Spécialiste de l’escalade trad, sur coinceurs, qu’il a importé du Royaume-Uni où il est né, James Pearson a enchaîné une nouvelle voie extrême, Bon Voyage, à Annot, dans le temple français de l’escalade sur coinceurs. Une voie pour laquelle il propose la cotation E12, soit le maximum sur l’échelle britannique, autour du neuvième degré. Compagnon de Caroline Ciavaldini, elle aussi passionné de trad, James nous explique son cheminement à travers le haut niveau depuis quinze ans. Au-delà de savoir si Bon Voyage mérite telle ou telle cotation, James s’exprime avec franchise sur ses propres questionnements d’athlète et de père. Son récit-confession évoque autant la recherche du moment parfait en escalade que la passion à laquelle chacun peut s’adonner au fil des années.
Il y a quinze ans, en 2008, je racontais au monde entier mon ascension de The Walk of Life, une première ascension que j’ai réalisée sur la côte nord du Devon, au Royaume-Uni. Couvertures de magazines, film, la nouvelle de cette ascension était répandue largement. En suggérant la cotation inédite de E12, je criais à qui voulait l’entendre qu’il s’agissait de la voie en trad la plus dure au monde, la voie sur coinceurs la plus dure jamais escaladée. Certains d’entre vous m’ont cru, je sais que j’y ai cru moi-même, mais de nombreux grimpeurs (anglais surtout) ont commencé à poser des questions, à juste titre.
À 22 ans, j’étais le porte-drapeau d’une nouvelle génération de grimpeurs britanniques, célébré non seulement pour mes compétences sur le rocher, mais aussi pour ma bravoure et mon courage. Alors que j’avais réussi à grimper quelques belles et difficiles répétitions et premières ascensions sur mon rocher natal, le Gritstone, et que je me considérais en quelque sorte comme un spécialiste de ces voies courtes et intensément techniques, la vérité que je ne voyais pas était que j’étais totalement inexpérimenté dans presque tous les autres styles d’escalade.
Au Royaume-Uni, l’escalade traditionnelle est soumise à des normes très strictes, qui vont de la pureté éthique du « sans protections fixes – le trad- » jusqu’aux cotations souvent rudes dans les falaises les plus connues. Lorsque Dave Macleod a répété The Walk Of Life quelques mois plus tard, expliquant qu’il pensait que la voie était plus proche de E9 que de E12, j’étais plus choqué que quiconque, et les conséquences de cette opinion allaient changer le cours de ma vie pour toujours.
Quinze ans plus tard, je suis une personne très différente. Je suis un mari, un père, et j’ai fait des centaines de voies difficiles dans le monde entier. Pourtant, je suis toujours le même jeune garçon, qui parle d’un morceau de rocher et cherche votre approbation.
Au début de l’année, j’ai fait une voie que j’ai appelée Bon Voyage. C’est une très belle voie sur un mur vierge à Annot, avec un enchaînement unique et des prises fantastiques. Cette croix est le résultat d’années de travail acharné et de recherche, et je pense que Bon Voyage est la voie la plus difficile que j’aie jamais escaladée, et de loin. Les médias ont beaucoup parlé de sa difficulté, mais j’en ai peu parlé jusqu’ici.
Lorsque j’ai gravi The Walk of Life et que j’ai dit que c’était la voie la plus difficile que j’avais faite, je le pensais vraiment. C’était, et cela reste encore aujourd’hui, l’une des expériences les plus difficiles et les plus éprouvantes de ma vie, mais j’étais tellement pris dans mon propre ego qu’à l’époque, j’étais incapable de prendre du recul par rapport à cette expérience. Pour m’aider à vous expliquer cela, remontons le temps jusqu’en 2008.
j’aimais le sentiment de liberté et de contrôle que l’escalade m’apportait, mais aussi l’attention que je recevais
Ce serait embarrassant si je ne trouvais pas cela si irréel aujourd’hui, mais je me souviens m’être sincèrement demandé à l’époque si je n’étais pas en quelque sorte… un peu magique ! J’ai essayé de nombreux sports quand j’étais enfant, m’améliorant généralement rapidement jusqu’à ce que je me heurte à un obstacle, puis je passais à autre chose, mais l’escalade, c’était différent ! J’ai commencé à grimper à 16 ans, ce qui est très tard par rapport aux normes d’aujourd’hui, mais j’ai immédiatement senti que j’avais trouvé ma place, et pendant les premières années au moins, je me suis senti de plus en plus fort. À 18 ans, j’avais fait la couverture de mon premier magazine et j’avais décroché mes premiers contrats de sponsoring. À 19 ans, j’étais le plus jeune Britannique à avoir fait des V13 (cotation américaine équivalente au 8b bloc en cotation Fontainebleau), ainsi que le plus jeune grimpeur à avoir jamais fait un E10 (8b/c sur coinceurs) !
