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Nagalaqa : une nouvelle voie arctique entre mer et glaces

Bourse Expé 2022

Lauréat 2022 des Bourses expé, Sébastien Roubinet a longé le nord des îles arctiques canadiennes et du Groenland jusqu’au Svalbard (Norvège), avec ses deux coéquipiers Jimmy et Éric. Du 1er juin au 1er septembre 2022, ils ont voyagé à bord d’un petit catamaran spécialement pensé et fabriqué par Sébastien pour les conditions de cette expédition. Il nous raconte cette aventure majuscule, que l’on peut classer parmi les explorations les plus intenses et engagées du moment. Avec ce petit goût de la grande époque des expéditions polaires. 

C‘est dur de se remémorer et de résumer les trois mois de cette formidable expédition tellement le départ semble loin et tant de paysages, d’animaux, de ressentis, de bonheur, de souffrance, de fatigue, de bien-être se sont écoulés depuis le départ. Soulignons que cette expédition est une grande réussite et on peut le dire, une grande première.

En passant au nord des 8 îles les plus au nord du Canada dont 7 d’entre elles n’avaient jamais vu passer de bateau. Et les seuls hommes à avoir approché ces terres sont quelques rares explorateurs du 19ème siècle, souvent au dépend de leur vie. Plus récemment, quelques personnes (scientifiques, militaires …..) en avion ou hélicoptère. Mais une chose est sûre, jamais aucun bateau n’a navigué tout le long du parcours.

©Nagalaqa / Roubinet

Nous sommes heureux aussi d’avoir pu réaliser des prélèvements d’ADNe durant ces 3 mois, filtres chargés en ADNe que nous avons fournis aux scientifiques à notre retour ; nous avons maintenant hâte d’en savoir plus sur les êtres vivants passés en ces endroits que nous n’avons pas pu voir car trop petits ou trop timides… 

Quant aux animaux que nous avons eu la chance de voir, c’était souvent eux les plus curieux. C’est tellement rare de voir un loup arctique nous observer depuis une butte à 15 mètres du bateau et ne sentir aucune agressivité ni d’un côté ni de l’autre. Ou de naviguer au milieu des bélugas et des baleines boréales qui se retournent presque tout le temps pour nous observer, ou encore avoir la visite d’un ours juste à 5 mètres du bateau pendant le repas du soir.

deux morses n’ont pas aimé être réveillés en sursaut
Et nous font subir une parade d’intimidation

©Nagalaqa / Roubinet

©Nagalaqa / Roubinet

Certaines fois, c’est la nature qui nous a fait peur quand, par exemple, le bateau remuait vraiment trop dans la tempête et, bien que correctement amarré de tout côté, on ne pouvait s’empêcher de penser qu’il allait s’envoler à chaque rafale encore plus forte. Ou quand les plaques entraînées par les courants forts venaient se heurter les unes aux autres au ras du bateau, formant des crêtes de compression, il fallait fuir le plus vite possible en tractant le bateau sur la glace avant de se faire broyer… Ou encore quand deux morses qui n’ont pas aimé être réveillés en sursaut nous font subir une parade d’intimidation. 

©Nagalaqa / Roubinet

©Nagalaqa / Roubinet

Que dire aussi de cette sensation de découverte tellement certaines îles étaient loin de ce que l’on avait imaginé ; chaque cap, chaque baie ou même parfois chaque mètre, on ouvrait la porte à de nouvelles terres/glaces. Tout le long, il a fallu inventer et imaginer de nouvelles techniques de progression : au palan et au piolet lorsqu’il fallait tailler des passages dans des blocs de glace, hisser le bateau sur les glaciers quand la mer de glace était vraiment trop dure. On est même monté à plus de 100 mètres d’altitude, on est passé dans des canyons et on a fait du rappel pour redescendre d’un glacier. Tout cela, on aurait jamais imaginé le faire avant le départ, et peut-être tant mieux, sinon on ne serait sûrement pas partis.

On pousse, on tire, parfois en s’aidant des palans et des piolets.
On rame et même, parfois, on fait de la voile.

Chaque matin, il faut réfléchir aux options globales en se basant sur les photos satellites, les prévisions météo et l’état du terrain des jours précédents… avant de se motiver à sortir du duvet quand on est bien au chaud et que l’on sait que l’on va mettre des vêtements froids et gelés et des bottes dures comme des sabots. On essaie de partir vite pour se réchauffer, on pousse, on tire, parfois en s’aidant des palans et des piolets. On rame et même, parfois, on fait de la voile (20/100 de la distance) ; on s’arrête toutes les 2 heures pour grignoter un peu. 

La journée passe plutôt vite et c’est généralement entre 19h et 20h, que l’on s’arrête ; on sécurise alors le bateau avant de retrouver la chaleur d’un bon repas ; c’est un des moments clés de la journée pour le plaisir de manger un vrai repas chaud, toujours délicieux, copieux et préparé avec des bons produits mais en plus bien assimilé, ce qui nous permet d’avoir la force de tenir la journée suivante.

©Nagalaqa / Roubinet

Quant au bateau, il nous a comblé, il a rempli son rôle avec justesse ; malgré sa petite taille on s’est toujours senti en sécurité à l’intérieur, il a transporté 350 kg de nourriture et d’équipement sans broncher et il nous a impressionné dans les différents terrains normalement pas vraiment adaptés pour un bateau. On dit de lui « souvent ralenti (vu les conditions) mais jamais bloqué. » Il a souffert : les étraves écrasées, le pont fissuré, la coque déchirée à l’arrière, les safrans ne tiennent plus que par des boutes (mais qui tiennent quand même), plus de vie de mulet… mais il a tenu bon même s’il a fallu le réparer et le ménager les derniers jours. Maintenant, il va pouvoir se reposer sous son lit de neige.

vouloir aller plus loin aurait été contre le sens marin,
dangereux

Les hommes, eux, vont bien. A la fin de l’expédition, on avait plus de graisse, que du muscle et des os – mais pas de perte d’énergie.
Éric et Jimmy ont eu quelques gelures sur le visage et les oreilles au début. Moi, ça a plutôt été les pieds mon problème (à cause de bottes de contrefaçon et 2500 km de marche sur la glace ou dans l’eau gelée), j’ai souvent souffert mais je me suis battu pour réduire les gelures et Éric m’a laissé les siennes avant que ça dégénère trop.

©Nagalaqa / Roubinet

Babouch-ty tous terrains. ©Nagalaqa / Roubinet

Je n’oublierai jamais ces paysages du bout du monde : Banks et sa faune, les terres plates désespérantes de Prince Patrick, Brock, Borden, Ellef Ringnes, Meighen, les montagnes de Axel Heiberg, les glaciers d’Ellesmere, le détroit de Nares et la beauté du Groenland…

Le dernier mois a été particulièrement dur à cause des glaces très chaotiques et de l’eau à moitié gelée. Puis les coups de vent du détroit de Nares, la neige qui ne fond plus en se posant sur la mer qui elle-même est en train de geler, les courants très violents, les plaques qui s’entrechoquent, les nuits de plus en plus longues et le tout avec un bateau fatigué et presque plus de nourriture : vouloir aller plus loin aurait été contre le sens marin, dangereux !

On a dû laisser Babouch-ty se reposer dans ce petit coin de paradis. On reviendra…