’escalade pour la moins longue, tout en style alpin ! Comment s’attaque-t-on à si gros morceau ? Archil Badriashvili raconte, en exclusivité, ces brillantes ascensions.
L‘idée de l’expédition en cours était présente dans nos esprits depuis 2017, lorsque notre trio a visité l’Himalaya pendant une expédition indépendante. Durant cette première expé, et alors que nous réalisons la première ascension du Larkya Main (6 425 m), nous assistons à des couchers de soleil mythiques sur des montagnes fantastiques. Nous voilà présentés aux frères Pangpoche.
Échauffement au Nanga Parbat
Cette année, Giorgi et moi avons grimpé le Nanga Parbat (8 126 m) et avons réalisé la deuxième ascension de la variante Sadpar dans la voie Kinshoffer. Nous avions déjà tenté cette voie à deux l’automne dernier. On avait choisi à ce moment là de s’acclimater sur la voie Kinshoffer. C’était un effort intense, alors que nous étions totalement seuls sur la montagne. Après avoir atteint l’altitude de 7 300 m environ deux semaines après notre arrivée, le mauvais temps et notre acclimatation insuffisante nous ont forcés à nous replier pour préparer un troisième assaut, qui n’est jamais arrivée en raison des rudes conditions hivernales.
En mai 2019, nous revenons en duo dans le Karakoram. Nous sommes la première expédition sur la montagne après la tragédie de l’hiver et le secours d’Elisabeth Revol. Le travail et la préparation des cordes sur chaque partie technique de la route reposait sur nos épaules et c’est donc sans beaucoup d’aide que nous avons réussi à atteindre 7 200 m d’altitude. Au cours des trois jours de summit push, le 3 Juillet pour notre part, nous étions 14 à atteindre le sommet du Nanga Parbat et à réaliser la deuxième ascension de la variante Sadpara sur la voie Kinshoffer. Neuf d’entre nous ont atteint le sommet le même jour sans oxygène. Il y eut encore une autre fenêtre météo pour atteindre le sommet à cette période puis toutes les expéditions durent partir des flancs de la montagne. De retour à la maison, nous nous sommes remis à guider et grimper dans le Caucase.
Peu de temps après, avec l’aide matérielle de notre fédération (Fédération Unie des Alpinistes Géorgiens) et de quelques autres sponsors, nous réussissons à organiser une autre expédition dans l’Himalaya ! En nous inspirant de l’expédition géorgienne du Manaslu, nous avons choisi d’explorer quelque chose de nouveau et de techniquement exigeant.
La seule information sur le Pangpoche I que nous possédions était tirée d’images prises par des randonneurs et de séquences filmées. Il y a eu une tentative japonaise en 2009, qui a donné lieu à un très court reportage sur la montagne. Les lignes d’ascension possibles étaient sur la face ouest, les crêtes ouest et nord. Le Pangpoche II était alors un mystère total pour nous, la seule ligne directe évidente que nous pouvions repérer était une arête orientée Sud-Ouest. Cela signifiait que nous devions nous attendre à des phases d’intenses prises de décisions sur le terrain, pour improviser et nous adapter au imprévus que nous allions forcément rencontrer.
3 Géorgiens pour 2 sommets
Le 10 septembre, nous voilà donc tous les trois arrivés au Népal. C’est à cet instant que nous entendons parler de l’expédition italo-suisse qui nous précédait. Leur plan était aussi de tenter le Pangpoche I après avoir tenté d’atteindre le sommet du Manaslu (8 156 m) en y établissant un record de vitesse en plus.
Après quatre jours de randonnée, nous sommes arrivés au village de Samagaon. Quelques jours plus tard, nous établissons un camp au début de la crête au sud-ouest de Pangpoche II, à 3880 m. C’est là que commence réellement notre ascension.
Le premier jour, nous partons avec des sacs légers, ne transportant que du matériel de base et des provisions pour trois jours. Ce jour-là, nous voyons pour la première fois l’étroite arête sud-ouest et nous pouvons apprécier la raideur de la face devant nous. Ensuite, lorsque nous sommes passés sur la crête rocheuse et enneigée, la tension augmente d’un cran : le rocher semble extrêmement peu compact, avec des bords tranchants et difficile à protéger. Nous réussissons pourtant à grimper sur l’arête en solo et en simultané jusqu’à trouver un emplacement de bivouac à 5 780 m, après 12 heures de montée et 1900 m de dénivelé depuis notre camp.
Le deuxième jour, continuer sur la crête sud-ouest nous semble trop dangereux et compliqué. Nous avons essayé de regarder la face sud-ouest, plus à droite, mais le mauvais temps qui arrivait nous a contraint à renoncer à cette option… pour le moment en tout cas. Nous nous sommes concertés et sommes tombés d’accord que ce cheminement était notre seule chance d’atteindre le sommet. Le troisième jour s’annonçait déjà intense.
Un à un, nous montons sur le sommet, puis nous nous asseyons pendant une heure pour applaudir les montagnes, notre patrie, nos amis et nos familles avec du cognac français.
