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Flower Power

L’Androsace est une plante qui aime l’altitude, elle pousse à 3345 mètres, sur les rochers mis à nu au milieu du glacier de la Girose (Hautes-Alpes). Sur ce rognon rocheux est prévu la construction du pylône de 27 mètres pour le troisième tronçon du téléphérique (T3) de la Grave. Ledit T3 doit remplacer le téléski actuel, et la dameuse à passagers qui fait l’aller-retour entre celui-ci et la gare actuelle du téléphérique à 3200 mètres. 

Le T3 déchaîne les passions : faut-il construire un nouveau tronçon pour assurer un grand avenir économique à la Grave, comme l’affirment ses partisans ? Ou bien faut-il préserver ce qui est l’un des derniers grands glaciers des Alpes du Sud, en imaginant un tourisme et des pratiques plus respectueux de cet espace unique ?

Opportunément observée, cette Androsace du Dauphiné est une espèce protégée, dont la présence n’avait pas été relevée jusqu’ici. Cette nouvelle androsace est une espèce qu’il est interdit de détruire à moins d’obtenir une dérogation préfectorale, et qui n’était pas versée à l’inventaire floristique de l’étude d’impact. La SATA, elle, par la voix de Yann Carrel, minimise l’Androsace. Il suffirait de convaincre le Préfet de l’intérêt – comprenez financier – des travaux du T3, et de ne pas rouler en bulldozer dessus. 

Le ski magique aux vallons de la Meije ©Ulysse Lefebvre

Dans une semaine débute l’enquête publique. Comme expliqué dans notre enquête, la DREAL pourrait obliger alors la SATA à engager une demande de dérogation, au sujet de l’androsace. Qui dit demande de dérogation « espèce protégée » dit nouvelle instruction et décision préfectorale et de nouveaux délais possiblement conséquents avant le début des travaux. Les associations de protections de la nature pourront aussi se mobiliser. Mountain Wilderness se dit prête à déposer un recours, et dans la même veine, le Conseil scientifique régional de la protection de la nature pourrait s’auto-saisir. Le flower power contre le béton et les câbles du T3 ?

Selon ses défenseurs, le T3 est « vital » pour l’avenir de la Grave. Admettons. Mais à quel prix ? L’étude alternative financée par le collectif La Grave Autrement estime que les retombées économiques du projet sont largement surestimées par la SATA, près de la moitié moins que l’estimation faite. Sans le T3, la Grave serait ruinée, sans touristes. Vraiment ? 

Quand la délégation de service public incluant le projet de T3 a été accordée à la SATA, en 2017, celle-ci n’avait pas mis le grappin sur les Deux-Alpes (2020). Ce seul fait aurait dû suffire à obliger les différents acteurs à remettre les choses à plat. Ce qui bien sûr ne ferait pas les affaires de la SATA – qui a toutes les cartes en mains (Alpe d’Huez, 2 Alpes et la Grave) depuis.

faut-il balafrer le grand glacier de la Girose pour ne plus voir les minces trottoirs de la Grave encombrés de voitures ? Un comble.

La question n’est pas de savoir s’il faut verser quatre millions d’argent public pour ce projet de T3, dont le financement à terme (17 millions sur la durée de la DSP) est d’ailleurs aléatoire puisque dépendant d’une augmentation très significative du chiffre d’affaires (avec au choix un forfait chérot ou une grosse hausse de fréquentation).

La question n’est pas de savoir s’il faut mettre un pylône dix mètres à droite ou à gauche pour éviter l’androsace. Pour de bonnes raisons le T3 fait saliver certains gravarots. Ils y voient l’opportunité de réaménager le village, comme en témoignent les scénarios de l’étude de programmation urbaine que nous avons consultés : nouveau parking (souterrain), mais surtout nouveau centre bourg plus piétonnier, rues pavées, grande terrasse sans voiture face à la Meije. Mais faut-il balafrer le grand glacier de la Girose pour ne plus voir les minces trottoirs de la Grave encombrés de voitures ? C’est un comble. 

Ce T3 a les atours d’une extension. 

Plus que la Mer de Glace au Montenvers, la Girose est l’un des plus grands glaciers accessibles des Alpes françaises grâce au téléphérique actuel. La réflexion doit se poursuivre pour la pérennisation de celui-ci, dont la marge d’exploitation est faible. De la balade glacier en été au formidable essor du ski de rando à proximité des stations, la Grave peut tirer son épingle du jeu.

Que ce soit écrit noir sur blanc : chez Alpine Mag, nous soutenons les stations de ski, mais pas leur extension. Même s’il est présenté comme un remplacement de téléski existant, ce T3 présente les atours d’une extension, avec gare d’arrivée et grand pylône qui vont défigurer le glacier en limite de la zone coeur parc national des Écrins. Le T3 n’est qu’un cache-nez vers le haut, et surtout, vers l’ouest, un potentiel raccord avec les Deux-Alpes. 

Sauvons le glacier de la Girose. De 47 mètres le projet de pylône du T3 est déjà passé à 28 mètres. Encore quelques efforts pour qu’il ne dépasse pas la hauteur des petites fleurs de l’androsace.