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The High Ways

Parapente et escalade à travers les Alpes

Sous leurs voiles de parapente ou perchés sur le rocher des Alpes, Philippe Collet et Fabien Blanco se sont donnés 23 jours pour boucler la traversée aller-retour d’Annecy jusqu’au Dachstein en Autriche. Une histoire d’amitié de haut vol avec ses doutes, ses joies et parfois ses frayeurs. Adaptation et plaisir pour une traversée d’un bout de l’arc alpin au gré des vents. The High Ways, histoire d’un voyage inachevé qui fait d’autant plus rêver.

Depuis pas mal de temps une pulsation sourde et diffuse résonne en boucle dans mon esprit, sans que je ne puisse mettre le doigt dessus. Jusqu’à ce jour où, arrivant au sommet du Schreckhorn, je ne prenne conscience de mon désir d’espace. Cette nécessité impérieuse de vivre, encore une fois, en intimité avec les montagnes, voilà le sens de cet écho ! Il y a longtemps que cette voix n’était plus qu’un chuchotis discret. C’est ainsi que va naître le projet des Highways. Une aventure alliant vol, marche, escalade et alpinisme sur une traversée au long-court. L’objectif initial étant de réaliser une boucle aller-retour au départ d’Annecy jusqu’au plus septentrional des massifs Autrichien, le Dachstein … en 23 jours. Ambitieux, je le confesse, mais terriblement excitant ! Et puis j’aime bien l’idée d’essayer de faire un trip où les moyens de déplacement soient « soft ». Je ne suis pas un intégriste de l’écologie, mais je crois qu’il est important que chacun puisse s’exprimer sur le sujet, à sa manière, comme il le peut. Ce genre de combo semble redéfinir le périmètre de l’aventure pour les années à venir. C’est motivant ! Durant l’automne j’évoque le périple avec Fab, il m’affirme être intéressé. A dire vrai, je n’ai pas trop réfléchi à l’idée d’un partenaire : il faut être capable de voler, grimper, dégager du temps, un gars qui soit également prêt à mettre de l’eau dans son vin. Ce genre de personne ne se trouve pas comme ça, en balançant un coup de pied dans une poubelle ! De plus, voler ensemble dans ce type d’aventure, c’est un peu comme faire du solo à deux en alpinisme : si l’autre tombe on est aux premières loges. Derrière il faut en assumer les conséquences morales et psychologiques. Et pourtant ! Je n’hésite guère. On se connait bien, on se ressemble, notre vision est souvent la même et quand elle diffère nous arrivons facilement à nous accorder. J’échange mon désir de solitude pour une belle envie d’amitié. Et ce n’est pas plus mal car, au final, la solitude n’aurait-elle pas été qu’un repli narcissique ? un leurre pour celui en quête de lui- même ? Bon allez, les introspections ce sera pour une autre fois, place à l’action.

L’objectif était surtout de donner aux gens l’envie de refaire cette traversée

Le duo on the High Ways : Philippe Collet et Fabien Blanco. ©The High Ways

Préparation

Durant le printemps il a fallu déterminer les itinéraires possibles à gravir. Prise de tête, pas facile : il y a tant de belles choses dans les Alpes. Le choix fut donc nécessairement arbitraire, mais je laissais la porte ouverte à l’adaptation au regard de ce que je pouvais connaitre sur le fil de cette ligne. Ce qui est génial c’est que les fabricants ont fait de tels progrès en matériel d’alpinisme léger qu’il est aujourd’hui possible d’avoir un équipement complet (cordes fines, friends allégés, crampons…) pour la moitié du poids d’il y a 10 ans. Mais préparer ce genre de trip c’est aussi se plonger dans des considérations d’éthique, de stratégie et de gestion du risque … sans se raconter d’histoires. Nous avons choisi de ne pas prendre de radios, chacun ses décisions en vol, mais de bons briefings en amont pour envisager les options et déterminer des points d’attente. Pour ma part je n’ai pas voulu emporter de balise type « spot », je souhaitais me mettre psychologiquement dans un contexte de cross sans option de suivi ou de déclenchement d’aide à distance. Chaque jour, il était important de prendre la mesure du niveau d’engagement que le moins en forme des deux pouvait assumer. Il me semble que ce paramètre est parfois négligé ou que l’on n’en parle pas assez. Coté bouffe, du classique light pour 3 à 4 jours, quelques barres pour le vol, le réchaud pour l’un, le gaz pour l’autre. Un petit matelas autogonflant, un sac de couchage léger, un tarp. Au final des sacs de 22kg. Dur de faire moins !

Impérial sous sa voile, 500m plus haut, Fab nous snobe.
Je le hais sincèrement.

