Ce n’est pas mon premier édito sur le sujet, et ce ne sera pas le dernier. « Quatorze hurluberlus sur un glacier ne sont pas représentatifs de 67 millions de Français » : c’est la conclusion que tire le directeur de la SATA, Fabrice Boutet, après l’occupation du rognon du glacier de la Girose par le mouvement des Soulèvements de la Terre (SLT). Leur objectif, dénoncer la construction d’un 3ème tronçon du téléphérique de la Grave sur le glacier de la Girose, est atteint. Après les manifestations des associations Mountain Wilderness et La Grave Autrement, l’occupation du rognon à 3500 mètres – forcément limitée dans le temps avec l’arrivée de l’hiver – par les SLT, attire l’attention des médias nationaux.
Et pour cause : le collectif des SLT a lutté contre les méga-bassines de Saint-Soline, avec succès puisque le projet est gelé, et contre la nouvelle retenue collinaire de la Clusaz. Une « Cluzad » plus tard, le projet est abandonné, début septembre le maire de la Clusaz a annoncé un « moratoire » sur ce projet… validé par la Préfecture puis retoqué par le tribunal administratif. Partout des questions légitimes surgissent sur l’utilisation de la ressource en eau, sur le partage des biens communs. Le glacier de la Girose en est un.
Les militants ? « Des gens qui ne font rien de leur vie ».
Le plus frappant dans cette histoire, c’est le mépris et l’arrogance affichés par les représentants des domaines skiables et de la SATA. « Des anarchistes qui veulent diriger nos vies, des militants extrémistes » selon Alexandre Maulin, « des gens qui ne font rien de leur vie » pour Fabrice Boutet, qui confond le nombre de français (67 millions) avec le nombre de personnes potentiellement d’accord avec son projet, alors que la protection de l’environnement figure parmi les premières préoccupations des français selon cette récente étude du Monde (« Fractures françaises »).
En parlant du T3, l’« enquête publique nous a été favorable » dit M. Boutet : en effet, et c’est l’occasion de redire ici que l’enquête publique a été « une mascarade démocratique » bâclée par un commissaire-enquêteur publiquement favorable au projet. M. Boutet explique que grâce au bétonnage du rognon, avec pylône de 27 mètres au milieu du glacier, il n’y aura plus besoin de pelle mécanique sur ledit glacier. Vraiment ? Tout porte à croire que l’affluence de skieurs alpins sur un glacier qui subit le réchauffement climatique conduira à la mise en place d’une sécurisation des crevasses à grands coups de …pelleteuses et d’explosifs, comme sur le glacier de la Grande Motte. Qui sont les « hurluberlus » dans cette histoire ?
Laissons les glaciers tranquilles
L’argent public qui infuse le projet de T3 (à hauteur de 4 millions sur un budget de 12 millions, soit un tiers) renforce la question de la légitimité de s’interroger sur son bien fondé. S’il faut du travail aux habitants de la Grave, ne serait-il pas possible de dépenser cet argent autrement ?
Les tenants du T3 se réfugient derrière la loi, mais le dossier n’est pas jugé sur le fond, pour l’instant. Alors n’est-il pas légitime, comme le dit Mountain Wilderness, de demander un moratoire sur tout nouvel aménagement sur les glaciers ? N’est-il pas légitime de camper une semaine à 3500 mètres pour que l’on cesse de voir abîmer les espaces naturels pour le profit de quelques uns ?
Dans un mois la France accueille le One Planet – Polar Summit à Paris, consacré aux glaciers et aux pôles, qui pointe les dangers de « l’effondrement de la cryosphère à l’échelle mondiale » et la nécessité de travailler pour « s’y adapter », avec la présence des glaciologues du monde entier et du Président de la République. Nous serions donc un pays qui demande aux autres de protéger les glaciers et les pôles, tout en démolissant l’un des derniers grands glaciers des Alpes du Sud ? Ce ne serait plus de l’hypocrisie, mais de la schizophrénie. Profitons des glaces et de la neige pour skier, tant qu’il y en a, mais laissons les glaciers tranquilles.