fbpx
Seb Berthe dans Bon Voyage ©Soline Kentzel

Escalade : Seb Berthe réussit la 3e ascension de Bon Voyage, 9a trad

Seb Berthe est en forme : le grimpeur belge vient de réussir Bon Voyage, la voie de référence ouverte par James Pearson en 2023. Il devient le troisième grimpeur après James et Adam Ondra à gravir ce monument de l’escalade trad, un E12 (cotation britannique) ou 9a sur coinceurs, à Annot.

L‘année dernière, après moult séances de travail, James Pearson a enchaîné une nouvelle voie extrême, Bon Voyage, à Annot, dans le temple français de l’escalade sur coinceurs. Une voie pour laquelle le grimpeur britannique établi dans le sud de la France a proposé la cotation E12, soit le maximum sur l’échelle britannique, autour du neuvième degré. James Pearson nous a raconté quel a été le processus pour atteindre le sommet de cette voie, et ce qu’elle représente pour lui, grimpeur professionnel depuis plus de quinze ans.

En février dernier, James a eu la surprise – et la joie – de voir Adam Ondra débarquer à Annot : le serial climber Ondra a été attiré par la difficulté et la beauté de la ligne, et quelques grosses séances plus tard, le tchèque cochait la deuxième ascension de Bon Voyage. 

Seb Berthe, qui a pour commun avec Ondra de s’être frotté au mythe du Dawn Wall, sur El Capitan, connaît Annot pour avoir réussi la première « flash » de Voyage une voie voisine l’année dernière. En effet, la première partie de cette voie constitue le départ de Bon Voyage, qui par deux trous esthétiques s’échappe à gauche, dans un grand mur lisse, où le grimpeur n’est protégé que par un unique coinceur mécanique pour finir la dernière section, très difficile, de la voie. Seb Berthe raconte le processus.

Seb Berthe dans la partie haute de la voie, au-dessus du rasoir, dangereux en cas de chute plus haut.
©Photos Soline Kentzel

Le récit de Seb Berthe 

« Vraiment content et fier d’avoir gravi Bon Voyage 9a trad (E12), 3ème ascension après James et Adam. J’ai essayé pour la première fois Bon Voyage en avril 2023 après le flash de Voyage. Je suis tombé tout de suite sous le charme de la voie, et j’ai décidé que ce serait un des mes objectifs principaux de 2024. C’est pourquoi je suis revenu à Annot fin février de cette année, quelques jours après l’ascension éclair d’Adam Ondra, avec la ferme intention de m’attaquer à la voie ! Malgré une météo très capricieuse durant ce voyage, j’ai réussi à faire 3 sessions sur la voie. Dès la première séance, je me suis efforcé de grimper en tête pour m’habituer au placement des protections, aux chutes, etc. Ma progression dans la voie a été assez rapide, et à la troisième séance, j’envisageais de faire toute la section difficile en une seule fois.

Malheureusement, je me suis blessé au petit doigt sur le mouvement clé de la voie, un grand mouvement vers la gauche à partir d’une toute petite prise à un doigt, un mouvement très agressif et particulier. En essayant d’enchaîner la section, j’ai ressenti une vive douleur et une secousse dans la main et l’avant-bras… Diagnostic : petite déchirure ou élongation des muscles lombricaux à l’intérieur de la main. Ce premier voyage s’est donc terminé brutalement, et c’est avec frustration et surtout avec une forte envie de revenir que j’ai quitté Annot !

Deux semaines plus tard, je suis de retour à Annot. Mon doigt va un peu mieux, mais je ne suis pas encore complètement guéri. Je peux facilement grimper à quatre doigts, mais je ressens une douleur dès que l’annulaire et l’auriculaire sont séparés. J’hésite à me remettre si vite dans le bain, mais la tentation de retourner dans Bon Voyage était trop forte : la voie me hante, et la météo des prochains jours est parfaite.

Je passe deux séances à essayer de retrouver de bonnes sensations, à recalibrer les mouvements et à m’habituer à manager le début. À ma grande surprise, je parviens à enchaîner toute la partie difficile d’une seule traite, mais avec beaucoup de crainte, car la chute potentielle est non seulement longue mais aussi dangereuse, ce que j’ai du mal à estimer. 

Le 19 mars 2024, je retourne à la falaise après deux jours de repos. Ma motivation est à son comble, j’ai hâte de m’attaquer à l’escalade ! Ma peau s’est à peu près refermée, mais je sens qu’elle ne tiendra pas longtemps. Pendant l’échauffement, je teste le mouvement sur une corde statique, mais je n’ose pas trop forcer car je sens que la plaie risque de s’ouvrir directement. À ce moment-là, je sais que je n’aurai peut-être qu’une seule chance. Il va falloir que je me donne à fond !

Avant ma tentative, je décide de mettre de la colle forte sur ma peau pour protéger la blessure et éviter qu’elle ne se rouvre plus tard. J’ai des papillons dans l’estomac, je suis stressé. Je sais que c’est possible, mais il faut que je sois bon, que je me surpasse ! Ma préparation est minutieuse, mon rack de protections est installé sur mon harnais dans les moindres détails. Je ne laisse rien au hasard et m’assure que tout est optimisé pour mon ascension.

Je franchis facilement et rapidement les premiers mètres de la montée. Je me sens bien et fort. Après quelques minutes d’escalade, je suis déjà sur le dernier repos, je fais le dernier placement de matériel, que j’ai longuement travaillé pour l’exécuter au mieux. Lorsque je me lance dans la section, je suis déterminé et prêt à tout donner. Les applaudissements se font de plus en plus forts au fur et à mesure que je progresse dans cette section difficile et engageante.

Je place mon majeur dans le fameux trou et je le tourne pour qu’il s’adapte le mieux possible. Je sens immédiatement toute la colle se détacher et la prise attaquer ma chair, mais pas le temps de s’y attarder ! Je lance mon corps vers la gauche et je réussis à attraper la prise suivante du bout des doigts. Et c’est là que la vraie bataille commence. Je sais exactement ce que je dois faire, je suis précis dans mes mouvements, mais je souffre, à chaque mouvement, je dois me battre. Mes amis en-dessous me poussent littéralement par leurs encouragements !

Là, je suis sur l’arête après une fameuse retraite dans le mouvement le plus “délicat” en termes d’engagement. Il faut maintenant rester concentré, même si je sais que c’est gagné. Je fais les derniers mouvements en criant de joie ! J’ai réussi ! Le soulagement et le plaisir d’avoir atteint le sommet de cette magnifique ligne m’envahissent.

Merci à tous ceux qui m’ont aidé et soutenu dans cette démarche : Soline, Jean-Elie, Mathieu (alias Michmich), James, Miguel, mes parents Rico et Coco, Magali et Gilles, Tonio Rhode, James Taylor, Franco Cookson, Jacopo Larcher, et tous les autres… Merci !»