J’aimais le sentiment de contrôle et de liberté que l’escalade m’apportait, mais j’aimais aussi l’attention positive, et j’étais entouré d’un groupe d’amis proches et de membres de ma famille qui, qu’ils y croient vraiment ou qu’ils soient simplement très gentils, me disaient, en bref, que j’étais le cadeau de Dieu pour l’escalade. À l’époque, quelques personnes contrôlaient la majorité des médias spécialisés dans l’escalade, et tant qu’elles vous appréciaient, vous étiez généralement bien loti. Il y avait bien sûr des gens qui ne m’aimaient pas, ni ce qu’ils pensaient que je représentais, avec mes logos surdimensionnés et mes contrats d’exclusivité avec les magazines, mais je n’en entendais jamais parler, ils ne faisaient tout simplement pas partie de mon monde.
Un monde sans réseaux sociaux et sans points de vue différents
En 2008, Instagram et les réseaux sociaux tels que nous les connaissons n’existaient tout simplement pas. Même si je déteste les réseaux sociaux de nos jours et que je pense qu’ils apportent beaucoup plus de négativité dans le monde qu’ils ne le devraient, l’un des avantages d’avoir des inconnus qui se défoulent régulièrement sur vous sur Internet est que vous vous rendez compte que le monde est plein de points de vue différents. S’il est clair que nous avons encore des chambres d’écho en 2023, elles sont loin d’être aussi insonorisées que celle que je m’étais construite en 2008 !
C’était aussi une époque très différente dans la culture populaire, avec un ensemble de règles socialement acceptées très différent. Alors que nous regardons souvent avec tendresse les décennies passées, les années 2000 étaient une époque où il était acceptable d’intimider, d’embarrasser ou de manipuler socialement les gens en public… y compris dans des émissions populaires largement diffusées à la télévision.
Je ne dis pas tout cela en quête de sympathie ou de pardon. Il m’a fallu du temps pour en arriver là, mais aujourd’hui, je peux honnêtement dire que je suis fier de moi et de The Walk of Life, et que le fait de m’être brûlé les ailes, même si cela a été douloureux à l’époque, m’a aidé à voir les choses plus clairement.
Une fois que je me suis accepté tel que je suis, avec tous les défauts et erreurs de mes débuts, j’ai pu commencer à planifier un avenir plus heureux, et j’ai déménagé à Innsbruck, en Autriche, pour commencer à me reconstruire. L’idée était simple… entraîner mes faiblesses avec certains des meilleurs grimpeurs sportifs du monde et devenir James 2.0 ! Malheureusement, ce n’était pas aussi simple en pratique, il n’y a pas de potion magique, et malgré tous mes efforts, j’ai passé les six premiers mois à avoir l’impression que plus j’essayais, plus je devenais mauvais. En me concentrant sur l’escalade sportive, ma faiblesse naturelle, j’ai négligé mes points forts que sont l’escalade de bloc et l’escalade traditionnelle. Trop impatient pour laisser le temps à un programme d’entraînement de fonctionner, je sautais d’un protocole à l’autre, devenant de plus en plus frustré avec moi-même, jusqu’à ce que « le sexe, la drogue et le rock and roll » prennent la place de l’escalade, et que je me perde complètement.
le fait de m’être brûlé les ailes, même si cela a été douloureux à l’époque, m’a aidé à voir les choses plus clairement
Deux choses m’ont sauvé : Caro [ma compagne] et The North Face [mon sponsor]. Malgré mes nombreux défauts, Caro est devenue une partie de ma vie. L’histoire complète est évidemment plus longue et plus compliquée, mais en substance, ma femme ne m’a pas seulement appris à éviter d’être daubé après 5 mouvements, mais surtout que je pouvais être quelque chose et quelqu’un de meilleur. The North Face s’était lassée de mon manque d’escalade et de mes habitudes hédonistes, mais au lieu de couper les ponts à la fin de mon contrat, ils m’ont donné une année supplémentaire pour me remettre en selle. À l’époque, j’ai trouvé cela scandaleux ! Aujourd’hui, je considère que c’est l’une des meilleures choses qui me soient arrivé.
