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La légion d’honneur pour la protection de la montagne

Fredi Meignan et Mountain Wilderness honorés

Ce lundi 21 février 2022, la Légion d’honneur a été décernée à Frédi Meignan, ancien président et vice-président actuel de Mountain Wilderness France, au col du Lautaret. La distinction nationale a été remise par l’intermédiaire de Joël Giraud, secrétaire d’Etat à la ruralité. Si cette reconnaissance de « services rendus à la Nation » auréolent le plus connu des militants de nos montagnes, c’est avant tout un effort collectif qu’il veut voir encouragé. Il l’explique dans le discours-plaidoyer qu’il nous a transmis.

Col du Lautaret, le 21 février 2022.

 

Monsieur le Ministre, Madame la préfète, Mesdames et Messieurs les élus,
Chers amis de la montagne
Merci à vous toutes et tous d’être montés jusqu’ici à 2100 m par cette journée, juste un peu hivernale.
Merci à l’Université Grenoble Alpes et l‘équipe du jardin Alpin pour votre accueil. Juste au-dessus de votre beau lieu… on va dire presque 2000 m au-dessus, depuis le sommet du Doigt de Dieu sur la Meije, on repère bien votre jardin alpin et votre bâtiment, comme une minuscule petite boîte. Vous êtes ici bien placés pour mener vos travaux universitaires et de recherche, pour y accueillir le grand public, juste là, entre montagne humanisée et montagne sauvage.

Le col du Lautaret en hiver. ©Jocelyn Chavy

que cette « reconnaissance de la nation »
deviennent un encouragement partagé
avec toutes et tous dans ce combat pour le devenir de la montagne

Monsieur le Ministre, cher Joël merci, merci pour cette distinction dans l’ordre de la Légion d’honneur. Vous le savez sans doute, je ne m’y attendais pas du tout, je ne l’attendais pas. Avec mes proches, mes collègues, mes amis de MW, aux côtés de très nombreux amoureux de la montagne, je suis, simplement, résolument, passionnément, engagé pour la vie, la vie de nos montagnes, la vie dans nos montagnes. Je souhaiterais que cette « reconnaissance de la nation » que vous me décernez deviennent un encouragement partagé avec toutes et tous dans ce combat pour le devenir de la montagne.

Monsieur le Ministre, j’ai de la chance

J’ai exercé un des plus beaux métiers du monde. Pendant 10 ans sur la Meije, en refuge là haut à 3100m. Un cocktail extraordinaire, d’intensité, d’immensité, de rudesse, de beautés telles que l’on ne peut les imaginer, une beauté qui nous transporte dans un autre monde, celui de l’émerveillement. Un cocktail d’engagement physique, mental, de perception forte de notre vulnérabilité. Un métier marqué par une belle humanité, des relations humaines pas toujours faciles mais tellement riches, intenses, attentionnées. Des relations où l’entraide, la coopération redeviennent juste normales. Justes humaines. Essentielles.

La haute montagne est un joyau de l’humanité

Pendant ces années de vie intense tout là-haut, on se prend parfois à toucher, à caresser le rocher. On vit avec les éléments, on se ressent faire partie des éléments. Des éléments qui parfois se déchaînent. Tout là-haut en montagne on vit pleinement cette expression « avoir les pieds sur terre ». Touts petits bonhommes sur la planète, la vie est forte, chargée d’émotions au plus profond de nos êtres.
Et la redescente en vallée n’est pas toujours aisée, les injonctions à toujours plus de confort, toujours plus de consommation, toujours plus d’artifices, d’artificialisation, apparaissent d’une futilité, presque douloureuse. Comme si nos modes de vie étaient déconnectés de la nature, de nos écosystèmes. Des modes de vie qui paraissent enfermés en bas dans un milieu isolé, en dehors de la vie de la terre.

La haute montagne est un joyau de l’humanité, un terrain sauvage qui convient de protéger de toute urbanisation et aménagements lourds.

les montagnes en premières lignes face aux bouleversements
mais en premières lignes aussi pour les atouts,
le potentiel dont elles recèlent

En fait, l’or, le vrai or est là, partout sous nos yeux. Oui nos montagnes sont en or et à tous les étages. Les alpages, les vallées d’altitude sont aussi autant de lieux riches de milieux naturels exceptionnels et fragiles, propices à des engagements de vies parfois rudes mais pleins de passions, propices à des expériences pour repenser nos rapports avec le monde vivant, avec nos écosystèmes montagnards. En recherche d’harmonies vitales.

L’or de nos montagnes est un bien précieux. Quand on regarde le continent européen et ses 500 millions d’habitants, nos montagnes apparaissent comme les seuls territoires où, à un moment les routes s’arrêtent, où, au-delà de la dernière maison habitée commence un monde non aménagé par l’homme, un monde vivant, sauvage, unique.