Dans les longueurs raides en neige, avec la météo incertaine, sur le Pangpoche I. ©Archil Badriashvili
Au matin du troisième jour, le 22 septembre, le temps est encore à la neige. Nous rassemblons tout de même notre équipement, et traversons à droite, un peu plus bas, là où nous avions laissé la plupart de nos affaires. Nous nous dirigions vers l’étroite face Sud-Ouest en forme de V. En dessous de 80 degrés de pente, la neige recouvre légèrement les rochers. Impossible de protéger ici, alors nous continuons notre progression à fond de train pour éviter autant que possible les dangers objectifs et la fonte des neiges qui pourrait libérer glaces et rochers. Un système de cascades de neige très raides et une très longue et épuisante section de neige profonde à 55/60 degrés nous conduisent directement au sommet de Pangpoche II à 6 504 m. Le soleil a commencé à disparaître comme par magie, derrière « notre » Larkya Main que j’ai mentionné précédemment. Le panorama est magnifique, mais nous devons partir dans une demi-heure, en solo et en rappel, à pas nerveux dans l’obscurité, suspendus sur une pente de neige raide de 900 m de haut. Notre arrivons enfin à notre emplacement de bivouac que nous montons à la hâte.
Le quatrième jour, le ciel est dégagé et optimiste. Nous décidons de descendre dans l’inconnu le plus logique qui s’offre à nous, directement dans le couloir. Nous désescaladons les sections dangereuses et techniques et dans l’après-midi, nous retrouvons notre cuisinier et son fils dans notre petit camp où nous célébrons ce premier sommet avec du vin blanc géorgien.
L’arête aïgue du Pangpoche I.
©Archil Badriashvili
Pangboche I, le retour
De nouveau, des sessions de neige de quatre jours sans interruption nous forcent à nous concentrer sur la crête nord du Pangpoche I, que nous pensons moins dangereuse. Cela nécessite un long trajet avec tout notre équipement d’expédition dans une autre vallée, près du village de Samdo. Très près de la frontière avec le Tibet, à 4 300 m d’altitude, nous installons notre nouveau camp de base dans un endroit pour le moins parfait. Pour les quatre prochains jours, encore une fois, nous devrons pourtant voyager uniquement avec notre esprit alors que la pluie et la neige tombent sans trêve. Cet épisode humide terminé, nous décidons de prendre un minimum d’équipement et de provision pour cinq jours. Nous étions sûrs d’une chose à propos de notre itinéraire : une longue arête pointue autour de 6500, qui constituait le crux. Pour cela, nous devions être préparés tactiquement et bien équipés, tout en grimpant dans une météo extrêmement instable.
Le 30 septembre, nous nous lançons dans notre ascension à vue. En évitant la dangereuse partie inférieure du glacier Sonam, nous empruntons un raccourci direct vers la crête nord et campons sur la selle, à 5 580 m. Le lendemain, en plein vent et dans les chutes de neige, nous arrivons à 5 860 m et installons le camps là.
Le troisième jour s’est révélé plus compliqué que prévu. Il nous fallait trouver un moyen sûr de traverser des faces enneigées jusqu’à une crête menant à la pointe acérée qui culmine à 6 330 m. Dans l’après-midi, nous avons aperçu le sommet loin au sud. À partir de cet instant, nous étions prêts à parcourir une longue distance en aller-retour pour nous frayer un chemin jusqu’à lui !
Dans la matinée du 3 octobre, le ciel est dégagé pour le summit push et les températures sont tombées au point de nous geler les pieds.
Nous adoptons un rythme aussi rapide que possible en raison du froid et des longues distances qu’il nous reste à parcourir. Nous réussissons à gravir des crêtes étroites bordées de corniches et de longues pentes, hors d’haleine à force de faire la trace. En 5 heures, nous atteignons le crux à 6 520 m. Le temps a commencé à se détériorer, et si nous avons maintenant une bonne vue sur le Manaslu, nous ne pouvons pas bien voir notre chemin vers le sommet. La crête tranchante semble très exposée, raide sur les côtés, rocheuse ou très cornichée. Absolument aucun endroit pour se protéger donc. La seule option reste de sauter des différents côtés de la crête en cas de chute : un assurage désaramant de simplicité !
Au sommet du Pangpoche II. ©Archil Badriashvili
Et de un … et de deux : doublette réussie ! ©Archil Badriashvili
Sur l’arête du Pangpoche I. ©Archil Badriashvili
Il nous aura fallu encore trois heures pour traverser la crête et creuser dans des pentes de 60 à 70 degrés. Finalement, le plus haut point est atteint! À 14 heures, chacun de nous gravit un à un le sommet de Pangpoche I (6 620 m), où nous nous sommes assis pendant une heure pour applaudir les montagnes, notre patrie, nos amis et nos familles avec du cognac français. Après cela, même le ciel a commencé à se dégager et la descente a même été un agréable voyage. Nous avons atteint le campement avant que la nuit ne tombe et nous avons rampé sous notre tente, fatigués mais heureux.
Le lendemain, après 2000 m de descente au camp de base, nous nous sommes allongés sur l’herbe le midi du cinquième jour, profitant des montagnes qui se dressaient à nouveau au-dessus de nous. Quel voyage difficile et dangereux, puis quelle quiétude une fois le ciel bleu et chaud autour de nous. Mieux vaut tard que jamais ! L’esprit géorgien reste un peu sur place en attendant le début du voyage de retour chez lui. Que peut-il être de meilleur ?
*comme indiqué dans le texte, Archil Badriashvili et Giorgi Tepnadze ont gravi le Nanga Parbat au printemps, mais sans leur compagnon Baqar.
Pangpoche II 6504 m. Arête et face Sud-Ouest.
Première ascension.
2600 m depuis le Camps de Base.
ED 80°, 3 jours, style alpin.
Pangpoche I 6620 m. Arête Nord
Première ascension.
2300 m depuis le Camps de Base.
ED 70°, 4 jours, style alpin.