Cette année-là, en 2012, je me suis vraiment remis au boulot. J’ai fait mon premier 9a, et j’ai tenté de flasher un E10 à Pembroke [NDT : James est le premier grimpeur à avoir flashé E9, et le premier flash E10 est arrivé cette année avec le flash de Seb Berthe de Le voyage à Annot] tombant sur le tout dernier mouvement, heureusement après toute la partie dangereuse ! C’était la première fois que je faisais de l’escalade en trad depuis plus de 3 ans, et ce fut un cheminement assez fou de voir à quel point on peut progresser rapidement lorsqu’on est entouré de tous les bons éléments.
Ces années-là, je grimpais des voies de plus en plus dangereuses parce que je n’avais pas la capacité physique de grimper autre chose
Au cours des dernières années, j’avais grimpé des voies de plus en plus dangereuses parce que je n’avais pas la capacité physique de grimper autre chose. Le fait d’avoir une bonne condition physique n’a pas seulement rendu possible la réalisation de voies plus difficiles, mais a aussi rendu l’escalade à nouveau amusante et excitante. Je me souviens très bien de ce nouveau sentiment de curiosité pour voir si je pouvais me battre et relever le défi, au lieu de la peur que j’avais toujours eu de tomber à cause de mon manque d’endurance;
Cette nouvelle approche du trad m’a finalement ramené à Rhapsody en 2014. Une voie que j’avais précédemment critiquée pour éviter de me rendre compte qu’elle était tout simplement trop dure pour moi ! Premier E11 au monde, ouvert par Dave Mc Leod en 2006, Rhapsody représentait bien plus qu’une voie difficile. C’était la réponse à une question à laquelle je ne connaissais toujours pas la réponse, et la gravir un matin venteux d’octobre m’a semblé être la fin d’un chapitre de ma vie. J’avais prouvé ma valeur à mes détracteurs, mais surtout à moi-même. Le ciel semblait être la limite une fois de plus, et j’ai commencé la même recherche qu’il y a quelques années, mais au lieu de chercher LA voie la plus difficile, je cherchais simplement MA voie.
Dans le domaine de l’escalade, le Trad est ce à quoi je reviens toujours. C’est ce dont je rêve et ce qui me pousse à travailler dur pour m’améliorer, année après année. Comme beaucoup d’entre vous en conviendront, le Trad est intense et complexe, il met à l’épreuve votre force mentale et votre logistique, et il n’y a rien d’autre qui lui ressemble, rien d’aussi complet. Cependant, c’est aussi lent et souvent lourd, et il est rare qu’il vous pousse jusqu’à votre limite physique. Je sais que si je veux me donner les meilleures chances de réaliser les choses dont je rêve, je dois ironiquement passer la majorité de mon temps à me concentrer sur d’autres styles d’escalade, juste pour être prêt pour ma prochaine voie trad quand les étoiles s’aligneront. C’est peut-être là la base du véritable amour : être capable d’accepter les défauts et de les dépasser.
Lorsque j’ai grimpé certaines de mes voies les plus difficiles, à l’époque, je n’avais jamais été capable de les enchaîner proprement en moulinette. Je m’appuyais sur une sensation magique qui apparaissait chaque fois que j’étais en danger, qui me permettait non seulement de rester calme et concentré, mais qui me donnait aussi l’impression d’être physiquement plus fort et plus précis. Aujourd’hui, j’ai toujours cette sensation, et je ne connais pas de moment plus calme que lorsque je suis sur une voie difficile, mais si la voie est vraiment dangereuse, je m’assure aussi qu’il n’y a pratiquement aucune chance que je tombe.
Devrais-je oublier mes velléités pour le trad maintenant que j’ai des enfants ?
Prenons Harder Faster comme exemple, une voie que j’ai faite en 2019 avec mon enfant de 2 ans dormant au pied de la falaise, c’est aussi une voie que j’avais jugée injustifiable en 2004 lorsque mon ami Toby en avait fait la 2e ascension. Décider de la tenter en 2019 peut donner l’impression que je suis devenu plus courageux ou plus stupide, mais en réalité, je suis juste mieux préparé, plus patient et plus calculé.
Le revers de la médaille ? La préparation supplémentaire pour l’ascension de voies comme celle-ci coûte maintenant à ma vie de famille. Pendant les deux semaines que j’ai passées à travailler pour Harder Faster, j’étais préoccupé et distant, concentré uniquement sur la voie, les mouvements, la météo et tous les petits détails. Pour justifier le risque, j’avais besoin que tout soit parfait, ce qui demande énormément de temps et d’énergie, même en dehors de l’escalade elle-même. Peut-être devrais-je oublier mes velléités pour le trad pour de bon, maintenant que j’ai des enfants, et arrêter de trouver le moyen de justifier des choses fondamentalement injustifiables ?
