Quand on voyait le père Chastel, on pouvait difficilement croire qu’il n’était pas originaire de la vallée. Il en faisait si bien partie que beaucoup avaient oublié qu’il n’y avait pas toujours vécu. Je l’ai connu très vieux, le visage couvert de rides, se promenant à petits pas, toujours prêt à héler quelqu’un, à l’entraîner au café de la Poste, et là à parler de montagne et d’escalade comme nul autre ne savait le faire. On racontait bien des histoires à son sujet. Elles avaient fini par construire autour de lui une sorte de légende. La plupart portaient sur ses activités passées dont il parlait peu. On lui avait prêté beaucoup de métiers sans que rien ne vînt en confirmer un seul. Certains disaient qu’avant de découvrir la montagne, il avait été danseur. Personne ne pouvait en témoigner. Mais il parlait souvent de danse avec la même ferveur que pour disserter sur l’escalade. Il avait été alpiniste, pourquoi n’aurait-il pas été danseur?
Je me souviens qu’un jour il m’aborda dans la rue et m’invita à boire. Quand nous avons été installés, je me suis mis à lui parler de belle roche, de soleil et du plaisir de l’escalade. Il m’a longuement écouté. Ses yeux brillaient dans la pénombre du café. D’autres bavardaient autour de nous et pour mieux m’entendre, il avait poussé son verre, s’était penché vers moi. Puis brusquement – je venais de prononcer sans trop l’avoir voulu le mot « danse» –, toujours appuyé de ses deux
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