Hélias Millerioux n’est pas facile à joindre. Il faut une pluie battante à Chamonix pour que l’alpiniste reste chez lui. Mais une fois qu’il a décroché, Hélias est volubile comme à l’accoutumée. Hyper-actif en montagne, tête pensante d’expéditions à l’engagement incomparable, il ne pense qu’à la glace en ce moment. Alors Hélias cherche des cascades et des goulottes, les grimpe et teste avec soin du matériel pour son sponsor de toujours Blue Ice, avec qui il entretient des liens presque familiaux. Rencontre avec un personnage décidément unique dans le paysage. Indispensable donc.
Quel goût a la glace en ce début hiver ?
Hélias Millerioux : Elle est plutôt bonne ! J’ai commencé au Canada le 1er novembre pendant dix jours après avoir guidé aux Usa, en Californie. J’étais invité au festival de Banff pour la promotion de trois films : Nuptse (qui sort en VOD le 31 janvier), Chronoception et Vagabonds du Logan.
Au Canada, avec John Walsh et Babsi Viegl, on a grimpé la cascade Buddha nature (M6 trad, 5+) dans Storm Creek. C’est tellement beau. Je me sens tellement bien là-bas.
Hélias dans Nemesis, au Canada. ©Coll. Millerioux
Et dans les Alpes, ça donne quoi ?
J’y suis revenu en novembre. C’est difficile maintenant de trouver de la glace en début de saison, même à Cogne (Italie). Il faut être à l’affut, avoir l’emploi du temps, se dédier à ça. Et puis il faut pouvoir bouger. Beaucoup d’alpinistes sont allés dans les Dolomites ou en Autriche. Avec le réchauffement climatique, on est obligés de se déplacer pour la glace, paradoxalement.
Si je regarde mon carnet, je vois que j’ai repris piolets/crampons à la Voie Verte à l’aiguille des Grands Montets, le 16 décembre 2023 avec un client. C’est du M4/M5 super fun pour découvrir le mixte hivernal. Et ensuite, ma première cascade c’est en janvier avec un client, dans Repentance (Cogne).
Baudrier Halo
« Un baudrier hyper innovant. L’histoire d’un seul fil tissé sur l’ensemble de la ceinture, hyper confortable. testé et approuvé pendant mon trip au Yosemite cet automne ! »
Hélias Millerioux
Mi-janvier, tu as aussi grimpé une cascade emblématique : Tequila Stuntman. Comment on se lance dans un grade 6+ en début de saison ?
On faisait des photos pour Blue Ice avec Seb Montaz dans une cascade du bassin d’Argentière, à proximité de Tequila. Seb a fait volé son drone autour et on a regardé les images avec Manu Roberty et deux autres grimpeurs de l’EMHM qui étaient aussi sur place. Et là, on s’est tous exclamés en même temps « Tequila ! Tequila ! Faut y aller ! C’est en conditions ! » Le soir même, je vois Philippe Batoux qui publie une photo de lui dans Tequila. Je lui demande les conditions, et il me répond que trois personnes lui ont déjà demandé des infos ! Nous on était sûrs d’avoir une exclu ! Le lendemain on y va et on croise Roberty et les gars de l’EMHM qui y grimpent aussi.
C’est dur d’avoir une cascade à soi par les temps qui courent par chez nous ! Au Canada tu t’en fous, y’en a partout, tu te marches pas dessus. Ici, c’est différent : il y ’a moins de glace et tout le monde est mort de faim.
la glace
c’est du vrai alpinisme hivernal
Quelle place tient la glace dans ta pratique personnelle et ton métier de guide ?
C’est surtout moi qui l’amène aux clients. Ce que j’aime, c’est que la glace c’est du vrai alpinisme hivernal, avec toutes les notions de l’alpinisme : du froid, de la grimpe, du raide, des risques à gérer (avalanches, couloirs, grandes pentes). Rien qu’un relais sur broches, c’est intéressant pour être plus à l’aise en terrain mixte, ça développe des compétences. J’aime bien parce que je m’amuse. Et puis les clients sont vite très à l’aise. Ils sont en second, avec des poignées de porte dans les mains. En enlevant la dimension mentale, tu peux vite te faire plaisir.
JE SUIS OPTIMISTE
POUR LA PRATIQUE
Comment expliquerais-tu aux novices la différence entre cascade de glace et goulotte ?
La goulotte c’est plus un environnement haute montagne. Alors que la glace, ce sont des cours d’eau gelé. La glace de goulotte est liée à des précipitations, dans des dièdres, par l’accumulation de neige collée… L’alpinisme hivernal est varié et va être amené à l’être encore plus avec les changements du climat. Je pense que l’alpinisme va continuer à vivre. Le nombre de pratiquants va se maintenir. Je suis optimiste pour la pratique. Alors les belles cascades qu’ont connu François Damilano ou Thierry Renault, c’est peut-être fini ou en tous cas ça va être de plus en plus rare. Ce qui est sûr c’est qu’il va falloir serrer les dents quand on va y aller.
Et la glace continue de fasciner ?
