L’histoire de la grimpe s’écrit sur tous les tableaux. Ses personnages sont jeunes ou moins jeunes, compétiteurs ou adeptes de la solitude des montagnes, ils se qualifient de « diffeux » ou de bloqueurs… Toutes ces étiquettes se rencontrent dans un joyeux mélange qu’est l’escalade avec un grand E et Chamonix en est le terrain privilégié. Entre coupe du monde place du Mont-Blanc et session bloc à la pierre d’Orthaz, nous sommes allés à la rencontre d’Alistair Duval, jeune grimpeur plein d’avenir. Au pied du bloc, il a fait la connaissance d’un certain Alain Ghersen.
« Je ne suis pas très calé en histoire de l’escalade » déclare-t-il sans ambages. Du haut de ses 19 ans, Alistair Duval est pourtant né en Haute-Savoie. Alors qu’il grandit aux Carroz d’Arâches, le jeune grimpeur aime le ski qu’il pratique en compétition. Mais pour ce qui est de l’alpinisme ou la grimpe en extérieur, cela reste de l’ordre de l’exceptionnel voire du rarissime. « Je n’ai jamais tenté l’alpinisme. Et pour ce qui est de l’escalade sur rocher, j’ai bien envie d’essayer quelques 9a que j’ai repéré. Mais ce sera après la saison des compétitions. »
Vers Paris et au-delà
Alistair fait partie de cette génération de grimpeurs sur-doués formés sur la résine des salles d’escalade, avec la compétition comme un jeu d’abord, puis rapidement comme objectif. C’est cette génération qui brillera aux jeux Olympiques du futur. Pas ceux de Tokyo, qui viennent d’ailleurs de démarrer, mais ceux pour lesquels l’escalade sera devenue une discipline olympique classique. Les grimpeurs sélectionnés pour Tokyo, Julia Chanourdie en tête, sont des précurseurs et doivent encore se demander comment l’escalade va bien pouvoir évoluer sous le sceau des cinq anneaux. Mais il y a fort à parier qu’Alistair fera partie de ceux pour qui la médaille olympique fera partie du palmarès logique de l’escalade. D’ailleurs, le jeune grimpeur voit plus loin et a déjà les Jeux de 2024 en tête. « Paris c’est mon objectif, mon rêve. Et pourquoi pas Los Angeles en 2028 ! Les JO ça fait rêver, ça reste un truc de ouf ! Les coupes du monde c’est génial mais gagnez les Jeux, c’est le Graal. » Les générations de sportifs passent, le pouvoir des Jeux demeure.
Chamonix 2021
« C’est bien de voyager pour les compets mais Chamonix, c’est évidemment spécial pour moi » dit-il à proximité de son frère qui participe également à la coupe du monde. Sa mère non loin de là chapeaute la fratrie. Et la compétition a un goût encore plus intense après des mois de disette, crise sanitaire oblige. Mais est-ce à cause de la pression mal gérée ou d’une faute d’inattention qu’Alistair zippe au 3e mouvements de la seconde voie de qualifications ? La finale lui échappe mais il sait prendre du recul et garder le moral : « C’est le jeu ! Et puis il reste Briançon le week-end prochain. » Peu importe à vrai dire, l’important est de se remettre dans la dynamique des compétitions et de retrouver les copains de l’équipe de France, que l’oeil affuté de Romain Desgranges observe depuis le banc.
Chamonix, c’est évidemment spécial pour moi
Deuxième voie de qualif’. Alistair se heurte au règles impitoyables de la compétition. ©Ulysse Lefebvre
Alors tant qu’Alistair est chaud, on décide d’aller grimper sur la célèbre pierre d’Orthaz, bloc erratique déposé par un glacier disparu. Il ne connait pas cette pierre étonnante mais un peu de rocher lui changera les idées. Et puis c’est à côté. On change de monde pour passer du Chamonix de la ville au Chamonix des champs. Et la pierre est là, posée au milieu de la clairière.
Quand Ali rencontre Alain
Alors que nous arrivons au pied du bloc, un binôme remballe. Et les mystères du hasard opèrent. Celui qui nous accueille n’est autre qu’Alain Ghersen, venu grimper avec son fils. Autant dire qu’Alistair ne le connait pas. Mais il va avoir l’honneur de grimper dans ses chaussons ! Le jeune grimpeur a oublié les siens et, ça tombe bien, tous deux ont la même pointure (et le même sponsor !). Leur rencontre nous plonge dans une drôle de brèche spatio-temporelle.
Années 80. Alain Ghersen évolue dans le 8e degré en rocher. Plus haut en montagne, il grimpe aussi ce qu’il y a de plus dur et engagé en alpinisme. Il est d’ailleurs connu pour être l’un des rares à avoir grimpé deux fois la Walker aux Grandes Jorasses… en solo. Plus singulier encore, Alain s’est formé à la psychologie dernièrement. La question du pourquoi de l’alpinisme doit le tarauder plus que n’importe qui, lui qui a réalisé des solos que la raison explique difficilement.
Alistair se lance dans la traversée d’Orthaz, côtée 8a, sans s’inquiéter de placer des pads. Sait-il que Ghersen a écrit un livre intitulé Risque et alpinisme ? D’ailleurs, quelle est la place de ce jeune compétiteur parmi ces Homo alpinus que Ghersen tente de définir ? La recherche d’absolu est-elle analogue selon que l’on recherche la ligne parfaite en montagne ou le geste parfait sur un mur ? Voilà un vaste débat qui ne cesse d’alimenter les conversations dans les chaumières et autres bars de grimpeurs et alpinistes.
Toujours est-il que Ghersen et Duval représentent deux versants complémentaires de l’escalade en tant que discipline complexe, en constante évolution. A ce titre, ils apportent chacun leur expérience et leur regard sur le matériel qu’ils utilisent dans leur pratique. Alain Ghersen co-développe depuis de nombreuses années le matériel d’alpinisme de Simond, marque chamoniarde historique. Responsable du département alpinisme à l’ENSA (Ecole nationale de ski et alpinisme), il est bien placé pour faire le lien entre le bureau d’étude de Simond et le terrain qu’il parcourt tous les jours avec les futurs guides de haute montagne. Depuis peu, Alistair Duval apporte lui sa fraîcheur et un regard neuf sur le matériel d’escalade qu’il utilise au plus haut niveau en compétition. La recherche de légèreté et de performance sont les maîtres-mots du grimpeur exigeant, que ce soit pour son baudrier ou ses chaussons.
La sagesse de Ghersen lui rappelle souvent une citation de Nietzsche : « Ne reste pas au ras du sol ! Ne t’élève pas trop haut ! C’est à mi-hauteur que le monde apparaît le plus beau. » Le genre de pensée que l’on comprend mieux après avoir soi-même touché du doigt les plus hautes sphères de sa discipline. Sûr qu’à l’avenir, Alistair ne visera rien d’autre que la plus haute marche des podiums. Pour l’heure, il s’apprête à entrer dans une école d’acteurs, à Paris. Un nouveau rôle et de nouveaux crux à venir.