Départ

Problèmes d’emploi du temps, de voiture, c’est en volant de Chamonix que je pars vers Annecy pour retrouver mon compère dans les airs. Une fois revenus vers Cham, nous embrayons sur l’ascension du « Royaume de Nour », une belle voie ED de 700m, sur le Pilier de Platé. Le lendemain Rémi Vignon nous rejoint pour partager un bout du trip. Avec un vent du nord fort nous nous faisons tordre au-dessus de Martigny, coin très « sympa » … Fab atterrit limite marche arrière, Rémi se fait peur sous le vent d’une crête et je prends une belle fermeture à 100m/sol et termine pendu entre deux rangées de pommiers. Armand Charlet parlait de l’audace réfléchie … voilà, c’est ça, on y est … Marche, bivouac, re-marche … Avec Remi nous réalisons un superbe cross de 100 bornes où il faut bien se bagarrer. La vallée du Rhône n’offre que peu d’atterros de secours et l’idée de finir délicieusement empalés sur un tuteur de vigne nous motive grandement à serrer toutes les bulles. On se met un bon combat. Impérial, 500m plus haut, Fab nous snobe. Je le hais sincèrement. Après avoir bien guerroyé nous nous retrouvons vers l’Aletschgletscher pour finir le vol ensemble. Remi et moi posons à côté du refuge des Salbitschijen, à deux pas d’Andermatt. Fab s’écrase dans une contre-pente. Pas de bobo, mais y’a une justice ! Le lendemain tandis que le soleil illumine la face Est du Dammastock, nous gravissons les 400 mètres de l’élégante arête sud. Remi, lui, part retrouver sa copine. Merci ! Ce partage de moments drôles et intenses fut vraiment sympa !

Parfois, il y a des High Ways plus hauts que d’autres … ©The High Ways

À l’est, du nouveau

Notre duo repart vers l’Est entre deux périodes d’averses. Vers Chur une bonne dégueulante me pose au sol tandis que mon jumeau s’échappe. Je multiplie marches et vols pour continuer à avancer. Fab m’appelle du sommet d’une montagne, il erre et doute de sa trajectoire vers le point de rendez-vous. J’essaie de lui donner des indications. Je connais la Suisse comme ma poche, mais le guider sur la base d’infos aléatoires est compliqué. Malgré tout nous réussissons à nous retrouver à Davos juste avant l’orage. Coup d’œil vers la Bernina, la traversée de l’Engadine se fait de nouveau entre nuages orageux et éclaircies. En arrivant vers Innsbruck un gros doute nous assaille : il est possible de voler proche de la cité autrichienne, mais c’est aux abords d’une TMA (aéroport). Nous n’avons pas d’information sûre, dans le doute nous choisissons de traverser la vallée à pied. Après une bonne bouffe, les copains d’Air Design nous laissent dormir dans leurs locaux. Gros confort, nous en profitons pour étudier la suite du parcours et faire un peu de couture. Je prends un kif géant à contempler tous ces sommets que j’ai pu fréquenter soit à pied soit à ski. Il y a tellement d’autres belles montagnes à explorer, je grave des tonnes de notes dans ma petite tête.

Bivouac sous tarp sous les Tre Cime di Lavaredo. ©The High Ways

Soudain je m’aperçois que quelque chose cloche. Je comprends que le vrac, car c’en est un, va aller jusqu’au sol.

Fini le repos retour à la marche dans la verte vallée du Zillertal. Après un bivouac où nous réussissons à nous abriter d’un vent à décorner les bœufs, nous prenons notre envol au-dessus de Gerlos. Taquins, nous collectionnons les thermiques sous le vent. Pas le choix : le vent du nord joue toujours avec nous et oblige à être audacieux.  Le vol est splendide : des vallées et montagnes somptueuses se dévoilent. Ce serait classe d’emmener des pilotes ou des clients en raid à ski pour découvrir ces petits coins magnifiques ! Conscients que nous sommes de sales enfants gâtés, nous dévorons ces moments avec gourmandise, des paillettes plein les yeux. Finalement nous atterrissons à deux pas de Zell am See, une sorte d’Annecy autrichien. La soirée se passe dans les rues de la ville, c’est la fête de la musique et nous passons d’un orchestre à l’autre. La bière coule en abondance, tradition oblige. Le lendemain, bien hydratés, nous repartons fringants. Face à l’immense paroi calcaire du Hochkoenig nous avançons vers notre point situé le plus loin à l’Est : le Dachstein. Peu fréquenté par les pilotes et grimpeurs francophones, cette chaine offre pourtant des possibilités gigantesques dans tous les domaines de l’outdoor. Les hébergements sont de très bonne qualité et restent très abordables. Nous campons au pied du massif. J’avais espéré pouvoir gravir les 1000 mètres du Hohe Dachstein, mais la météo est trop incertaine. Nous nous rabattons sur une ballade le long des arêtes.  Un choix stratégique s’impose : soit rester et patienter pour une amélioration pour grimper la face ou continuer à avancer. Nous n’avons que très peu de marge de manœuvre. A regrets nous basculons vers le sud. Je suis malheureux de ce coup du sort, j’attendais avec impatience cette belle course. Bah, faut rebondir !

