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Confiné dehors : quand j’étais malade en expé

Confiné dehors en pleine montagne, c’est ce qui est arrivé à Antoine Rolle en 2017 lors d’une expé en Inde dans la vallée de Miyar, cloué au lit ou dans la tente pendant 19 jours, sans distraction ni possibilité de retour. Isolé et souffrant, retour sur un temps de doutes et de remises en question, bien utile pour vivre le confinement présent.

En ce début de printemps 2020, nous sommes touchés par une situation sans précédent, un confinement total dû au COVID-19. Dans le milieu de la montagne la frustration est grande, il est impossible de sortir se défouler. En expédition, lorsque nous sommes au camp de base, nous sommes isolés mais le terme de confinement n’est pas adapté ni comparable. C’est un choix que nous faisons et nous avons la liberté de nous déplacer. Mais lorsqu’on tombe malade, l’expédition prend une autre tournure.

Je suis depuis ma naissance, atteint d’une maladie génétique qui touche mes globules rouges. Mon système immunitaire en est affaibli et chaque virus ou bactérie a des conséquences bien plus importantes. En 2017, lors d’une expédition en Inde dans la vallée de Miyar, j’ai vécu une douloureuse expérience. Ma tente s’est alors transformée en cellule et mon voyage en confinement. 

Dans la région de l’Himachal Pradesh, nous trouvons plusieurs « puja » bouddhistes durant le trek d’approche de la Miyar Valley. ©Antoine Rolle

Faux départ

« Mais qu’est ce que je fais là !? » La tête collée contre le hublot de l’avion, j’essaye de transformer les vibrations de l’appareil en berceuses. Bien entendu, la fièvre est de retour, accompagnée de frissons et bouffées de chaleur. Combien d’heures reste-t-il avant l’atterrissage ? Trop, je ne préfère pas savoir. Cela fait plus de deux jours que je suis malade. Chaque infection que je subis s’amplifie et les ressentis sont plus importants. Au fond de moi, ma conscience me dit que je n’aurais jamais dû partir. Habituellement le « Pourquoi suis-je là ? » se trouve accompagné de grognements dans une longueur exposée ou lors d’un mauvais bivouac, mais rarement dès le premier jour d’une expédition. Bien entendu, il est trop tard pour rebrousser chemin. Je replonge la main dans la boîte de Doliprane et entame un énième film pour raccourcir le trajet. À la sortie de l’aéroport de New Delhi, la chaleur étouffante s’abat sur nous. Déferlent alors à notre rencontre (plus oppressants que la chaleur) les chauffeurs de taxis. Je ne sais pas si nous avons choisi le bon mais les trois heures de route dans New Delhi me plongent dans un état second. Je n’ai plus conscience ni du temps ni de quoi que ce soit d’autre. Mon seul exutoire : la chambre climatisée de l’hôtel. Ai-je fait le bon choix de partir ? Mon égo était-il trop fort ? Certainement ! Je suis bloqué dans la chambre, pas parce que tout déplacement m’est interdit, mais car je suis incapable d’en sortir. Le temps est alors drôlement long dans ce motel indien… 

Sortir jusqu’à la tente messe est déjà une épreuve. s’éloigner du camp de base deviendrait un chemin de croix. La tournure de mon voyage change radicalement.

Mon corps m’offre quelques heures de répit pendant ce temps de marche. ©Florence Cotto 

Enfermé dehors

« Mais qu’est ce que je fais là !? » Je n’arrive pas à y croire. Ces derniers jours se passaient mieux. Avec le trek d’approche, j’étais capable de marcher en altitude et je me sentais bien pour l’acclimatation. Nous avions repéré plusieurs faces, plusieurs sommets et j’espérais tant y grimper. Notre programme de la journée était d’ouvrir une nouvelle voie sur le Goya Peak (5160 m) au-dessus du camp de base. Mais ce matin, pendant que Thibaut et Muriel marchent de leur coté, Thomas et Flo partent grimper. Je suis cloué à la tente depuis hier soir. J’ai une forte fièvre et suis incapable de bouger. Encore. Je n’arrive même pas à observer mes amis aux jumelles pendant leur ascension. La tente se referme sur moi. Il n’y a aucune distraction possible. La journée est un calvaire et, malheureusement, la première d’une longue série. Ils reviennent enthousiastes de leur escalade. Le rocher est apparemment exceptionnel et cela me redonne un peu d’espoir. Le lendemain, aucune amélioration. Thibaut et Mumu sont de retour et nous pouvons enfin discuter tous ensemble. De mon côté, la fièvre ne s’arrête pas et j’ai repris mes traitements. Il m’est impossible d’espérer entreprendre une quelconque escalade. Sortir jusqu’à la tente messe est déjà une épreuve, alors s’éloigner du camp de base deviendrait un chemin de croix. Mes compagnons décident de tenter un de nos objectifs principaux. La tournure de mon voyage change radicalement. Je les regarde partir avec un brin d’inquiétude. Pas pour eux, mais pour moi. J’ai peur de cette solitude qui s’annonce. 

Je ne pense plus qu’à une seule chose, rentrer. 
À ce moment là du voyage, il n’y a aucun plaisir.

