Nanga Parbat, nord-est du Pakistan. Le décor est planté dans notre premier épisode de cette immersion derrière la caméra. Il est temps de prendre de la hauteur et de se lancer dans les pentes impressionnantes du géant. Pour Sophie Lavaud que l’on suit dans l’ascension de son dernier 8000, aucun doute n’est permis. Pour nous vidéastes, les questions s’empilent comme autant de mètres à gravir. Jusqu’à 8126 m ?
Kinhsofer, 5900 m. Quand on parle du Nanga Parbat, c’est le premier mot qui arrive dans la conversation. À égalité peut-être avec ce mauvais surnom de « montagne tueuse » étant donné l’histoire tragique des premières tentatives d’ascension au début du XXe siècle. Le « Kinshofer wall », c’est l’un des passages les plus redoutés. Ça ne parle que de ça au camp de base. Et pour cause : les prétendants s’y frottent très rapidement, dès le deuxième jour d’ascension, juste au-dessus du camp 1.
Kinshofer, 2e prise et…. action !
Ce « mur Kinshofer » est en réalité le subtil assemblage d’une longue pente de neige de 1100m de dénivelé, à environ 40°/45° de pente moyenne (le couloir Löw), surmontée des 150m d’un mur rocheux équipé de diverses échelles et autres vestiges de cordes antédiluviennes.
Autrement dit : après t’être coupé les jambes dans une longue pente, tu écopes d’une section d’escalade plus ou moins ardue, surtout à 6000m d’altitude, surtout avec un gros sac et un appareil autour du cou. Surtout aussi avec tout le poids de l’histoire et de l’imaginaire. Évidemment, ce n’est jamais de l’escalade pure, en libre, en bon style. Mais même en tirant à la stat’ et en mettant les pointes avant sur les échelons, ça secoue. On fait la (re)connaissance de ce passage lors d’une première rotation jusqu’au camp 2, sous des rafales de vent et de neige qui couronnent le tout. Grosse ambiance.
Une nouvelle journée de travail commence avec François. ©Ulysse Lefebvre
Sophie à mi-hauteur dans le couloir Löw. ©Ulysse Lefebvre
Alors que Sophie peine dans un passage et me demande un peu d’aide, je coupe la caméra et tente de l’orienter. Immédiatement, une voix me rappelle à l’ordre « Ulysse, t’es là pour filmer ! ». François n’a pas oublié que c’est dans les moments les moins évidents qu’il faut tourner. Quand la météo est mauvaise. Quand la fatigue est palpable. Quand on a le moins envie aussi. Parce que les difficultés de notre sujet sont visibles et servent aussi une forme de dramaturgie.
Tout ça questionne aussi la posture du vidéaste ou du photographe par rapport à son sujet, et le sempiternel débat de la place du journaliste. Est-il hors de son histoire ? Ou participe t-il à la scène dont il témoigne, qu’il le veuille ou non ? Sophie s’en serait évidemment sortie sans mes quelques conseils, donc mes questions existentielles s’arrêtent là. Je rallume la caméra. Et puis « t’es là pour filmer, pas pour grimper ! ». CQFD.
Camp 2 sur le fil
Pour cette deuxième prise, comprenez ce deuxième départ, cette fois pour le sommet, l’air est doux et printanier. On part dans la lumière dorée « en chantant fleurette » comme disait Berhault, au soir du 22 juin 2023. Sauf que la petite rando printanière doit aboutir à plus de 8000 m d’altitude.
Au deuxième jour, on atteint le camp 2 à 6000 m. C’est peut-être l’un des plus marquants de l’ascension (et même des 14×8000 à entendre Sophie). Posé juste au-dessus du Kinshofer, c’est plus une arête ponctuée de quelques tentes en équilibre, qu’un camp à proprement parler. L’espace est plus que limité et on ne sort (presque) pas sans se vacher. Je me frise la moustache à filmer ça depuis les airs, pour montrer l’étendue de l’exigu.
François envoie superbement chier
Miss USA
Quelques alpinistes arrivent peu après et prennent place, fatigués, dans les quelques tentes installées. Un fort accent américain me parvient aux oreilles. Coup d’oeil sur la trace : une femme sans sac à dos, petites chaussures d’alpinisme léger aux pieds, arrive presque fringuante. Derrière elle, deux porteurs dédiés charrient son matériel complet, y compris une deuxième paire de chaussures pour la haute altitude. Mais qui prend deux paires de lourdes chaussures d’alpinisme si haut ? Moins étonnant : Miss USA ne souhaite pas être filmée et nous le fait savoir en anglais. François l’envoie superbement chier dans un langage fleuri et en français s’il vous plait. On va décidément bien se marrer.
