Les verticales de l’Ennedi

Quand Simon Destombes m’a proposé de l’accompagner dans ce projet de voyage au Tchad, au coeur du désert de l’Ennedi,  j’ai, bien-sûr, dit oui. Puis, j’ai regardé une carte. Celle du monde, d’abord, pour, un peu, situer ce pays saharien, puis celle du Tchad pour me rapprocher déjà de cette région que nous allions visiter. J’ai rassemblé quelques topos des rares grimpeurs qui avaient voyagé là bas… Je n’ai pas cherché à en savoir plus, j’aime être surpris… Et je n’allais pas être déçu !

Ombres et lumières – Guelta d’Archeï. ©Simon Destombes

Sauf-conduit du désert

Notre petite expédition, douze personnes au total, est partie de N’Djamena pour le massif de Guéra, halte sur la route de l’Ennedi. Là, de belles tours de granite dominent le village de Bérété. Si des marabouts en ont la garde,  c’est au chef du village de nous donner l’autorisation de grimper sur les montagnes qui veillent les cases d’herbe tressée. Pour cela, il doit prendre l’avis du chef des collines qui, lui, doit en référer au chef des rochers avant de nous souhaiter la bienvenue en ces lieux. L’Afrique dans toute sa surprise, comme une roue qui s’échappe d’un de nos véhicules roulant à vive allure vers notre destination. Après Abéché, l’asphalte et ses nids de poules géantes (des autruches?) s’efface, les traces dans le désert cherchent le sol dense. Isaac et Mamadou, les chauffeurs, rivalisent d’audaces et de rivalités joueuses pour ne pas tomber dans les pièges de sable.

Puis, l’Ennedi, des petits massifs de tours de grès à perte de vue, des villages de cases de paille que l’on découvre au dernier moment ; le désert est habité. De grands troupeaux de vaches aux yeux de biches cheminent vers les puits,  des chèvres broutent les dunes, des chameaux cherchent l’ombre d’arbres d’épines. Ces derniers se retrouvent à la Guelta d’Archeï, là où les derniers crocodiles du Sahara attendent leur départ pour s’aventurer dans l’eau croupie.

La pierre, elle, est de grès; je retrouve cette approche humble et concentrée des murailles jordaniennes. Avec Simon,  nous repérons des cheminements possibles et souvent nos deux petites équipes se retrouvent au sommet d’une tour, îlot de pierre au milieu du désert. Il y a aussi ces itinéraires imaginés qui resteront imaginaires. Ali, guide engagé à Fada, nous accompagne ; il est chez lui, il nomme les sommets que nous avons gravi et sait où se nichent les magnifiques peintures rupestres. Au retour d’une journée de découverte, César se met aux fourneaux et s’adapte aux difficultés d’une intendance itinérante pour nous offrir le jeu de ses épices.

Christian concentré à l’ouverture – Massif de Guéra. ©Simon Destombes

Chroniques de l’escalade dans l’Ennedi

L’Ennedi est situé au Nord-Est du Tchad sur une étendu comparable à la taille de la Suisse. Massif complexe à traverser, c’est sur sa bordure Sud que se concentre la population du désert. C’est aussi là que l’on rencontre les principaux sites « touristiques » et ceux explorés par les grimpeurs.  Une équipe française composée de : Alain et Anne Bruzy, Jerome Labat, Alain Miquel, Hélène Pic et Éric et Chantal Rousset fait le voyage en 2000. Ils ouvrent des voies du côté de la Guelta d’Archeï, sur la Tour de Yaou, et visitent les massifs de Déli, Baména. Dans un intéressant travail bibliographique que fait Alain Bruzy des lieux, il est à noter les premières tentatives d’escalade dans le massif de Déli par Hubert Gillet en 1964.

En 2010, une équipe sous l’égide de The North Face visite l’Ennedi avec une optique photogénique; elle se concentre autour de l’arche de Baména, avec les grimpeurs Alex Honnold, James Pearson et Mark Synnott. La même année, puis en 2013, Yann Borgnet, Antoine Eydoux, Pascal Mao, Pascal Morin, Etienne Mouret et Olivier Obin voyagent dans l’Ennedi. Ils remontent de belles fissures à Archeï, serpentent dans le Labyrinthe d’Oyo, grimpent des minarets des Quarante Portes. Ils réalisent avec l’aide d’habitants des lieux et d’acteurs du tourisme tchadiens, une cartographie des sites d’escalade jusqu’alors connus. De plus ils ramènent de ces riches expériences un film superbe, « Les Voleurs d’Echo » réalisé par Etienne Mouret.