Les montagnes alentours s’offrent à moi, mais une fois de plus je ne peux pas sortir. Enfermé dehors. La fièvre redouble. À 4000 m d’altitude le soleil tape fort et l’effet de serre sous la tente fait grimper le thermomètre. Je ne sais pas s’il fait plus chaud dans mon corps ou sous la tente. Lorsque je sors de mon duvet, des frissons m’envahissent comme si le paysage devenait glaciaire. Mon corps me fait mal, physiquement et psychologiquement. Chaque mouvement est dur. Sans bouger de mon lit, je suis par moment aux jumelles les copains à l’action. Ce ne sont que de minuscules points noirs se détachant du ciel. C’est incroyable d’observer leur progression jusqu’au sommet. Ils réalisent, en 5 jours au total, le pilier ouest du Marikula Killa (5750m). Mais malgré la consolation de voir mes amis là-haut, la solitude au camp de base, associée à mon état de santé qui ne s’améliore pas, me plonge dans un réel état de dépression. En Inde, les téléphones satellites sont globalement interdits. Appeler pour un rapatriement me parait complexe, l’armée viendrait nous chercher, mais pas pour nous ramener à la même destination qu’au départ. Il m’est impossible de trouver du réconfort auprès de mes proches en France. Je hais cet isolement. Les journées sont longues, trop longues. Je ne pense plus qu’à une seule chose, rentrer. À ce moment là du voyage, il n’y a aucun plaisir.

Les prières ne changeront rien pour mon état de santé mais les copains iront jusqu’au sommet. © Antoine Rolle 

Cette vue ne me quittera pas pendant presque deux semaines. © Antoine Rolle

Florence lors de cette même ouverture de « Crystal palace » au Goya peak, une fin inespérée pour moi. © Antoine Rolle 

Toucher le fond et rebondir

La remise en question est totale. « Suis-je réellement fait pour ça ? Pour les expés ? Pour l’alpinisme ? ». J’ai envie de tout arrêter. Cela fait maintenant 7 jours que je suis malade au camp. J’ai maigri et me sens diminué. Je concentre mon énergie dans l’élaboration de plans pour être le plus tôt chez moi. Car à ce moment là, je ne vois aucune autre issue que de rentrer en France rapidement. Ça en devient obsédant. Dès leur retour, je leur expose mon choix, mes arguments et mes envies. Ils n’accueillent pas ma décision avec joie et entrain. Tous souhaitent que je reste. Les discussions sur mon départ sont animées. Les jours passent et mes plans tombent à l’eau. Sans trop avoir le choix, ils me convainquent de rester. Les quelques balades que nous entreprenons sont compliquées et prennent plus de temps que prévu. Je ne me sens pas de grimper en altitude ou me lancer dans une grande face. Marcher en montagne se révèle suffisamment difficile. Il reste peu de temps avant notre départ du camp de base et l’expé débute seulement pour moi. Il faudra se contenter de peu. Malgré la difficulté physique, le simple fait de toucher les parois granitiques indiennes relève du miracle. Mon confinement prend bientôt fin. Nous sommes au 19ème jour et il est grand temps de m’encorder à mes amis. 

Le reste de l’équipe, heureux, au sommet du Marikula Killa. © Thomas Auvaro

Retour en montagne pour la fin du voyage, heureusement que les copains m’aident à porter le matériel. © Antoine Rolle 

Autoportrait « Au coeur du mal Carpentier ! »
©Antoine Rolle

Un apprentissage

Le soleil, les rires et l’escalade ont marqué les derniers jours de l’expédition. Comme on me l’avait si bien vendu, le rocher granitique est exceptionnel. Les knobs (rochers incrustés) et les fissures façonnent les parois, et par endroits on imaginerait presque des taffonis. La Miyar vallée recèle encore bien des secrets. L’escalade est avant tout une histoire de cordée. L’équipe m’a transmis toute l’énergie et la motivation suffisante pour grimper. Nous avons pu ouvrir trois nouvelles grandes voies d’environ 300m en 6c/7a max sur les sommets du Goya peak (5230m) et du Toro peak (4970m). Pas de big wall extrême mais simplement l’immense chance et la joie d’être en montagne.

J’ai regretté longtemps d’être parti et de ne pas être resté chez moi. Je me suis promis de ne jamais refaire la même erreur. Mais au fil des années, j’ai appris à ne garder que le meilleur. Je me suis auto-confiné plus de 15 jours dans les chambres d’hôtel ou dans notre petite tente de camp de base. Les principaux souvenirs qui me restent ne sont pas les moments de doutes, mais bien les belles longueurs d’escalade que l’on a gravi. Heureusement que je ne me suis pas écouté et que je n’ai pas vendu tout mon matériel au retour de ce voyage ! Mais il a fallu le digérer… Cette expérience m’a finalement appris à mieux me connaître et m’a enrichi.

L’acceptation de la souffrance est une chose importante en alpinisme. Mais elle a ses limites et j’ai trouvé les miennes. Je me suis juré de ne jamais revivre cela en expédition, de prendre de meilleurs décisions et peut être ne pas laisser l’égo prendre le dessus. Pour les alpinistes et grimpeurs, le fait d’être « cloué au sol » est terrible et difficile à accepter. Au départ de ce voyage je n’y étais pas prêt. Mais au retour, j’ai savouré les choses simples du quotidien tant espéré sous ma tente. Aujourd’hui alors que nous sommes tous bloqués chez nous, je relativise sur cette quarantaine. Ces expériences individuelles ou collectives nous font évoluer. Et les malades vivent bien plus difficilement ce confinement que nous.
Nous pouvons jouir du confort du domicile tout en préparant nos prochaines sorties post-confinement. What else ?