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Sauvons la Girose, l’un des derniers grands glaciers des Alpes

J’ai peut-être fait une dernière. Non pas une première, mais une dernière : l’ascension du Dôme de la Lauze, ce dimanche 13 septembre, avant la construction programmée du troisième tronçon du téléphérique de la Grave.

En ce dernier jour d’ouverture de la saison d’été, le glacier de la Girose étincelle sous le soleil, les conditions sont si bonnes qu’en plus des dizaines de cordées qui s’égayent du Râteau à la Lauze, un groupe de skieurs de rando profitent de l’aubaine pour glisser un début septembre. Tiens, mais que vois-je, qu’entends-je, quel est cette odeur de mazout ? Une pelleteuse mécanique trace une piste à grands coups de godet, casse la glace pour l’aplanir. Un engin de travaux publics qui creuse une route sur un glacier ? Je mets les crampons à mon fils de neuf ans, et tente de lui expliquer ce que fait l’engin, son bruit et sa pollution, sur ce glacier immaculé. Et je n’y arrive pas. Tellement c’est gros. Tellement c’est incompréhensible.

Un engin de travaux publics qui casse un glacier ? Je mets les crampons à mon fils de 9 ans, et tente de lui expliquer ce que l’engin fait là. Et je n’y arrive pas.

C’est pourtant simple : pour que la piste de montée du téléski soit utilisable, il faut d’abord tracer un chemin plat sur le glacier pour ensuite aller boucher les nombreuses crevasses. Le vieux téléski du glacier de la Girose vit en principe sa dernière saison : le projet de construction du troisième tronçon du téléphérique doit être mis en oeuvre au printemps prochain, pour une ouverture le 1er janvier 2023. Prolongeant le téléphérique actuel (qui compte une gare intermédiaire à 2400) qui mène à la gare de 3200 mètres dite des Ruillans, le troisième tronçon conduirait à 3559 m aux abords du Dôme de la Lauze.

Planté sur le (seul) rognon rocheux à mi-distance, vers 3300 m, un pylône de 45 mètres soutiendrait le câble, soit un immeuble de quinze étages. La gare de 3600 serait discrète, assure-t-on du côté de la mairie de la Grave, et de la SATA, porteur du projet, puisque le restaurant et la principale zone touristique resterait à 3200 m (là où est la gare d’arrivée actuelle), tout en étant reconstruite. Mais cette gare – située à quelques mètres du Parc National des Écrins – enlèverait tout intérêt à l’ascension du Dôme de la Lauze (3559m) ou du pic voisin (3567m) point d’arrivée du vieux téléski actuel. Plus besoin, avec le troisième tronçon, de travaux polluants (1) sur le glacier chaque saison, disent ses promoteurs.

C’est oublier plusieurs détails, et ils sont cruciaux. Tâchons de les énumérer pour expliquer en quoi ce projet est à la fois dépassé et inutile. Et un engrenage vers un aménagement toujours plus important des glaciers en altitude pour un gain incertain.

un pylône de 45 mètres soutiendrait le câble du troisième tronçon, soit un immeuble de 15 étages.  

Le troisième tronçon ne résoudra pas le souci de remonter, pour les skieurs venus d’en haut, à 3200 m : si aujourd’hui on descend à skis de la gare de 3200 jusque sur le glacier quelques dizaines de mètres plus bas (avant de prendre une dameuse à cabine qui fait la jonction avec le vieux téléski environ 350 mètres plus loin), il faudra bien, pour les skieurs du troisième tronçon (2), remonter les quelques dizaines de mètres de dénivelée pour rejoindre 3200. On mettra une dameuse dans l’autre sens ? Des mauvais esprits diront qu’il suffit de tracer une piste qui descend par le col du Lac : nous n’en sommes pas là, fort heureusement.

Girose, 13 septembre 2020. ©JC

Il faut être aveugle – ou ne jamais être monté là-haut – pour ne pas être convaincu qu’une fois le troisième tronçon construit, la liaison sera effective entre la Grave et les 2 Alpes.