En 2015, une expédition de grimpeurs italiens explorent le massif de Guéra au-dessus de Bérété, ouvrant de belles lignes.

Au début de l’hiver 2018, les guides Simon Destombes et Christian Ravier partent en compagnie de Céline Tixier, Marie-Claire Traub Zwahlen et Marie-Agnès et Daniel Clauzure sur la route de l’Ennedi. Ils visitent les aiguilles de granite de Bérété, puis continuent leur route vers l’Ennemi. Ils continuent l’exploration des montagnes autour de la Guelta d’Archeï. À l’automne 2019, c’est au tour de Catalans de succomber aux charmes de l’Ennemi. Ils s’aventurent sur la route entre Fada et Faya Largeau et rencontrent de belles parois qu’ils baptisent « les Gardiens de l’Ennedi ».

Les grimpeurs voyageurs ne sont pas au bout de leur surprise dans l’Ennedi. Partout, des sentinelles de pierre silencieuses dessinent le paysage.  Les maîtres mots d’un voyage grimpistique au Tchad restent toutefois “adaptation et improvisation”. S’adapter aux rythmes d’un groupe dans le désert, rester stoïque devant la disparition de ce boulon d’un triangle direction remplacé par une cornière Cassin pour tenter de rejoindre la petite ville de Fada : Eric notre logisticien est soumis à rude épreuve. Exaucer les désirs des uns, satisfaire les projets des autres, c’est avec une sérénité sans faille et une inquiétude contenue qu’il trouve ce que le temps du désert lui laisse pour rencontrer la solution.

Un matin dans l’Ennedi – Tiguiliche. ©Simon Destombes

Friandise – Labyrinthe d’Oyo. ©Simon Destombes

Les différents sites d’escalade

Le rocher est un grès en général plus tendre et moins sculpté que celui du Wadi Rum en Jordanie. Il se prête parfaitement à l’assurage naturel.

– La Guelta d’Archeï est le site le plus connu. Un vaste corridor dessiné de parois sombre fendues de fissures, cheminées et couloirs qui s’ouvrent sur des canyons qui mènent à la Guelta. On y trouve une dizaine de voies  d’une hauteur de 100 à 150 mètres. À l’Est d’Archeï, les montagnes de Tiguiliche et I Bour Tohilé ont été visitées en 2018.

– Le Labyrinthe d’Oyo est un petit joyau, un jardin de pierre à l’anglaise. Des allées cheminent entre de belles fissures, des carapaces de grés, et croisent des arches et des pinacles exubérants. On y rencontre une dizaine de voies d’une trentaine de mètres.

– La Guelta de Baschikélé : deux itinéraires ont été ouverts en 2013.

– Les Quarante Portes est une forêt d’aiguilles aux formes presque humanoïdes. Une seule voie y a été ouverte. Cette foule de minarets surgit des sables est un spectacle grandiose.

– Les Aiguilles de Yaou sont les premiers motifs que l’on croise en rentrant dans l’Ennemi. Sur ces flammes arrogantes, le rocher est compact, un grès dur qui pourrait faire penser à celui que l’on rencontre à la Main de Fatma au Mali. Deux voies ont été ouvertes.

– L’Arche d’Aloba est un monument naturel exceptionnel. Une arche de plus de 100 mètres de hauteur! 

– l’Arche de Baména est une voute incroyable en rocher fragile. Les tours voisines ont connu la visite de grimpeur en 2000.

– Les Gardiens de l’Ennedi, sur la route entre Fada et Faya Largeau, reconnus par des grimpeurs catalans en 2019. C’est peut-être là pour l’instant que l’on trouve les plus hautes murailles. Deux voies ont été ouvertes.

À une journée de route de N’Djamena en allant vers l’Ennedi le massif de Guéra offre de belles voies en granite  œuvre d’une expédition italienne en 2012. Là aussi beaucoup de possibilités dans tout le massif.

Si vous souhaitez obtenir les topos de l’Ennedi, écrivez à cravier(at)club-internet.fr et à simon(at)montagnesdumonde.fr