Camp 3 avancé, le spectacle peut commencer
Le lendemain, la progression est plutôt classique : courte section mixte puis longue pente de neige. RAS. Mais il faut trouver un camp 3 avancé car l’emplacement classique est un peu trop bas dans la manière de faire actuelle. Le site choisi est plus haut et évite l’établissement d’un camp 4. La journée de demain, summit push, sera plus longue en distance et en dénivelé, mais c’est un choix intéressant. Mieux vaut parfois forcer en journée et s’éviter une nuit désagréable et peu réparatrice.
6800 m, pleine pente. Quelques blocs rocheux dépassent de l’immense versant neigeux où l’on se trouve. L’équipe népalo-pakistanaise réalise alors un travail impressionnant de terrassement pour placer la demi-douzaine de tentes. On est rejoint par Kristin Harila, suivie elle aussi d’un caméraman. Le Nanga Parbat est un théâtre à guichet fermé.
Récupération du drone, filmé moi-même par Gabriel Tarso (allongé à gauche), caméraman de Kristin Harila, et sous les yeux de Tenjen Lama Sherpa (en vert), qui disparaitra au Shishapangma le 7 octobre 2023. ©François Damilano
6800 m, pleine pente
Summit push
Départ aux dernières lueurs d’un crépuscule doré, au second jour du camp 3, pour atteindre le sommet le lendemain matin. Lentement mais sûrement. La nuit sera longue.
Au bout de trois heures environ, j’ai un gros coup de barre. C’est la soif surtout qui me plombe. Mais une drôle de soif quand même, comme si le corps entier était desséché, incapable de se mouvoir correctement, craquelant. Je suis sec au sens propre du terme. C’est à ce moment là que je deviens officiellement le client du Sherpa près de moi, Pasang. J’ai finalement peu échangé avec lui plus bas, car il est arrivé tard dans l’expé, mais en ce moment de fatigue, la proximité est immédiate : « Oxygen ! » me dit-il. Dans le mode pilote automatique enclenché depuis un bon moment maintenant, j’avoue que je ne pensais plus à ce détail. Et pourtant : après quelques minutes masqué, je vais mieux et peux reprendre un rythme normal.
Pas de débat pour moi. T’es là pour filmer, pas pour grimper. Pas d’exploit personnel ou de tentative inutile en jeu. Mon objectif est de pouvoir rallumer la caméra aux abords du sommet. Et d’être capable de la tenir à 8126 m. Comme le rappelait Kurt Diemberger, grand cinéaste de la haute altitude : « Il faut faire preuve de bon sens, le bon sens vaut plus que la théorie, et pas seulement en montagne, surtout si l’on compte rentrer chez soi et raconter l’histoire. » Une fois n’est pas coutume, le bons sens m’invite à prendre soin de moi. On est à 7300 m d’altitude et il reste un sacré bout de chemin. Plus de 1000 m de dénivelé. À raison de 100 m par heure environ, le calcul est simple et vertigineux.
Le bon sens vaut plus que la théorie
Kurt Diemberger
On repart après avoir effectué les laborieuses manips de sac avec l’épaisse combinaison en duvet, la bouteille d’oxygène, le tuyau et le masque. Foutu barda. Et je suis confiant. J’abandonne pour un temps la caméra. Sophie est plus loin devant et François est avec elle. Il faut juste que je les rattrape pour assurer le tournage au sommet.
Là-haut, c’est comme au Tour de France : le peloton s’étire et les équipes se dispersent. On se met dans la roue du précédent. La corde fixe qui vibre indique la présence toute proche du suivant. Du morse sur le fil d’ariane. De la friture dans la tête. Un pas devant l’autre au rythme d’un gastéropode alpin.
7600m, là aussi pour grimper
Huit heures se sont écoulées depuis que nous avons quitté le camp 3. Cinq heures que je respire dans le masque, plongeur sans eau mais pas sans profondeur. Dans la nuit, la vingtaine d’alpinistes que nous sommes forme une petite procession, lente et silencieuse.
