C’est « son quatrième pèlerinage« , dit-il, « à la Mecque du ski-alpinisme« . Avec son coéquipier Johann Baujard, Thomas Pueyo a passé quatre jours à tourner autour d’Arêches, « entre joie et souffrance« , pour finir à une belle 17ème place. Voici le récit intime de Thomas, coureur par ailleurs journaliste régulier pour Alpine Mag, de retour d’une course qui célèbre « la magnificence du ski-alpinisme et de l’esprit de cordée« . En toute subjectivité bien sûr !
Les skis sont posés sur l’extrême gauche de la ligne de départ. « C’est mon côté porte bonheur », souffle Mathéo Jacquemoud à son coéquipier, Samuel Equy, à deux mètres de moi. La Ballade des gens heureux résonne, jouée par un accordéoniste sous les haut-parleurs. Des effluves de fumier épicent l’air qui descend d’une étable jouxtant le départ. La fête du ski alpinisme va commencer. Comme une fête de village, sauf que l’ivresse vient de l’effort. Dans l’attente du start, je repense à toutes ces heures sur les skis, à pied, à vélo, accumulées pour donner le meilleur de soi-même à cet instant précis. Mes muscles se tendent, le buste penché sur les bâtons.
Premier jour. La fête du ski alpinisme va commencer. Comme une fête de village, sauf que l’ivresse vient de l’effort.
Deuxième jour, l’étape marathon.
Plus rien d’autre n’existe que le talon des skis de mon coéquipier.
Rassurez-vous, les montagnes russes de la Pierr’ réservent aussi des moments de grâce, lorsque l’osmose de la cordée cadence les deux coéquipiers sur la même vitesse, la même détermination. Les deux paires de skis se confondent et les conversions s’enchainent avec fluidité. Les manip’ ne souffrent d’aucun accroc. On se prend même à savourer la beauté des cimes blanches du Beaufortain. Mais ce genre d’harmonie est précaire.
Descentes façon derby
« Put*** de m**de, fait chi*** ! ». Un de mes crampons vient de s’enlever après avoir buté contre un rocher, au beau milieu de la mythique arête du Grand Mont. Le douloureux effort fourni auparavant pour dépasser une équipe devient vite évanescent. Les secondes chèrement grappillées s’évaporent, le temps de remettre le crampon récalcitrant dans une flopée d’injures. On arrive au coude à coude à l’ultime déphoquage. J’enlève dans un cliquetis mes crampons. Les peaux sont bourrées à la va-vite dans la combinaison. Pupilles dilatées, death metal dans la tête, le derby démarre.
Mes spatules tremblent dans toutes les sens et mes jambes évaluent les vibrations à 1000 sur l’échelle de Richter. Devant moi, Johann est comme un pantin désarticulé pour absorber les aspérités de la neige.
Mes spatules tremblent dans toutes les sens et mes jambes évaluent les vibrations à 1000 sur l’échelle de Richter. Devant moi, Johann est comme un pantin désarticulé pour absorber les aspérités de la neige. Une neige dure et trafolée qui transforme les cuisses en tokamak de lactique. Tout arrêt est interdit par la convention tacite de l’équipe. Seule des plaintes gutturales évacuent la douleur. Descendre à tombeau ouvert avec des allumettes aux pieds est une expérience de vie. La Pierra Menta, généreuse, en offre des dizaines. Un skieur de l’équipe devant nous chute dans un nuage de neige. Les carres crissent dans le boardercross entre les sapins puis arrive la ligne d’arrivée de la délivrance. Gratitude pour le coéquipier, tape dans la main et débrief. Plus qu’une étape.
Le coéquipier de Thomas, Johann Baujard, qui file sous les vivats ©JC
Cet ultime jour, la fatigue comme la joie atteignent leur paroxysme quand nous abordons le col de la Forclaz, l’endroit au monde qui concentre le plus de skieurs de randonnée au mètre carré. La magie de la Pierr’ a réveillé l’âme de la montagne, couverte de tifosis qui hurlent votre prénom à gorge déployée. Une haie d’honneur folle. « Allez Johann, allez Thomas !! ». On finit par ne plus rien distinguer hormis la fièvre des encouragements perdus dans un concert de sonnailles, de tronçonneuses, de cornes de brume, agrémenté des odeurs de viande grillée que dégustent les spectateurs. Le cœur trouve de nouvelles ressources, le sourire monte aux oreilles, saturées d’acouphènes. Il n’est pas impossible que les larmes montent aux yeux. À cet instant, on sait pourquoi on est là.