En quête d’une belle croix en plein mois d’août, les membres du Groupe Militaire de Haute Montagne Max Bonniot et Léo Billon avec Benjamin Védrines cherchaient une voie difficile sans pour autant se prendre un sérac ou un pilier sur la tête. Après consultation de l’oracle Ravanel, le choix s’est porté sur l’Eiger, dont les contreforts sont désormais ironiquement un lieu propice à l’escalade estivale en T-shirt. Récit de l’ascension de Magic Mushroom, 7c+/600m, ouverte en 2007 par Christoph Hainz et Roger Schäli. ouverte Mise à jour du 12/09 avec la vidéo de l’ascension de la voisine Vida Es Silbar à la journée. L’Eiger sourit décidément au GMHM.
Partir à l’aventure en alpinisme (entendons celle avec un grand « A ») revient, dans l’imaginaire collectif de la montagne, à affronter de grands périls. Ces derniers, pour prouver leur bonne foi, doivent être naturels. Pour la partie objective de ces risques, notons l’effondrement de séracs variés, les chutes d’objets variés, les effondrements de voies variés ou encore les effondrements de bivouacs variés (si tant est que ce ne soit pas un peu déloyal de la part de Dame Nature d’attaquer aussi lâchement ses prétendants durant le Sacré-Saint sommeil de veille de course…).
Bref tous ces risques symbolisent, toujours dans une représentation classique, un combat de l’être humain « à la vie à la mort », pour paraphraser les écrits des années 50. De nos jours, certains perpétuent encore cet état esprit. L’ascension du Bottleneck au K2, exemple phare, pourra vous ravir si vous aimez tester le ressort d’une arme chargée en l’agitant devant votre tête. L’espoir de voir ses os vieillir dans une petite ville du bord de mer en prend un coup, certes, mais c’est quand même excitant cette petite dose d’adrénaline. En plus, avec la montée des eaux prédite par nos chercheurs Es-Réchauffement Climatique, les deux pourraient peut être parvenir à advenir un jour, même pour ceux ayant perdu à la roulette pakistanaise… Une prise de risque face à la montagne donc, mais certainement pas contre l’humain lui même! Exception faite bien évidemment de toute les pratiques processionnaires dans les voies fameuses où « les conditions sont excellentes à partir du moment où on passe en premier », qui engendrent bien évidemment d’autres risques dont l’objectivité subjective est bien difficile à prévoir. Bien que…. difficile à prévoir mais malgré tout fort plausible d’occurence.
Où grimper en août en altitude ?
Pour nous la recherche de la course parfaite tient plus de la couardise. À ce titre, quelle voie du massif pourrait se prêter à une ascension estivale en ce début d’août 2019 ? On entend ici par couardise la volonté de tendre vers zéro les risques de la Grande Montagne cités précédemment. Petite précision tout de même, le mois d’août en question propose l’équivalent d’un troisième mois de juillet consécutif sans regel. Cela mérite d’être noté. Nous nous renseignons donc pour les quelques secteurs du Mont Blanc avec une réponse souvent attendue mais tout de même irritante. L’impression acide de discuter avec le méchant d’Astérix chez les pyramides. Vous savez, celui qui confectionne le fameux gâteau empoisonné. Et bien voici à peu près le genre de dialogue qui pourrait vous arriver en discutant avec Ludo Ravanel du lieu de votre prochaine sortie (toute ressemblance physique entre les deux protagonistes étant fortuite bien évidemment) :
Dialogue (purement imaginaire) avec Monsieur Ravanel
Vous : « La traversée Pèlerins – 2 Aigles?... »
LR : « Non ! »
Vous :« La Walker ?! »
LR : « Nooon ! »
Vous : « Une nouvelle voie dans le Trident ! »
LR : « Non plus… »
Vous :« La traversée de la Brèche Puiseux avec nuit aux Périades, trop romantique ! » (ou trop bancal, ndlr)
LR : « NOOOOOOON! »
Vous :« Le pilier du Frêney? »
LR : « Non. »
Vous : « La face ouest des drus ? »
LR (avec un regard noir) : …
Vous (dans une ultime provocation insolente) : « Une voie dans la face nord de l’Eiger?! »
LR (inspiré par votre idée lumineuse, sur un ton perfide et appuyé) :« Ouiiiiiii ! »
Cette lutte avec l’élément montagne donc, que l’on qualifiera plus honnêtement de fuite, d’évitement ou même simplement de lâcheté, nous invite à nous faufiler entre les pièges massifs, perfides ou siffleurs tendus là haut. Visiblement, la face nord de l’Eiger retient l’attention du Méchant dans Asterix. À moins qu’il ne soit le Devin dans Asterix et le Devin ?… Soit. La réponse semble être helvète et calcaire. On file à l’ombre de l’ogre sans demander notre reste.
