fbpx

30 ans de Bourses Expé : le Grand Prix 2023 pour Jérémy Bigé et le film de son aventure dans les Monts Célestes

Photo Jérémy Bigé

Les Bourses Expé fêtent cette année leur 30ème anniversaire. Si les lauréats de l’édition 2023 sont encore en expédition à l’autre bout du monde, les lauréats 2022 sont revenus pour présenter leurs films lors d’une soirée spéciale au musée de Grenoble : le Grand Prix des Bourses Expé by Cabesto. Et cette année, le jury composé de membres du public a choisi de récompenser le dernier film de Jérémy Bigé : Fils du vent, 2000 km à pied des Monts Célestes au Pamir.

L’aventurier Jérémy Bigé revient cette année avec le film de son dernier projet : 2000 km de marche du Kirghizistan au Tadjikistan. Pour Alpine Mag, Jérémy Bigé est revenu sur la genèse du projet, ses plus beaux souvenirs lors de son voyage et sur la manière dont il conçoit ses aventures et ses films.

D’ores et déjà, le film est programmé dans plusieurs festivals, notamment aux Rencontres Ciné Montagne de Grenoble du 7 au 11 novembre 2023, à l’Xplore Alpes Festival de Bourg Saint Maurice, au festival de Banff fin octobre au Canada et au Festival International du Film et du Livre d’Aventure de La Rochelle en novembre.

Jérémy Bigé reçoit le Grand Prix des Bourses Expé 2023 au musée de Grenoble. ©Calvin Leclere

Alpine Mag : Quelle est ta réaction après avoir remporté vendredi le Grand Prix 2023 des Bourses Expé ?

Jérémy Bigé : De la reconnaissance. Pas forcément de l’aventure en soi, mais du film. Derrière, il y a du travail et de l’implication personnelle. J’ai réalisé 80 % du film, je sais la sueur que cela a entraîné derrière. Je suis fier du résultat car j’arrive à un produit fini et des souvenirs ancrés dans un fichier. Et que ce soit reconnu par des gens extérieurs, ça fait plaisir. J’ai réussi à transmettre les émotions que je souhaitais transmettre. On a l’impression qu’une activité pédestre ça va être assez monotone, mais au final il se passe plein de choses, notamment émotionnellement. Et l’enjeu c’était de transmettre cela dans le film. Je pense que si le film plaît aux gens c’est parce qu’ils s’identifient au personnage qui passe un peu par tous les états d’esprit.

C’est un projet de combien de temps entre l’idée et la récompense du Grand Prix 2023 des Bourses Expé ?

C’est deux ans. Mais je pensais aller en Asie centrale depuis bien plus longtemps. Mais le projet est né concrètement à l’automne 2021. Puis il a fallu préparer le projet, avec beaucoup de travail de cartographie, jusqu’à la fin de l’hiver 2022. Et puis je suis parti de juin à septembre 2022. Puis j’ai derushé directement en octobre 2022, pour un export final du film en juillet 2023. J’ai fait appel à quelqu’un pour travailler sur le son. Puis j’ai sollicité une dizaine d’inconnus pour avoir leurs avis sur les différentes versions du film et prendre en considération leurs retours.

J’avais le sentiment d’être privilégié de voir tout ça

Quel est le plus beau souvenir de ton aventure ?

Je dirais le fait d’avoir bien réussi à m’immerger dans la culture locale. Les nuits chez l’habitant c’est bien 50% de mes nuits. Souvent ça fait un peu peur de partir seul, mais c’est aussi la clé d’entrée pour m’intégrer au sein des familles de nomades et voir comment ils vivaient, me fondre un peu dans le décor. Le fait d’arriver tout seul avec mon petit sac à dos, sans énormément de matériel, c’était une façon assez simple d’arriver. Sans superflus. Ça simplifiait vraiment nos relations. J’ai dû côtoyer des gens qui n’ont peut-être jamais été en contact avec des occidentaux. J’ai pu voir des pratiques nomades qu’on ne voit pas tous les jours non plus. J’avais le sentiment d’être privilégié de voir tout ça.

Traversée de la rivière Vanjrud, suspendu à des câbles. On nous avait prévenus. La traversée des rivières au Tadjikistan peut s’avérer périlleuse. Ici, un pont de singe a été installé. Ouf ! ©Aubin Durif

Comment prépares-tu une aventure comme celle-ci, notamment sur le plan matériel ?

Pour remettre les choses dans leur contexte, je ne pars pas pour faire un film. Je pars avant tout pour l’aventure en soi. Et le film, ça vient en plus. Donc je ne suis pas prêt à partir avec 5 kilos de matériel vidéo. Ce serait en contradiction avec ce à quoi j’aspire : dépendre de moins de matériel et d’énergie possible. C’est donc plutôt pour pallier la frustration de ne rien avoir à partager à mon retour que je fais un film.