Le vent se lève et il neige à présent. L’ambiance change radicalement. Chacun fait le dos rond. Ça va passer. Ça doit passer, indiquait le dernier bulletin météo de Yann Giezendanner. On se fait rouster en silence mais on avance.
Jusqu’à ce que tout le monde s’arrête. Des mots criés par dessus les rafales nous sortent de la torpeur. « No ropes ! ». Plus de cordes fixes ! Plus de cordes fixes ? On est au pied du trapèze sommital, grande pente plus raide que le reste, 600m de dénivelé sous le sommet, au beau milieu de la nuit, et on se rend compte maintenant qu’il n’y a plus de cordes fixes ?! WTF ? Les deux alpinistes de la fixing team, dont fait partie Imtiaz, sont loin devant avec leur énorme phare de bagnole en guise de frontale. Le doute s’abat sur le reste du groupe. Mais Sangay assume comme toujours son rôle de chef d’expé. Après quelques tergiversations, il fait le tour des sacs à dos pour récupérer les bouts de cordes disponibles, histoire de gagner quelques mètres, histoire de fixer encore un peu. Mais personne n’est dupe. Il va falloir grimper sans ligne de vie, improviser des cordées client-sherpa avec des longes ou continuer en « solo à deux ».
La pente n’est pas extrêmement raide mais on change soudain de discipline. On resort les piolets, la dernière partie, on le sait, est un mélange de mixte et de neige poudreuse posée sur le rocher. Rien d’extrême mais ça prend une autre dimension à 8000 m. Et au passage, une chute et c’est le grand toboggan en direct vers le glacier du Diamir, 3000m plus bas. Évidemment, tout n’est pas aussi clair dans les esprits à ce moment là. Tout prend plus d’ampleur, tout est plus dramatique. Et le temps passe avant que l’on prenne enfin une décision. Quarante longues minutes dans la nuit à 7600m.
Certains font demi-tour, comme cet américain, guide vétéran des expés himalayennes. Il a beau être guide, là-haut c’est pour tout le monde pareil. Mais pas pour lui aujourd’hui. Pour ma part, je reste très calme avec mon mantra : T’es là pour filmer, pas pour grimper. Cet alibi me sert depuis le début à dédramatiser la situation ou à me justifier par avance un éventuel échec ou un demi-tour. Autrement dit : si ça part en n’importe quoi, ce sera sans moi. Je marmonne intérieurement pendant quelques minutes. Ça lambine et puis d’un coup ça avance sans qu’on ne sache vraiment pourquoi.
L’espace entre la réussite et l’échec
est infime là-haut
Il faut bien se rendre compte que la communication est réduite à néant avec la distance, le vent, la neige, la nuit. On se contente de suivre le mouvement. Et finalement ça monte. Je décide de continuer à monter moi aussi. À moins que je n’aie fait que suivre le mouvement ? L’espace entre la réussite et l’échec est infime là-haut. Ce n’est pas toujours une question de réflexion. Souvent de l’intuition, sans raison. Il faut juste la suivre.
La confiance revenue et la forme physique évaluée à « correcte », je me remets en route. C’est certainement le moment de l’expé où je pense le moins au film. Je pourrais garder la caméra en main. Je devrais ? Je me dis que ce moment de concentration me permet de passer à l’étape suivante. Maintenant, mon objectif est clairement le sommet. Et tant pis si je n’ai pas pu tout filmer.
Sophie dans la nuit. ©François Damilano
8126 m
Lundi 26 juin 2023, 4h30 : le jour se lève mais la lumière est diffuse. Un énorme coup de rouleau de peinture masque le ciel et les sommets alentours. C’est une bande de nuages étonnante qui nous enferme un peu plus dans notre bulle, sans échappatoire, pas même visuelle.
Ça se complique pour filmer. Plus question de s’attendre ou de prendre la pose. L’objectif de chacun est d’avancer et de s’économiser au maximum. Pour atteindre le sommet d’abord. Pour en redescendre surtout. C’est devenu mon obsession, redescendre. L’effort est intense. Ai-je déjà forcé autant ? Difficile à dire, dur de comparer. C’est un mélange de lourdeur physique et d’étouffement. Dans le masque il faut garder un souffle régulier et calme, calé sur les pas. Des pas que je me mets à compter, comme les moutons d’une insomnie. L’un après l’autre, dans un rythme incroyablement lent. Inexplicablement lent. D’autant que le temps et la mémoire atténuent l’intensité. Le souvenir édulcore.