La fameuse face nord de l’Eiger que l’on prétend grimper en été peut, à raison, se sentir injustement conquise. Il convient de rappeler qu’aucune des voies habituellement escaladées en conditions estivales ne débouche au sommet du géant hélvète. Les lignes sont toutes excentrées sur la droite et se terminent sur la crête ouest dont la descente facile fait glisser ce monument de l’alpinisme mondial vers une pratique plus proche de celle de la grande voie. Big wall disons pour les voies les plus longues. Ces dernières peuvent toujours s’attaquer de manière classique par le début de la fameuse voie Heckmair, ouverte il y a plus de 80 ans. Mais vous allez le voir, notre couardise précitée ne nous l’autorise pas !
Leurs tentatives d’ouverture estivales commençaient tranquillement par remonter une pente d’herbe grasse où des ruminants dociles agitaient nonchalamment leur grosse cloches Milka. Jusque là rien de bien nouveau en Suisse. Mais, quelques centaines de mètres plus haut, le crissement des godillots à clous, les « Mann Sheisse », « Versteckt euch ! » « Nein Frida !! », emplisssaient la montagne. Dans cette version années 30 de la Guerre des Etoiles, lapidation n’était pas un vain mot. On atteint à cette époque le meilleur ratio Tentative/Décès existant dans l’Histoire de l’Alpinisme, frôlant la quasi perfection. Pour éviter de suivre le même destin balistique que nos anciens, nos « moins anciens » décidèrent simplement de ne plus y aller en été ce qui, sur le papier, paraît logique. Sauf que quand même, nous on aimerait bien y grimper dans cette face nord en été…
Le calcaire verdonesque de la longueur-clé de Magic Mushroom. ©GMHM
Arrêt Dynamite loch
Jugeant que le progrès humain est toujours positif (ce qui peut effectivement être débattu), nous décidons de suivre la pensée dominante actuelle. Nous ne grimperons pas la voie Heckmair en chaussons. Pour découvrir le calcaire suisse, Magic Mushroom semblerait proposer un échauffement adéquat et dénué de risques (en tous cas pour les séracs…). Mais pour l’accès ? Et bien nos voisins et amis helvètes n’ont pas fait les choses à moitié. Pour nous permettre le luxe de cette escalade sans nous rayer le casque, ils ont prévu un accès estival bien à eux. En traçant ni plus ni moins qu’un tunnel à l’intérieur de la face, ils nous permettent de déboucher sur les voies par quelques fenêtres bien placées… La rigueur suisse allemande a donc parfois du bon !
C’est donc sur ces entre-faits que Léo Billon, Benjamin Védrines et moi filons dormir à Eigergletscher pour un bivouac à thème. Celui ci sera, « retour dans le monde des machines de Matrix » et si possible dans un taux d’humidité à vous faire poindre un début d’arthrite. Nous trouvons, dans un chantier désert, une chambre forte destinée au stockage de dynamite. Un cadre chaleureux pour y passer la nuit, avec un panorama qu’on pourrait qualifier de sordide puisque nous ne distinguons pas la pelle mécanique géante, pourtant à 20 mètres. La quiétude de notre chambre colle bien avec le nom du trou par lequel nous nous excaverons demain, le fameux «Dynamiteloch »… Alors que nous nous endormons paisiblement, j’espère seulement qu’un courant d’air ne claque pas d’un coup la porte hermétique de notre abri… Je me retrouve malgré tout deux fois à me réveiller en sueur, une fois parce qu’évidemment j’ai trop chaud en doudoune dans mon duvet, une seconde en étant persuadé d’avoir entendu la pluie tambouriner sur la blindage de notre Bed and Breakfast. Bref, vous avez dit anxieux?