Samivel, disparu il y a tout juste 30 ans, était un grand artiste, écrivain, connu pour ses aquarelles légendaires. L’auteur du “Grand Oisans sauvage” écrivait déjà à l’époque :
« Voici l’espace. Voici l’air pur. Voici le silence.
Le royaume des aurores intactes et des bêtes naïves.
Tout ce qui vous manque dans les villes est ici préservé pour votre joie. »
Monsieur Samivel s’est engagé fortement pour protéger la montagne, il a contribué activement à la création de Mountain Wilderness France. Merci Samivel.

Clairement en cette décennie 2020/2030 les montagnes que nous aimons, sont déjà et vont être de plus en plus en premières ligne, premières lignes face aux bouleversements mais en premières lignes aussi pour les atouts, le potentiel dont elles recèlent.

Est-il besoin ici de revenir sur ces menaces ?

On le sait, l’équilibre de nos montagnes, hiver ou été, est extrêmement fragile. La semaine dernière (15 février) nous venons de battre un nouveau record historique de concentration de CO2 dans l’atmosphère. La semaine dernière aussi les chercheurs suisses ont annoncé que les microparticules de plastique sont probablement beaucoup plus répandues sur nos sommets, que nous pensions immaculés. Les voyants climatiques, écologiques sont clairement au rouge. Et la vulnérabilité de nos montagnes été comme hiver inquiète de plus en plus les professionnels et amoureux de l’altitude.

La vulnérabilité de nos montagnes mais également la vulnérabilité de nos économies touristiques qui est apparue plus visiblement lors de cette crise sanitaire. Il n’y a pas que les remontées mécaniques qui se sont arrêtées, les destinations dépendantes de l’aviation longue distance ont aussi mesuré leur vulnérabilité. Ça s’est arrêté et ok, ça a redémarré, mais jusqu’à quand ? Tant les crises complexes et multiformes s’accélèrent.

Dans le même temps, les évolutions sociétales vont vite

On pourrait même parler de bouleversements. La montagne a longtemps été fuie au profit de la modernité des villes, c’était encore vrai il y a quelques décennies. Aujourd’hui à l’inverse, elle dégage une telle attractivité que cela pose d’importantes nouvelles questions, et pas seulement sur l’immobilier.

De tout point de vue nous ne sommes plus dans les années 70, nous avons besoin tous ensemble de repenser la vie en montagne. La possibilité de sauver la montagne et d’atteindre un monde soutenable existe si nous arrivons à retravailler ensemble nos façons de consommer, de produire, d’aménager, de vivre en société, de cohabiter avec le monde vivant, avec les écosystèmes montagnards.

Je vais peut-être surprendre en faisant référence à un ancien président de la République. Il y a 45 ans, lors d’une visite dans le tout jeune Parc National des Écrins, Valéry Giscard d’Estaing avait fait un discours sur la montagne. Le fameux « discours de Vallouise ». Nous étions dans le plan neige et les aménagements lourds fleurissaient un peu partout, la vie était compliquée pour les jeunes, les paysans… Le président insistait alors pour que le tourisme en développement soit bien intégré à toutes les activités dans les vallées. Je cite :

« Affirmons donc clairement l’unité de tourisme, pas de n’importe quel tourisme. Trop de résidences secondaires s’éparpillent au gré des ventes de terres agricoles. Trop de stations de ski furent implantées sans tenir suffisamment compte des besoins des populations locales et des contraintes de l’environnement. L’effort de l’État portera désormais de plus en plus vers un tourisme intégré aux autres activités ; un tourisme accessible au plus grand nombre ; un tourisme respectueux des sites et des paysages. »

 

les montagnes en premières lignes face aux bouleversements
mais en premières lignes aussi pour les atouts,
le potentiel dont elles recèlent

Dans la foulée, il y a eu la loi montagne en 1985

Elle a reconnu la spécificité de la montagne et a encouragé à lier développement économique et protection des espaces fragiles. Malgré ces avancées on voit que les problèmes de fond demeurent, et même aujourd’hui s’aggravent. Si nous avons tous en tête quelques bons exemples d’un tourisme bien ancré dans la vie des territoires, trop souvent encore le tourisme reste hors sol et il capte l’essentiel des investissements, des investissements qui se retrouvent consacrés quasiment toujours aux aménagements de la montagne.