Et pourtant, plusieurs fois j’arrache le masque pour prendre de grandes et rapides bouffées d’air. À chaque fois je suis curieux et attentif à son goût, à l’effet que me procure cet air raréfié en oxygène, un éther métallique qui vous entaille la gorge. Que se passerait-il si je décidais de m’en contenter jusqu’en haut ? Sans masque ? Chiche ? Pas le moment. T’es là pour filmer, pas pour grimper. Je continue à suivre Pasang, sans corde (sans sangles pour être précis), préférant rester autonome pour assumer moi-même les quelques passages mixtes.
Dans la tête, c’est la torpeur
Dans la tête, c’est la torpeur. Ou plutôt une focalisation psychologique excessive. Les médecins le disent : avec l’hypoxie (même sous masque à oxygène), l’esprit fonctionne de manière dégradée. Pas forcément en délirant. Dans mon cas, deux choses m’obsèdent : redescendre d’abord, parce qu’au sommet on a toujours fait que 50% du trajet. Et arriver au plus vite derrière Sophie et Sangay pour prendre « la photo Paris Match », puis filmer. Oui, d’abord photographier puis filmer. Est-ce la pression mise par François au sujet de cette exclusivité signée pour le grand hebdo national ? Ou est-ce mon imaginaire de photographe qui accorde plus d’importance à ce cliché plutôt qu’au film pour lequel nous sommes là ? Ou est-ce la facilité de capturer quelques millièmes de secondes (une photo) avant de passer à l’enregistrement de plusieurs minutes (la vidéo) ?
Douze minutes
On en passera douze précisément. Douze minutes au sommet pour sept semaines d’expé. Faut-il encore préciser combien le jeu en vaut la chandelle. Combien atteindre un sommet, a fortiori aussi élevé, est un mélange d’excitation (l’inconnu), de satisfaction (objectif atteint) et d’anticipation (descendre) ?
Pourtant ce n’est pas la scène idéale de climax himalayen. Nous sommes évidemment épuisés, peu dégourdis du ciboulot, engoncés dans nos combinaisons et en pleine errance dans cette état cotonneux de la haute altitude. Je déambule de droite et de gauche sans savoir ou pointer ma caméra. Le vent gifle par rafales à 60km/h (faut-il préciser que le drone reste dans le sac, regret prévisible). Le froid nous fige. Le paysage est toujours gommé par cette bande horizontale de nuages blancs. Aucun sommet visible. Évanoui l’espoir d’apercevoir les géants du Karakoram, K2 en tête.
Sophie relève un point GPS pour prouver son (vrai) sommet. Sangay remballe. On filme tant bien que mal. La scène est un peu décousue. Ou bien est-ce notre esprit qui s’effiloche. Pourtant, tout était bien calé, on l’avait répétée cent fois cette scène du sommet, avec la photo, puis la vidéo, la joie, le plan serré sur visage, le plan large sur le sommet. Tout ça est oublié. Aucune mise en scène finalement, juste la saveur de la réalité, pour quelques minutes au sommet.
Descendre
On n’en parle pas assez dans les récits. C’est un exercice souvent périlleux car la fatigue et le (trop grand) sentiment de satisfaction émoussent la concentration. Plus qu’ailleurs dans toute l’ascension, ce premier morceau de descente nécessite de l’attention. Sans cordes fixes, il faut redescendre prudemment les 45°/50° de la pente finale, parfois dos à la pente dans les ressauts, pour retrouver le plateau à 7500 m, trois heures plus tard. Bref, on fait de l’alpinisme.
Vers 7300 m, nos compagnons népalais et pakistanais se prennent une pause bien méritée. Alors que je termine les derniers millilitres d’oxygène de ma bouteille, Imtiaz fume sa clope. Comme si de rien n’était. Lui qui redescend de son deuxième Nanga Parbat, toujours sans oxygène supplémentaire.