Puis j’ai vu que la façon dont je racontais mes aventures pouvait plaire. Mais la GoPro à ses limites. Et lors de la formation photo/vidéo avec Alpine Mag, j’ai appris comment ramener des images plus qualitatives et professionnelles tout en restant moi-même avec un sac léger. Donc j’ai gardé la GoPro, couplée cette fois à un compact léger. Je n’y connaissais rien. Et sur trois mois, au fur et à mesure, même sans avoir lu la notice, tu découvres des trucs, tu testes des choses. Et entre mes premières images de la marche et les dernières, il y a une différence.

Et pour le matériel de randonnée, c’est propre à chacun. Certains vont avoir des besoins que d’autres n’auront pas, et inversement. Moi je me connais bien à force, et c’est ça qui me permet d’avoir une liste de matériels assez sobre.

Est-ce que la Bourse Expé entraîne une pression ?

Non, il n’y a pas d’obligation de résultat. Il faut s’écouter. Si l’aventure prend une tournure différente pour une raison physique ou morale par exemple, on reste libre dans nos choix.

Mais le règlement impose de réaliser un film de quinze minutes. Et le film de quinze minutes je ne sais pas si je l’aurais fait s’il n’y avait pas eu les Bourses Expé. Peut-être que je n’aurais que fait le film de 52 minutes. Mais en même temps je ne regrette pas du tout de l’avoir fait. Parce que cela permet au film d’être sélectionné dans des festivals où la version longue aurait été de trop, comme par exemple au Banff au Canada.

faire voyager les gens depuis leurs fauteuils

Pourquoi fais-tu des films de tes aventures ?

Suite à la traversée du Népal en 2018 pendant 6 mois, dont trois mois de marche, c’était mon premier grand voyage, le retour a été hyper brutal. Et le fait d’en avoir fait un film a posteriori, ça a permis de lisser ce retour, le rendre plus facile et prolonger un peu le projet. Après c’est sûr qu’il y a une part d’égo derrière. Ça flatte l’égo de montrer ce que l’on a fait, et dont on est fier. Après je sais que mes films vont donner envie de partir au Kirghizistan et au Tadjikistan, et ça j’en suis responsable et conscient. J’ai cette difficulté d’essayer de limiter mon utilisation de l’avion et assouvir mes pulsions. Mais le but est aussi de faire voyager les gens depuis leurs fauteuils.

Qu’est-ce que les Bourses Expé t’ont apporté ?

C’est la reconnaissance du projet avant tout. Il y a des grands noms qui y sont passés. C’est que le projet est ambitieux et que je ne suis pas dans ma zone de confort. Ça donne de l’élan pour se donner à fond dans le projet. Plus concrètement, l’apport financier de 1000 € est considérable pour un petit projet comme le mien. C’est à la fois un soutien moral et financier.

Quel film aurais-tu voulu récompenser ?

Je salue vraiment le film de grimpe, Les amateurs/trices font du Big Wall [Escalade et Alpinisme à Oman avec Pauline Champon, Catherine Cadieux, Baptiste Traddotti et Amaury Fouillade, NDLR]. Le film permet de rentrer dans l’intimité de cette aventure sans que ce soit un film à gros budget. Et parfois ça fait du bien aussi des films comme ça. Ça permet vraiment de s’identifier aux gens qui sont dedans.

Les 4 films des lauréats 2022

  • Le Nun à ski, Alpinisme et ski en Inde avec Jules Socié, Damien Arnaud, Mathieu Moulier, Adrien Rui, Aurélien Collet.
  • Nagalaqa, La voie arctique. 2022. Voilier, entre le Canada, le Groenland et le Svalbard (Norvège) avec Sébastien Roubinet, Jimmy Hery, Éric André.
  • Des Monts Célestes au Pamir, Randonnée / Trek au Kirghizistan et Tadjikistan avec Jérémy Bigé.
  • Les amateurs/trices font du Big Wall, Escalade et Alpinisme à Oman avec Pauline Champon, Catherine Cadieux, Baptiste Traddotti, Amaury Fouillade.

Le Nun à Ski. Retour au camp de base avancé après avoir skié une partie de l’arête Nord. ©Adrien Rui

Nagalaqa, la voie arctique. Voilier, entre le Canada, le Groenland et le Svalbard (Norvège) avec Sébastien Roubinet, Jimmy Hery, Éric André.