Je pense qu’il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire de la glace, qui se renseignent etc. Mais ça manque un peu de culture parce qu’ils sont pressés, tout va plus vite avec les réseaux sociaux. Il y a moins de logique d’exploration, moins d’efforts pour trouver les infos… Regarde après notre passage dans Tequila Stuntman, qui est pourtant une cascade dure et engagée : ça a été le défilé ! Et rapidement toute la glace est crochetée. Mais ce n’est pas de leur faute non plus, et puis il n’y en plus beaucoup de la glace. Tout le monde est obligé d’aller un peu sur les mêmes cascades.
Je fais partie des meubles
chez Blue Ice !
Tu parles d’images que tu fais pour Blue Ice, mais ton boulot pour la marque va bien au-delà. D’où vient cette complicité ?
Je fais partie des meubles chez Blue Ice ! Quand je suis entré en équipe nationale d’alpinisme, j’étais jeune, fougueux et plein d’énergie. Blue Ice sortait ses premiers sacs à dos d’alpinisme, avec le regretté Olivier Bernade, ami de Giovanni Battisti, qui nous avait pistonnés pour avoir du matériel chez Blue Ice. Quelques jours plus tard, je recevais un carton de matériel. On s’est rapidement liés d’amitié avec Giovanni et il m’a proposé d’être collocataire avec lui. On a vécu comme ça plusieurs années sous le même toit. Donc depuis, j’ai suivi toute l’aventure de Blue Ice.
On t’as vu couper les étiquettes de tes vêtements ou les sangles de ton sac à dos au Nuptse. Tu es un vrai geek du matériel ?
Tout à fait et c’est pour ça que j’adore Blue Ice ! Aujourd’hui, je pense que c’est la seule marque qui innove. Je n’en vois aucune autre qui innove autant, sur un marché très compétitif avec des concurrents italiens, français, américains, suisses, allemands. Et quand tu innoves, tu te fais très vite copier. Giovanni a eu cette ténacité de tenir jusqu’à créer une image de marque très « core », pour les alpinistes, avec de vraies valeurs. Et quand t’es un alpiniste, un aventurier, tu kiffes Blue Ice pour ça. Aujourd’hui la broche acier Blue Ice Aero, c’est la meilleure broche au monde. Je peux être dur parfois avec certains matériels, mais sur la broche, je suis sans équivoque.
Broche Aero Lite
« La broche la plus légère au monde ! J’adore la tête car elle est petite. J’ai jamais de mal à la caler, même dans les petites aspérités »
Hélias Millerioux
Et la broche alu (Aero Lite) c’est la plus légère au monde ! Je pense qu’elle est au niveau de la concurrence mais à un poids encore plus réduit. J’adore la tête car elle est petite. J’ai jamais de mal à la caler, même dans les petites aspérités, je la cale partout. Et sur le porte-matériel, ça prend moins de place.
Et même l’Alpine runner, qu’on pourrait prendre pour une simple sangle, c’est une innovation de dingue ! T’as toutes les tailles. Ils sont conçus avec un enroulement de fils Dyneema gainés. Je m’en sers en dégaine, en longe, pour mes relais ou mes lunules… C’est vraiment ultra polyvalent. C’est juste génial.
Alpine runners
« Une innovation de dingue ! Je m’en sers en dégaine, en prussik, en longe, pour mes relais ou mes lunules. C’est vraiment ultra-polyvalent. C’est juste génial.«
Hélias Millerioux
Tu as aussi trouvé des crampons à ton pied ?
Oui Blue Ice a vraiment innové avec une sangle robuste qu’ils ont d’abord développé sur le crampon Harfang. Ils l’ont ensuite décliné sur un nouveau crampon pour la cascade et le mixte, le Harfang Tech. Aujourd’hui je l’utilise pour la cascade et ce que j’aime, c’est que je grimpe sur la rigidité de la chaussure, j’en ai la sensation en tous cas. Et ça se rapproche des mouvements d’escalade. Ça me plait vraiment, surtout en glace très technique, quand il faut grimper comme un chat, sans taper trop fort, avec légèreté. Pour moi, il faut grimper avec du matériel léger (et affuté !).
Harfang Tech
« Le principe d’une sangle robuste que Blue Ice a d’abord développé sur le crampon Harfang Alpine. Ils l’ont ensuite décliné sur leur nouveau crampon pour la cascade et le mixte, le Harfang Tech. Je l’utilise pour la cascade et ce que j’aime, c’est que je grimpe sur la rigidité de la chaussure.«
Hélias Millerioux
Tu rêves de quel matériel pour le futur (ou juste dans tes rêves) ?
Je vois bien les grimpeurs avec des griffes de chat, à la Wolverine. Et des chaussures avec du grip sous la semelle. On serait comme en escalade, on casserait jamais les pétales de glace. On grimperait en adhérence sans taper. J’y pense parfois en faisant grimper les clients sans piolets, sans crampons voire sans rien du tout, juste dans les aspérités de la glace. C’est un super exercice d’équilibre. Mais je fais ça en moulinette hein !
Plus sérieusement, j’attends aussi la sortie du piolet technique de Blue Ice, le Styx, qui sera disponible l’automne prochain. Ce sera la première fois que Blue Ice propose un piolet dédié à la glace et aux goulottes. J’ai hâte !
Piolet Styx
« Le Styx, qui sera disponible l’automne prochain. Ce sera la première fois que Blue Ice propose un piolet dédié à la glace et aux goulottes. J’ai hâte ! »
Hélias Millerioux