Vers 7300 m
Imtiaz fume sa clope
Au camp 3, chacun se plonge rapidement dans un mélange de sieste et de ré-hydratation. On boit allongés et on somnole. Ce n’est pas l’euphorie du sommet. Ça, ce sera pour plus tard, au camp de base, après les dernières difficultés de la descente. Après le Kinshofer à refaire. On prévoit de passer une bonne nuit de récupération et de partir le lendemain matin, pour une longue journée jusqu’au camp de base. Mais vers 1h du matin, François et moi sommes réveillés par Sophie qui nous crie depuis sa tente : « On se fait enterré par la neige, on part ! ». Le vent s’est levé et, même s’il ne neige pas, la poudreuse transportée par les rafales est en train de submerger les tentes qui commencent à s’effondrer. Il nous faudra sortir en rampant, en espérant n’avoir rien oublié dans l’amas de toile et de neige qu’on laisse aux bons soins des prochains alpinistes. L’ambiance est dantesque, avec le vent cinglant dans la nuit noire du Nanga. Les cordes fixes paraissent bien fragiles. Et nous avec. Les halos des frontales s’estompent rapidement lorsque les distances s’allongent entre nous. On atteint le camp 2 vers 4h du matin. Les premières lueurs pointent à l’est. Une gorgée de thé et on repart.
Je ne sais pas si j’aime
l’odeur du soufre au petit matin
L’idée d’atteindre le confort du camp de base d’ici trois ou quatre heures nous motive. Le Kinshofer est descendu sans peine, une dernière fois. Puis c’est le couloir Löw, le camp 1 ou plutôt ce qu’il en reste tant la fonte de la neige a remodelé les plate-formes. Certaines tentes se retrouvent perchées comme des demoiselles coiffées. On prend enfin le temps d’un selfie. On se rend compte qu’on n’a aucune photo de nous au sommet, obnubilés qu’on était par nos sujets, Sophie et Sangay. Heureusement un alpiniste pakistanais nous a photographiés. Le souvenir est sauvé.
Au camp de base, l’accueil est chaleureux. Les traditionnels colliers de fleurs remis aux « huimillistes » apportent une touche tropicale à la scène. Quelques coups de feu de joie tirés en l’air nous ramènent au Pakistan. Je ne sais pas si j’aime l’odeur du soufre au petit matin. Surtout au camp de base du Nanga Parbat.
Une goutte d’eau
Le soir, c’est summit cake avec tous les autres. Les yeux sont encore rougis pas le soleil et la fatigue, mais la joie est sincère. Nous ne sommes sûrement pas des héros, simplement des alpinistes qui avaient osé se frotter à un géant et en ont atteint la cime. D’autres l’ont fait avant nous, de manière bien plus engagée, plus héroïque voire dramatique. D’autres reviendront aussi à leur façon, avec de nouveaux standards, moins audacieux parfois (les clients suiveurs et consommateurs), plus pragmatiques et intéressés aussi (le nécessaire gagne-pain des prestataires, anciens et nouveaux).
C’est ainsi et c’est tant mieux. L’histoire du Nanga Parbat et de l’himalayisme en général ne peut pas s’arrêter aux illustres précurseurs. Elle ne doit pas non plus être assimilée aux seules dérives des pratiques commerciales d’aujourd’hui. Les temps changent et il ne sert à rien de se contenter de dire que c’était mieux avant.
Défaits mais heureux. ©François Damilano
C’est tout ça que François Damilano est en train de mettre en forme, alors qu’il vient de s’enfermer pour quelques mois en salle de montage. Vaste puzzle dont le résultat sera visible à l’écran début 2024.
De retour au bercail, je repense à ces sept semaines passées en binôme, pressés que nous avons été entre la promiscuité et l’obligation de résultat pour le film. Le bilan est clairement positif. « On n’a même pas réussi à s’engueuler » s’étonne presque François.
Je range le matériel en me disant quand même que ce premier 8000 serait aussi mon dernier. Trop d’inertie, trop d’artifices, trop de dépendance, trop de monde. Pourtant, au moment d’écrire ce récit, à froid, trois mois plus tard, je sais que si l’occasion se représente, je n’hésiterai pas longtemps. Allez savoir pourquoi. Les voix de l’Himalaya sont aussi impénétrables qu’irrésistibles.
Si vous avez manqué l’épisode 1, planter l’immense décor >
Merci à Millet, Goal Zero France et Garmin et Scarpa France pour leur aide matérielle précieuse. Vêtements, gants, panneaux solaires, batteries externes et autres inReach pour la communication satellite auront prouvé leur fiabilité sur le terrain.
Le compte-rendu des tests grandeur nature à lire bientôt sur Alpine Mag.