Au loin, les montagnes. Objectif : les traverser. ©The High Ways

Témérité

On nous avait vendu Greifenburg comme un must de la région. S’il est vrai que cette vallée est jolie, les conditions quand nous arrivons sont violentes. Quand tout est en place ce doit être très intéressant, mais là le vent « burle » au taquet. Pourtant nous assistons, hallucinés, au décollage d’un parapentiste dans ces conditions dantesques. Bien qu’amateurs d’acro nous n’avons aucune envie de tester la machine à laver géante dans laquelle le type vient de se jeter. La chance sourit aux innocents, le pilote s’en tirera sans blessures. Téméraires mais pas fous, nous restons fidèles à nos règles d’engagement et, petits joueurs, nous repartons à pied. Sans doute par besoin de se défouler, Fab accélère le pas pour prendre un rythme façon « Bornes to Fly ». Courir sur une route me pète profondément le bonbon, c’est d’ailleurs pour ça que je ne fais pas de compète « marche et vol » ; du coup je le laisse me distancer, on se retrouvera pour les pâtes. Finalement la partie la plus dangereuse est peut-être celle-ci. Avec mon sac gros comme un cochon, marchant sur une route sans bordure, je flippe à chaque fois qu’un camion me frôle en roulant à tombeau ouvert. Vivement que je retrouve les sentiers escarpés de mes montagnes, ça calme tout le monde. Nous atteignons Lienz en soirée, un beau bivouac sur les abords d’une piste de ski nous accueille. Ici c’est l’un des carrefours des autoroutes du vol de distance, croisons les doigts pour les conditions à venir. Le lendemain matin une bonne marche nous mets en jambe, mais le déco en altitude est juste royal : chaque goutte de sueur en valait la peine. L’extraction est un peu teigneuse, mais une fois parti ça marche du tonnerre. En dépit de quelques points bas nous avançons très bien.  La vallée de San Candido est un véritable joyau pour le vol libre, il faut absolument y revenir ! Devant nous les Dolomites commencent enfin à se révéler.

Reliefs, nuages, vents… Autant d’éléments avec lesquels jouer. ©The High Ways

Dolomites

En vue de Bruneck nous tirons vers le sud, dans l’espoir de pousser jusqu’à Canazei. Les fantastiques tours des Tre Cime nous saluent, les plafonds sont incroyables, nous flirtons avec les 4000m. Je cherche Fab du regard, il est un peu plus loin devant moi. Soudain je m’aperçois que quelque chose cloche. Je pousse le barreau pour me rapprocher. Il perd de l’altitude. Satellisé, j’attaque des spirales pour le rejoindre. Je sors mon tel et essaie de le contacter, no news. Toutefois il ne semble pas vouloir tirer le parachute de secours, ce qui ne me surprends pas vu la géographie hostile que nous survolons. Je comprends que le vrac, car c’en est un, va aller jusqu’au sol. J’alterne entre 360 engagés et phases ou je le garde en contact visuel, tout en cherchant à alerter les secours. Il disparait dans la forêt. J’accélère la cadence et me pose à l’arrache dans un pré. Je saute hors de la sellette et me rue vers le petit village en dessous. Pas de contact tel. Ça m’inquiète. Très vite un quad arrive avec un gars du Secours Alpin. Ils ont été efficaces. Je l’oriente dans les bois et rapidement nous retrouvons notre héros, indemne. Tel un écureuil agile, il a eu le temps de sortir de sa sellette et descendre de son arbre. S’en suit une sympathique séance d’élagage pour récupérer l’aile. Pas de bobo… allez , on continue par voie terrestre jusqu’à Corvara. Nous finissons par installer le bivouac sous le Passo Gardena, au pied de notre objectif du lendemain. La soirée se passe en débriefant l’incident de vol, merci l’expérience et les séances de SIV (simulation d’incident en vol).

