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La chaussure de Messner

Ce n’est pas la chaussure de Reinhold, c’est la chaussure de Gunther, son frère. Elle a passé trente-quatre ans dans les flancs du Nanga Parbat avant d’être découverte sur le glacier Diamir en 2022. La chaussure vient d’être apportée à Reinhold Messner chez lui, dans le sud Tyrol. C’est un modèle de 1970, avec une énorme semelle Vibram et une doublure vraisemblablement trop fine, Reinhold ayant eu des gelures. Son frère Gunther y est resté, et depuis cette maudite expédition, l’ombre du soupçon a plané sur Reinhold, accusé d’avoir poussé son frère à gravir le Nanga Parbat, puis d’avoir abandonné celui-ci.

À l’époque, la découverte de la première chaussure avait ranimé la polémique. Messner, le dieu de l’alpinisme, avait-il fauté ? Selon lui, la découverte de la première chaussure a été la preuve qu’il disait la vérité, que son frère a bien été emporté et pas, comme le disaient ses contempteurs, abandonné parce que trop lent sur la voie empruntée à la montée, et différente (vous me suivez ?) de la voie de descente. La deuxième chaussure est un message de Gunther envoyé d’outre-tombe pour confirmer son innocence. Elle a bien été retrouvée sur le chemin de la descente, versant Diamir, «cinq cent mètres » plus bas que l’autre. Le temps a fait son oeuvre, et a apporté une réponse sans équivoque.

La deuxième chaussure est un message de Gunther envoyé d’outre-tombe pour confirmer son innocence

En 1970 Gunther a sûrement joué de malchance. Aujourd’hui, tout le monde ne reçoit pas cette hommage post-mortem. Sur l’arête nord de l’Everest un homme gît sans sépulture, mais a une fiche Wikipedia : Green Boots, un probable membre de l’expédition de l’armée indienne de 1996. À plus de 8000 mètres, son corps et ses Koflach vert fluo servent de repère aux ascensionnistes actuels, et surtout de l’égoïsme, d’alors, et d’aujourd’hui.

La littérature alpine recense d’autres reliques macabres : lors de son ascension de la face nord de l’Eiger, Desmaison raconte la découverte une chaussure et d’un tibia, ou encore comment il dort mal sur une vire englacée à cause d’une bosse dans le dos, trash et lugubre pièce d’un alpiniste défunt, dont le grand René semblait s’amuser comme on joue du sort qui fait éviter l’unique balle de la roulette russe. Manière de nous rappeler, comme les philosophes antiques – memento mori – que nous ne faisons que passer.