Jusqu’ici tout va bien… et puis arrive la cotation
Une chose que beaucoup de gens ignorent à mon sujet, c’est que bien que je sois assez doué pour gérer la pression d’une blessure grave ou pire, lorsqu’il s’agit de la pression de la performance pure, je peux être mon propre pire ennemi. Lorsque les conséquences d’un échec se résument à la nécessité de réessayer, je m’effondre souvent sous le poids de mes propres attentes. Même si j’adore ouvrir de nouvelles voies, qu’elles soient trad ou sportives, la partie escalade (faire la croix) consistait souvent à faire face à ce cycle de stress suffisamment longtemps pour que je me traîne enfin jusqu’à la fin de la voie. Ce qui est amusant, c’est qu’après avoir terminé un projet et ressenti le soulagement de clipper la chaine, ce purgatoire était simplement remplacé par un autre, que je trouvais en fait bien pire… la cotation !
Je n’ai pas toujours détesté coter. J’aimais beaucoup le processus d’évaluation de mes premières ascensions, liant un système alphanumérique rigide à une expérience humaine sur le rocher, mais l’affaire The Walk of Life m’a montré à quel point il était facile de se tromper, et aussi à quel point la réaction de la communauté peut sembler disproportionnée dans ce cas.
En fait, cela me fait sourire lorsque je prononce ces mots… « Mauvais »… et « Erreur », en relation avec les cotations, qui sont par essence basées sur l’opinion et les sentiments d’un grimpeur. Comment nos sentiments peuvent-ils être « erronés » ? Comment pouvons-nous avoir fait une « erreur », alors que tout ce que nous avons fait, c’est dire honnêtement comment nous avons ressenti une voie. Les gens seront peut-être surpris d’apprendre que j’utilise toujours un système de notation très similaire à l’époque, un système dans lequel je tiens compte du temps que l’ascension m’a pris par rapport à d’autres ascensions que j’ai faites. Croyez-le ou non, je pense sincèrement qu’il s’agit d’une méthode solide pour classer une ascension, tant que vous connaissez votre niveau dans chaque style.
si je ne fais pas attention, je redeviens égoïste en travaillant une voie difficile
Grandir exige un travail constant, et si je ne fais pas attention, je retombe dans mes habitudes égoïstes du passé, surtout si je travaille sur quelque chose de très difficile. Je dis souvent aux gens que l’escalade fait de moi une meilleure personne, mais ce n’est pas tout à fait vrai. L’escalade me rend heureux, mais elle peut aussi me transformer en monstre. Si j’étais vraiment désintéressé, j’envisagerais peut-être d’abandonner, mais si je le faisais, je suis presque sûr que je serais une personne horrible à côtoyer. Comme pour la plupart des choses dans la vie, il s’agit d’un équilibre à trouver.
Pendant longtemps, j’ai gardé rancune à la communauté des grimpeurs au Royaume-Uni pour la façon dont je me sentais traité, qui m’a semblé cruelle et disproportionnée. Je voyais souvent le Royaume-Uni comme mon hypothétique ex, une ex que j’aimais et que je détestais à la fois, et plus je faisais d’efforts pour la revoir, plus elle s’éloignait ! Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre ces émotions et faire la paix avec mon pays d’origine.
Le début des années 2000 était une époque très différente de celle d’aujourd’hui et je pense que nous avons progressé en tant que communauté en termes de tolérance et d’inclusion, mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Si nous sommes moins enclins à humilier publiquement les gens qu’à l’époque de ces terribles émissions télévisées, il y a encore beaucoup de choses qui se passent en privé, surtout cachées derrière l’anonymat de l’internet. Je sais que je ne vais pas changer le monde sur ce sujet, mais j’aimerais que tous ceux qui lisent ces lignes réfléchissent un peu plus à la manière dont nous nous traitons les uns les autres et réalisent que nos paroles peuvent avoir un impact important, même si nous ne les prenons pas au sérieux.
grimper en ayant des enfants m’a forcé à essayer de grimper des choses quand je le pouvais plutôt que quand je le voulais
Devenir père en 2018 aurait pu signifier la fin de l’escalade professionnelle, mais petit pas après petit pas, Caro et moi avons retrouvé notre chemin, non seulement en redécouvrant la forme perdue, mais aussi pour ma part en résolvant un grand nombre de problèmes qui m’avaient empêché de progresser pendant des années. Avec de jeunes enfants à charge et beaucoup moins de temps qu’auparavant, la pression de la performance semblait disparaître, et tout ce que je faisais devenait un bonus inattendu.