Alors en 2022 qu’est ce qui freine pour pouvoir s’engager résolument ensemble et oser repenser l’avenir de la montagne ? Comme une belle aventure commune pour imaginer d’autres façons d’y vivre .
– Souvent encore les acteurs de la montagne travaillent trop en silo, parfois un peu seuls. C’est vrai des acteurs professionnels, c’est vrai aussi des maires de village d’altitude.
– Parfois on se raccroche à ce qu’on a aujourd’hui par crainte d’aller vers quelque chose d’autre pas encore bien identifié concrètement.
– Parfois aussi une politique de l’autruche peut paraître rassurante face aux crises climatiques qui nous arrivent dessus
– Parfois encore on surévalue telle ou telle innovation qui sans engagement de transitions cohérentes ne changeront pas grand chose
– Parfois ce sont des lobby plus structurés qui monopolisent les crédits, les aides publiques

Certaines politiques publiques
apparaissent trop timorées,
ou même bloquées dans les modèles du passé

Et il arrive encore que des personnages aux égos démesurés, appelons un chat un chat, rêvant de domination, de puissance ou rêvant de battre… Les voisins, par exemple les savoyards ou les autrichiens, c’est selon, utilisent la montagne comme un terrain vierge à conquérir, à soumettre, à aménager.

– Certaines politiques publiques apparaissent trop timorées, ou même bloquées dans les modèles du passé, sans aucune vision d’un avenir soutenable.
– Il arrive aussi, délibérément ou non, que l’on tire des conclusions plus que discutables de travaux scientifiques. Par exemple quand des études disent que dans tel territoire la neige peut tenir encore 15 ou 20 ans, plutôt que d’utiliser ce laps de temps pour engager, les reconversions qui demandent du temps et du courage, des transitions dans tous les domaines pour être prêt à vivre différemment, certains disent “mais non,c’est super on a 15 ou 20 ans pour continuer à investir” à mort comme avant… et on verra bien !

Ces freins à la transition et bien d’autres encore sont bien réels et pèsent lourdement.

Mais fait notable, dans tous les milieux de la montagne les prises de consciences s’accélèrent très nettement. Dans toutes les vallées, dans tous les milieux professionnels.

A l’instar, par exemple de notre Champion Olympique à Calgary en super géant, Franck Piccard, aujourd’hui gérant de plusieurs magasins de skis en Savoie qui écrit:
« Il faut être capable de protéger la montagne,
il faut dire stop aujourd’hui,
plus besoin de construire des lits supplémentaires,
pas besoin d’aller chercher des remontées supplémentaires,
pas besoin de construire des retenues collinaires pour faire de la neige artificielle,
tout ce qui a été fait est largement suffisant”

Des prises de consciences mais aussi des engagements concrets. Quand on observe ce qui se passe un peu partout dans nos vallées ou dans nos massifs, c’est impressionnant (et je crois sous estimé) le nombre de micro initiatives dans tous les domaines, agricoles, artisanales, artistiques, d’accompagnement en montagne. La créativité, le courage, l’engagement sont forts. Pourtant les obstacles sont nombreux, l’accès au terrain, à l’immobilier, à la formation. Autant de pistes où nous devrions réorienter des investissements efficaces, utiles pour tous.

Je crois sincèrement que nous avons un formidable potentiel humain en montagne

Professionnels, élus, acteurs de terrain souvent très engagés avec passion, avec détermination. Un potentiel d’intelligence collective qui doit nous permettre de dépasser les obstacles, de créer, de rebondir. D’espérer.
Il nous manquait et nous manque encore une vraie dynamique commune,qui permettrait à la montagne d’être engagée à fond et peut-être même d’être pionnière en Europe pour les transitions écologiques, économiques, sociétales.

Cet automne les États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne ont marqué une avancée, j’espère, historique. Pour la première fois tous les acteurs montagne, associatifs, professionnels, élus, institutions (je ne peux les citer ils sont plus de 40) se sont parlés et ont commencé à travailler ensemble, à la fois au niveau national et dans les territoires où parfois là aussi on ne se parle pas, ou pas assez.

Dans ces situations complexes aux enjeux énormes, ne travailler qu’avec ceux avec qui on est d’accord est complètement insuffisant, voire une impasse. Les désaccords voire les conflits ne doivent plus se transformer en murs ou en tranchées ; ils doivent être des leviers pour confronter, réfléchir collectivement. Avec les acteurs, avec les habitants dans chaque territoire. En développant les moyens pour accompagner l’intelligence collective. Au niveau national et européens avec tous les partenaires de la montagne.

Il y a un vrai enjeu d’accompagnement pour les territoires de montagne qui s’engagent résolument en transition

A l’image du 1er volet ingénierie du plan Avenir Montagne que vous mettez en place M. le Ministre.

Encore une fois merci M. le Ministre pour cette Légion d’honneur.

Je la dédie à tous mes amis de Mountain Wilderness France qui font un travail formidable, pour notre devenir commun au cœur de ces superbes montagnes. Pour que nous puissions continuer à rêver, rêver d’harmonie entre la montagne des activités humaines et la montagne sauvage.

Merci.