Pour permettre le luxe de cette escalade sans nous rayer le casque, les Suisses ont prévu un accès estival. En traçant ni plus ni moins qu’un tunnel à l’intérieur de la face.
Finalement lorsque le réveil sonne, avec toujours autant envie de m’en extirper que de me pendre, je me dis que les bivouacs c’est un truc de jeunes… Et que je dois tomber du côté des moins jeunes. J’arrête rapidement cette sombre réflexion et saute devant un délicieux petit dej lyophilisé dans lequel je mets, encore une fois, trop d’eau. Bref il faut en découdre, le ciel est étoilé et nous n’avons plus d’excuses. Nous cachons nos affaires et sautons dans le tunnel pour rejoindre l’ouverture du Dynamiteloch. Clairement l’approche à Eccles fait vraiment figure de sadisme pur comparée à celle ci!
Approche « guidée par la couardise« . ©Jocelyn Chavy
Magic Eiger
En trente secondes nous sommes sortis au grand air de la face nord, prêts à grimper. Personne dans notre ligne et déjà la belle ambiance Eigernordwand nous enveloppe. Une petite mer de nuage sur la vallée de Grindelwald se pare de ses dorures matinales. Nous grimpons ainsi les premières longueurs de ce calcaire ambiance haute montagne. A les entendre, depuis 1938, ils n’ont toujours pas changé les cloches de leurs production chocolatière. Cela donne un charme certain à cette escalade… Les mouvements s’enchainent sur fond de roc ciselé et magnifique, la raideur nous surprend. L’équipement y est excellent, à la sauce école d’escalade, et permet d’apprécier la beauté des mouvements souvent athlétiques et aériens sans se faire peur. Les dix dernières longueurs sont à coup sûr les plus belles, on pourrait croire l’Escalès perché à 3000.
Nous débouchons sur la vesse de loup sommitale onze heures après notre excavation en enchainant en libre ce bel itinéraire (et sans prendre de baseux sur la tête, ndlr). Le cadre original épice le tout pour un rendu assez exceptionnel. Une voie d’escalade, presque sans risques objectifs dans l’ambiance d’une grande face, voilà qui nous ravit. Cette incursion suisse nous permet surtout de prendre la température pour tenter une des grandes voies alpines estivales de la face. Situées plus à gauche, elles sont plus longues, moins équipées et surtout plus difficiles techniquement. Leurs noms : La vida es Silbar, Odyssée, Paciencia. Elles font le rêve de plus d’un alpiniste. Leur exposition aux risques objectifs et aux risques d’écroulement les rendent bien plus attractives que les voies du massif du Mont Blanc par canicule. Le devin l’a prédit, ce sera notre prochain projet.
Nous débouchons sur la vesse de loup sommitale en onze heures en enchaînant en libre ce bel itinéraire (et sans prendre de baseux sur la tête, ndlr )
Pour la traversée des aiguilles de Cham à l’envers on ne lui avait en revanche pas posé la question avant de partir en suisse mais apparemment une partie du Caïman s’est ébrouée entre temps et il faudra trouver un nouveau cheminement. Alors pour l’été les contreforts de la face nord de l’Eiger restent à coup sur un bon plan « alerte canicule ». Certes ce ne sera pas l’aventure avec un grand « A » entre les séracs, les chutes de pierre et les écroulements. Mais ce petit « a » là nous aura largement rassasié. Vive les vaches Milka.
« Pas la peine, les copains l’ont fait il y a quelques jours ! « ©GMHM
Mise à jour : Quelques semaines plus tard, le GMHM est de retour à l’Eiger, en la personne de Max Bonniot et Léo Billon. Ils tentent à vue, en libre et à la journée la fameuse Vida es Silbar – dont la première ascension en libre et à la journée a été signée cet été par le spécialiste des lieux Roger Schäli avec Sean Villanueva. Finalement les deux français ne passent pas à vue le crux en 7c+ de la 7ème longueur, mais réussissent à sortir dans la journée, en ne connaissant pas du tout la voie, 700 mètres de haut et pas mal de longueurs dans le 7ème degré. Chapeau ! Et ils le racontent avec humour dans la vidéo ci-dessous.