J’étais le plus grand snob au sujet des conditions, toujours à attendre « plus froid, plus sec », mais grimper avec des enfants m’a forcé à essayer de grimper des choses quand je le pouvais plutôt que quand je le voulais, et m’a montré que beaucoup de barrières que nous imaginons sont en fait de notre propre construction.
En 2020, ayant réussi mes bloc et voies sportives les plus dures, ainsi qu’une ascension rapide de Tribe, une voie trad en lice pour être la plus dure au monde à l’époque [voie ouverte par Jacopo Larcher à Cadarese en Italie et d’une cotation tournant autour de 9a, NDLR], j’ai commencé à penser que j’étais prêt pour quelque chose de nouveau. Après des années de recherche, je sais qu’il était très difficile de trouver un projet en Trad, et lâcher prise, accepter que je ne trouverai peut être jamais, m’a une fois de plus conduit exactement là où j’avais besoin d’être. Sans le luxe de pouvoir voyager où et quand nous le voulions, j’ai trouvé la voie qui allait devenir Bon Voyage à Annot, dans le sud de la France, juste à côté de l’une de mes premières ascensions les plus anciennes, cachée à la vue de tous.
L’ensemble du processus de travail de la voie a été le plus agréable de ma vie de grimpeur, parce qu’au lieu de me concentrer et de stresser sur la réussite finale, j’ai essayé de profiter simplement de chaque jour. Je me suis retrouvé dans une routine paisible, presque méditative, appréciant la régularité de l’activité, tout en regardant les saisons changer et mes enfants grandir. Je mentirais si je vous disais que je ne me suis jamais inquiété du temps qu’il faisait, de ma peau ou de mes petites blessures aux doigts, mais à chaque fois que je me sentais glisser, je parvenais rapidement à profiter du moment présent.
un jour je l’ai faite, la voie la plus difficile que j’aie jamais faite, et peut-être la plus difficile que je ferai jamais
J’ai essayé la voie par intermittence pendant deux ans, puis un jour je l’ai faite, la voie la plus difficile que j’aie jamais faite, et peut-être la plus difficile que je ferai jamais. Pendant deux semaines, je n’ai rien dit à personne, d’une part parce que je voulais avoir le temps d’assimiler mes sentiments seul, et d’autre part parce que je savais quelles questions m’attendraient une fois que je l’aurais faite. Les infos escalade en 2023 me semblent très réductrices, se résumant généralement au nom du grimpeur, au nom de la voie et au niveau, et j’espérais davantage pour Bon Voyage, car le processus qui l’avait sous-tendu avait eu une grande importance. Pour l’une des premières fois de ma vie, je me suis senti incapable de donner une cotation.
Run-out (section très engagée) dans Bon Voyage ©Raphael Fourau
E12
J’avais analysé chaque partie de l’itinéraire, en le décomposant en morceaux gérables et en essayant de réassembler ces parties pour donner une cotation. Ces calculs spécifiques et mon intuition initiale aboutissaient tous au même chiffre, mais ce chiffre me terrifiait tellement que je ne pouvais pas m’engager. Après quelques ascensions rapides de voies sportives en 9a, j’ai su que j’étais dans la meilleure forme de ma vie. Je pensais que le style de Bon Voyage me convenait bien et je savais que j’avais dû m’entraîner spécifiquement pour avoir une chance. Cependant, je ne connaissais que trop bien les difficultés liées aux premières ascensions, ainsi que la réaction potentielle de la communauté des grimpeurs britanniques si je commettais une autre erreur.
Je sais que je ne suis pas le même grimpeur, ni même la même personne qu’il y a quinze ans. Je sais qu’au final, la seule chose vraiment importante est que j’ai eu beaucoup de plaisir à grimper un bout de rocher incroyable. Je sais tout cela, mais je suis toujours hanté par le passé.
Cela a été un long et dur combat pour en arriver là, et si j’ai appris quelque chose au cours des quinze années qui se sont écoulées depuis The Walk Of Life, c’est que je pense que ce ne sera jamais fini. Je sais aussi qu’une vie à faire quelque chose que l’on aime est un cadeau incroyable, et je ne cesserai jamais de me battre pour cela. Je suis arrivé à un point où je me rends compte que je dois être courageux et que je dois exprimer mes sentiments, même si je risque d’être blessé.
La cotation de Bon Voyage ? Je pense que cela pourrait être E12.