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Arctic Ice : le grand nord glacé

Jeff Mercier, Arctic Ice. ©Jocelyn Chavy

Au-delà du cercle arctique, en Norvège, la région de Narvik est une mecque de la cascade de glace. Entre sommets et fjords plongeant dans la mer arctique, le choix de cascades de glace est vaste, les possibilités presques infinies. Le ski n’est pas en reste avec des sommets surplombant la mer. L’hiver dernier, nous sommes allés à Tennevoll, au camp de base Fjellkysten pour l’Arctic Ice Festival faire le plein de glace et d’aurores boréales.  

Le pilier de cristal se dresse au-dessus de nos têtes, l’énorme colonne transparente s’éclaire comme une invitation à poursuivre le voyage vertical. Dernière longueur, cinquante mètres de glace dont les pétales énormes à la base n’empêchent par la colonne d’être bien détachée du rocher. À ce moment-là, la confiance est revenue, le soleil froid de l’Arctique nous éclaire quelques dizaines de minutes. Matthias s’élance, frappe ses piolets a minima pour ne pas trop chatouiller l’édifice. Méthodique, il s’élève et disparaît de notre alcôve.

Je fais décoller le drone tant bien que mal pour immortaliser la troisième ascension pour Matthias de cette cascade majeure de Norvège, dont il ne nous reste que cette quatrième et dernière longueur. Le cigare semble plus « simple » que le précédent. En glace, ne jamais considérer comme acquis une cascade tant que le dernier rappel n’est pas plié. Soudain mon sang se glace, mes yeux s’écarquillent et je me retiens de crier « Matthias, redescends ! » Sur l’écran de contrôle du drone, une fissure horizontale, un mètre au-dessus de lui, fend le cigare, qui ne semble plus attaché que par une moitié.

À vue, Jeff Mercier danse au fil de ce toit en glace. ©JC

Sunset à Fjellkysten, Tennevoll. ©JC

Matthias Scherer, le cigare fendu, dernière longueur de Storstampbekken. ©JC

La dernière broche est déjà loin. Tanja, la compagne de Matthias, lui fait passer le message par radio. Avec Heike, soeur de Tanja, nous nous tassons un peu plus au fond du dévers, l’estomac noué, en espérant que Matthias ne donne pas le coup de piolet de trop. Sur l’écran je le vois ancrer au-dessus de la fissure. Se rétablir. Il nous dira ensuite avoir entendu un craquement. Du relais, il redescend en rappel sans qu’aucun de nous trois n’aie l’idée saugrenue de le rejoindre. Assez joué.

Tanja Schmitt, son compagnon Matthias Scherer, sa soeur Heike Schmitt sont les organisateurs de l’Arctic Ice Festival, mais d’abord des passionnés qui ne vivent que pour la glace. Venus grimper en Norvège il y a déjà une quinzaine d’hivers, ils ont remonté le pays vers le nord, dépassé le cercle arctique et posé leurs duffle bags chez Tor Ivar Lyngmo, qui gère et anime le Fjellkysten lodge. Un camp de base idéal pour les activités outdoor, sur les bords du fjord de Salangen. L’été, les randonnées sont innombrables, l’escalade a ses secrets spots, et bien sûr, les fjords arctiques sont superbes en kayak ou à la voile. L’hiver, le village de Tennevoll retrouve son calme, enfoui dans la neige, avec sa piste de fond municipale et ses (nombreuses) vallées alentour, où la glace surgit de partout.

Cet hiver 2023 plus doux, le spot au-dessus du village n’est pas en bonnes conditions. Mais non loin de là, Øvrevatnet, un lac gelé qui s’écoule plus loin dans la mer recèle toujours son magnifique secteur d’initiation idéal pour les stagiaires de l’Arctic Ice Festival. Cette année les tuyaux d’orgue de Flågbekken ont changé. Mais le secteur principal ne recèle pas que du 3 : de chaque côté on trouve de petites longueurs entre 4+ et 5+ et au centre trois belles possibilités en plus facile. Le tout à zéro mètre d’altitude.

Tanja Schmitt. ©JC

Le virage Tommy Cardelli. ©JC

L’eau coule sur le cigare, par moins vingt degrés. Matthias Scherer. ©JC

Mille deux cent mètres de la mer au sommet.