 

 5h30 du mat, réveil. Nous nous hâtons lentement vers la Torre Bruneck. Une belle grimpe nous tend les bras : les 500m de la voie « Ottovolante ». Je sens que mon pote paie moralement la mésaventure de la veille, dur de s’engager loin au-dessus des points.  Je garde le leadership, aujourd’hui l’important c’est qu’il puisse profiter. Et il y a de quoi : la voie est juste splendide. Le caillou, les mouvements, la vue, quelle chance de pouvoir s’enthousiasmer ainsi ! Une cordée d’alpinistes de l’Alta Badia partage avec nous ces moments heureux. En fin d’après-midi nous poussons jusqu’au Passo Sella où nous faisons une chouette séance de gonflage-soaring en compagnie de pilotes de Campitello. La nuit sous nos tarp, au col, m’est un peu difficile. Le vent souffle, je me caille. Re-départ tôt pour aller réaliser une voie d’un monstre de la montagne : la Via Messner, en face nord de la 2e tour de Sella. J’attaque. Dès le début je sens que je suis dans le dur. Je me traine comme une grosse limace baveuse le long du rocher. Au bout d’un moment Fab me propose de redescendre. Mais nooon ?! je connais cet itinéraire pour l’avoir fait lors de stages Ensa. Je vais pas abandonner dans ce type de difficulté ! je pousse vers le haut, mais rien n’y fait. En pleine viscosité mentale chaque mètre gagné me coute une énergie folle. Le ciel se couvre, Fab me relance pour descendre, je craque comme une crotte.  Nous passons la fin de journée à faire le point en buvant quelques Radler. 

« En plein viscosité mentale », la Radler appelle. ©The High Ways

Je réalise que je suis totalement impacté par la fatigue morale et physique de ces 18 derniers jours. Fab est dans le même état. Nous prenons un jour de break pour réparer le matos et étudier la suite. Il nous reste une petite semaine pour boucler ce trip si on veut le considérer comme je l’avais imaginé, à savoir revenir sur Annecy. Il nous faudrait des conditions de l’espace or ce n’est pas, mais alors pas du tout, la prévision. La météo joue contre nous et les effets psychologiques du vrac de Fab se font sentir. La combativité est en baisse face à l’improbabilité de boucler le projet d’origine. D’un commun accord nous décidons de continuer vers le sud, en tentant une ligne vers la Slovénie. J’avais écrit que nous partions sans doute pour un « voyage inachevé », la situation me donne raison ; mais c’était une perspective qui était acceptée. Elle fait partie du jeu.

On remâche la pression, direction le sud. ©The High Ways

Go south

Du col de Rodella l’extraction est un peu compliquée : le nord, par moments très fort, couche tous les thermiques. Il faut être malin et opportuniste. Je commence à pousser vers les Pale di San Martino alors que Fab est encore à ratasser sous le SassoLungo. Vu son niveau de pilotage, je ne doute pas qu’il réussisse à sortir. De toute façon nous avons des positions d’attente prédéterminées. En arrivant vers San Martino di Castrozza nous sommes ensembles, puis nous choisissons deux lignes différentes pour passer le dernier chainon qui nous dissimule Feltre. Je me retrouve dans les nuages, devant moi une chaine de montagne avec un seul col. Vu mon altitude, deux options : le col ou demi-tour. Je décide d’avancer, les yeux rivés sur la boussole et l’altimètre. Quand les nuelles se dissipent je respire. J’arrive le premier sur le superbe atterro local. Fab me suit de peu, le gourmand s’est arrêté pour une pause Coca sur un refuge de montagne ! Nous repartons aussi sec en direction de Bassanno dal Grappa que nous atteignons à la nuit tombée. Le bivouac est jeté en vrac. Erreur ! Tout d’abord nous n’avons pas anticipé que nous sommes beaucoup plus bas : il fait une chaleur à crever et nous perdons des tonnes d’eau. Double effet kiss cool : des myriades de moustiques nous assaillent. Je suis dévoré vivant. Je hais ces bestiaux ! Le lendemain matin nous montons au déco. Là-bas vers le Levant, la Slovénie nous tend les bras. Je suis motivé comme jamais par cette belle idée. Mais après quelques heures sous nos ailes il faut se rendre à l’évidence : entre les plafonds bas et le vent qui nous contre, cela va prendre du temps. Beaucoup de temps…Or, nous n’en avons plus guère. En quelques mots la décision est prise et c’est la mort dans l’âme nous allons nous poser. Il nous faut ensuite composer avec les horaires de train et bus pour le retour. Et en Italie c’est parfois une autre forme de compétition ! Après une journée de voyage nous voici de retour à Cham. Le lendemain, histoire de boucler notre aventure de manière sympathique, nous repartons sur Annecy en volant. Je quitte Fab peu après le Charvin et me dépêche de rentrer à la maison. 17h, j’affale mon aile sur le champ du Savoy, achevant ainsi un trip de 22 jours. J’ai des images plein les yeux et je sens déjà poindre une furieuse envie de recommencer, plus loin, plus haut … ailleurs.

Pause farniente avant décollage. ©The High Ways

Un Grand merci à mon pote Fabien Blanco, Nicolas Cochet et le team Air Design, toute l’équipe de Kortel Design.