Le troisième tronçon du téléphérique de la Grave rendra la liaison avec les Deux-Alpes et la commercialisation de cette liaison inéluctable. Du Dôme de la Lauze cela saute aux yeux. Mesuré sur la carte, il y a entre 450 et 500 mètres entre l’arrivée prévue à 3559 et l’actuel téléski de la Lauze, extrémité orientale des 2 Alpes ! Qui peut croire que la SATA, qui gère la Grave depuis 2017 et qui a récupéré la délégation de service public (DSP) des 2 Alpes en février dernier ne fera pas le dernier pas pour relier les 2 Alpes à la Grave ?

Il faut être aveugle – ou ne jamais être monté là-haut – pour ne pas être convaincu qu’une fois le troisième tronçon construit, la liaison sera « naturelle », et l’occasion trop belle de ne pas commercialiser des forfaits couvrant les deux domaines. Rendre accessible aux skieurs des 2 Alpes le domaine hors-pistes de la Grave n’ira pas sans lourdes conséquences pour la Grave, qui verra chambouler tout ce qui fait son exception, et son patrimoine : au premier skieur venu des 2 Alpes perdu entre 3600 et la gare de 2400, une nouvelle piste sera demandée par les pouvoirs publics, et la SATA acquiescera.

En l’état, le glacier de la Girose est le plus accessible des Alpes françaises. Et de loin.

Le troisième tronçon du téléphérique de la Grave va annihiler tout intérêt pour ce vaste glacier : quel intérêt pour les visiteurs, les alpinistes, les guides, de faire un tour sur un glacier surplombé par un pylône géant, et d’atteindre un bien modeste sommet au panorama pourtant exceptionnel sur les Écrins, le Dôme de la Lauze, quand celui-ci servira de gare d’arrivée ? Quel intérêt pour les touristes de découvrir un glacier fléché et nivelé pour les skieurs ?

Le troisième tronçon va détruire notre patrimoine commun : le glacier de la Girose est sans aucun doute l’un des plus grands glaciers de France, le plus grand des Alpes du Sud. Mais savez-vous que c’est, grâce au téléphérique actuel, la Girose est le glacier le plus facile d’accès des Alpes françaises ?

Alors que la mer de Glace devient chaque année d’un accès plus long, rébarbatif voire dangereux, le glacier de la Girose est le dernier grand glacier accessible à tous, en quelques minutes de marche. C’est un bien commun qu’il s’agit de préserver. On aurait beau jeu de critiquer le massacre des glaciers à l’oeuvre chez nos voisins quand chez nous, ces mêmes glaciers font l’objet d’un projet à l’issue pour le moins discutable.

Soutenons la démarche du collectif La Grave Autrement qui dénonce ce projet pharaonique (12 millions d’euros) et demande urgemment un moratoire, une période de concertation pour imaginer un développement touristique raisonné, sans troisième tronçon. Pourquoi ne pas s’accorder une saison hivernale de répit (et sans bulldozer) et sans transfert en dameuse cet hiver ? Ne mettons pas tous les téléphériques dans le même bain : le projet de liaison entre l’Alpe d’Huez et les 2 Alpes mérite réflexion car il est tourné vers un tourisme quatre saisons et, potentiellement, vers une baisse du trafic automobile en reliant les centres des stations.

Rien à voir avec la colonisation à marche forcée d’un des derniers grands glaciers des Écrins, l’un des plus beaux trésors des Alpes. Autant préserver ce qu’il en reste.

  • (1) pour le moteur du téléski et les dameuses, entre 65 et 90000 litres par an de gazole non routier. Prévue dans le projet de loi de finances, la fin d’exonérations fiscales sur le GNR a été annulée par les parlementaires récemment, au motif, dixit Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, qu’ « il n’y a pas de chasse-neige électrique ».
  • (2) le nombre de journées d’ouverture du téléski actuel est de 53 pour 2018-19 et de 43 journées pour 2017-18.

Le glacier de la Girose, 13 septembre. Au centre, sur l’horizon, le point d’arrivée du téléski actuel, à droite en blanc le Dôme de la Lauze, et devant, le rognon sur lequel sera érigé le pylône. À gauche on distingue la pelleteuse.

La petite tranchée pour faire passer la dameuse. Selon les défenseurs du T3, il n’y aura plus besoin de travaux sur le glacier.