Relativement isolé, le lodge Fjellkysten nous permet de rayonner autour, piolets en main ou skis aux pieds. Le skieur pro Chris Davenport a fait le chemin, il est impatient de skier dans le secteur et nous traçons au départ de la mer en direction du Langlitinden, un magnifique sommet de 1200 mètres sur l’île d’Andørja, emmenés par la guide locale Merrick Mordal et le guide italien Tommy Cardelli. Sous le sommet un col coupe la crête en deux et la vue s’ouvre sur le fjord. Le vent s’engouffre ici avec violence et il s’agit de rester concentré dans le couloir sud, raide et étroit, qui livre l’accès sur ce versant. Plus bas chacun peut enchaîner en grandes courbes, avant la traditionnelle partie de sanglier à travers une forêt biscornue et peut enneigée. Le prix à payer pour skier jusqu’à la mer… avec des conditions changeantes, et des plaques sournoises. Humilité requise.

Guide et skieur pro, invité de l’Arctic Ice Festival, Chris Davenport sur l’île d’Andørja, sur fond d’océan arctique. ©JC

Toujours prêt à se mettre en quatre pour ses invités, Tor Ivar Lyngmo, le boss du Fjellkysten lodge. ©JC

Île d’Andørja, col du Langlitinden, 1200 mètres au-dessus de la mer. ©JC

Jeff Mercier, dry tooling. ©JC

Matthias Scherer, le spot au-dessus de la rivière Takelva. ©JC

Jeff Mercier aime le canyon, surtout avec de la glace. ©JC

La météo change et il neige, plus ou moins chaque jour, sans pour autant faire très froid. Qu’importe, pour celui ou celle qui sait regarder, chaque repli de montagne peut cacher une cascade. En remontant au nord de la vallée de Bardu, le long de la rivière Matthias a repéré un spot original, une version courte du fameux Pont Rouge québécois. Des draperies surplombent l’eau, entrecoupées de quelques murs plus faciles. De quoi exciter l’imagination de Jeff Mercier, invité de l’Arctic Ice Festival depuis 2020 (et secouriste au PGHM). Des placements délicats dans une fine couche de verglas, une broche jaune Petzl bien courte, et un rétablissement XL lui permettent de tracer une ligne à travers un toit exotique, formé par une colonne cassée elle aussi XL. Le regard de Jeff permet de tracer d’autres lignes des yeux, puis d’y mettre les piolets, connectant les bouts de glace qui jaillissent du rocher. Une esthétique de l’escalade trad avec de la glace comme de la chantilly, supplément émotion garanti.

La guide Merrick Mordal attaque le couloir sud du Langlitinden et son entrée à 45°. ©JC

Le soleil s’étire sur le fjord de Salangen. ©JC

Fjord sauvage et cascades géantes

Voici comment nous sommes allés grimper Storstampbekken avec Tanja, Heike et Matthias : un jour ensoleillé, le silence troublé par le tac-tac des mitrailleuses lourdes des troupes de l’OTAN qui s’entraînent dans la vallée. Coup de semonce ? C’est un jour ensoleillé quoi que le soleil n’empêche pas le thermomètre d’afficher moins dix-sept degrés à la voiture, un jour difficile puisque cette température n’empêche pas l’eau de couler dans ce fort débit, transformant le premier cigare en combat de survie, mené sans ciller par Matthias en tête. Les bras défoncés, les pieds trempés par l’eau qui a ruisselé à travers les vêtements jusqu’à l’intérieur des chaussures… L’eau qui regèle en surface de nos vestes de protection, gèle les doigts de mousquetons, les cordes et tout le matériel. La peur, celle qui fait réfléchir, une fois revenu au comptoir du Fjellkysten : la glace arctique est parfois tendre, mais pas ce jour-là.

Article publié le 1er mars 2023.

Tanja et Heike Schmitt, une cordée exceptionnelle. ©JC

L’Arctic Ice Festival fait le plein. ©JC

Matthias Scherer, le grimpeur derrière l’organisateur.

Infos : logement et activités outdoor avec le lodge Fjellkysten Gjestehus situé à Tennevoll, entre Narvik et Bardufoss. Idéal pour écrémer les plus beaux spots du nord de la Norvège, Fjellkysten est un camp de base très confortable, avec la gentillesse des hôtes, la possibilité d’avoir un taxi, des pistes de fond et un spot de cascade de glace à dix minutes, et des aurores boréales au-dessus de la tête !

Le rassemblement Arctic Ice Festival, The Gathering, se tiendra du 7 au 11 mars 2024.