Fils du Vent. Vallée de Kamarob. Longue vallée encore habitée par quelques bergers qui nous mettent bien en garde contre les ours. ©Aubin Durif

Les amateurs/trices font du Big Wall. Catherine, Baptiste et Pauline au camp de base du Jebel Misht. ©Amaury Fouillade

6 expés qui ont marqué l’histoire des Bourses Expé

Depuis 1993, les Bourses Expé ont soutenu les projets de 800 aventuriers dans 175 expéditions. Certaines ont marqué l’histoire de l’aventure et de l’alpinisme :

  • En 2010, Benjamin Guigonnet et Fred Degoulet (tous les deux guides, alpinistes, et piolets d’or en 2018), réalisent deux voies très engagées en Alaska : « Moonflower Butress » sur le mont Hunter (4442 m et 2000 m de face nord), et « Slovak Direct » dans la face sud du Denali (3000 m de paroi, dont 2000 m de goulotte en 6)
  • En 2014, Lise Billon (guide et alpiniste, piolet d’or en 2016), Jérôme Sullivan, Jérémy Stagnetto, Maxence Horvath et Pedro Angel Gialan Diaz veulent ouvrir de nouvelles voies sur le Riso Patron, sommet isolé sur le Hielo Continental Sur, à 60 km de El Chalten, avec une approche en ski-kite et pulka.
  • En 2014, Hélias Millerioux (piolet d’or en 2018) Jonathan Crison et Rémi Sfilio se rendent le glacier de Yamatari dans l’est du Népal pour une ouverture en face nord du Boktoh (6114 m).
  • Toujours en 2014, Elisabeth Revol et Violaine Ragot veulent gravir le sommet du Pic Lénine (7134m), deuxième plus haut sommet de l’ex-union soviétique, en combinant le vélo par la route des Pamirs sur 1200 km jusqu’au point de départ de l’arête Est, puis à pied jusqu’au point culminant sur le fil de l’arête.
  • En 2017 Symon Welfringer (alpiniste, piolet d’or 2021) et Jérémy Stagnetto se rendent dans le massif de l’Hispar Muztagh au Pakistan, sur le Pumari Chhish East (6800 m), pour ouvrir une nouvelle voie sur son pilier le plus oriental.
  • En 2018, Antoine Girard et Damien Lacaze veulent tenter de battre le record du monde d’altitude en parapente à 8157 m, réalisé en 2016 par Antoine Girard lui-même. Pour cela, ils se rendront dans le massif du Karakorum pour gravir le Spantik (7027 m) avec approche en parapente et descente en volant. Puis en volant au-dessus du glacier du Baltoro et de ses fameux sommets à 8000 m, dont le K2 (8611 m) et le Broad Peak (8051 m).

« Des expéditions amatrices où les gens se reconnaissent »

Solène Pringolliet est responsable des Bourses Expé chez Cabesto. Pour Alpine Mag, elle revient sur trente ans de Bourses, entre impact sur l’histoire de l’aventure outdoor, et conseils aux futurs prétendants.

Alpine Mag : Trente ans après les premières Bourses Expé, quel bilan Cabesto tire de ce dispositif ?

Solène Pringolliet : C’était pour répondre à une demande de nos clients qui demandaient des partenariats pour leurs expéditions. On ne peut pas répondre à toutes les demandes bien entendu, mais au moins à une partie pour les aider. Et cela nous donne une image plutôt originale, aventure et engagée, par rapport à une société de commerce classique. On se rend compte que l’on a aidé des personnes à développer leurs rêves et leurs envies. Des gens nous disent que grâce à cela ils en ont fait leur métier ou leur passion.

Quels impacts ont les Bourses Expé sur un aventurier qui débute ?

Certains nous disent que s’ils n’avaient pas eu la Bourse Expé, ils n’auraient pas réalisé leur projet. Car une fois qu’il sont lauréats, ils se sentent un peu obligés de le faire. Ce n’est pas forcément le cas, car s’il y a un problème, on ne leur demande pas d’aller au bout.

Qu’est ce qui fait qu’un film est récompensé par le public ?

C’est vraiment le partage avec la culture, plus que le projet sportif. À chaque fois c’est plutôt des films où les équipes partagent avec les locaux. C’est plutôt ça qui parle aux gens. Plus que l’exploit. Les Bourses Expé sont des expéditions amatrices et les gens se reconnaissent là-dedans. Un membre du public m’a dit qu’il venait souvent parce qu’il se dit que ce sont des expéditions que tout le monde peut faire. Il n’y a pas besoin d’être professionnel. Les gens se sentent plus proches des acteurs du film.

Quel conseil donneriez-vous à un futur prétendant à une Bourse Expé ?

Vivre son rêve et ne pas créer une expé juste pour créer une expé. Il faut vraiment que ce soit une envie profonde. Il faut avoir une authenticité dans son projet. Et cela nous l’avons vraiment ressenti avec le film de Jérémy Bigé. C’est presque une vision de la vie qu’il a acquis au fur et à mesure des années et on sent que ça lui tient vraiment à cœur de faire ce projet. Et puis avoir des idées qui sortent un peu de l’ordinaire.