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Alpinisme : l’art de faire demi tour ? Vous avez une heure.

Samedi 11 novembre 2023, 18h. Rencontres Ciné Montagne de Grenoble, Palais des Sports. Quatre personnalités parmi les plus pointues sur l’alpinisme attendent le micro pour dire tout ce qu’elles pensent du demi-tour en montagne. 

La tâche m’est confiée d’animer une rencontre qui consiste globalement à faire parler les meilleurs alpinistes du moment sur des séquences globalement rangées dans la case « mauvais souvenir » de leur mémoire. Le tout en moins d’une heure s’il vous plaît.

Ce fut pourtant un moment court et intense que je vais essayer de vous résumer de manière thématique (voire schématique, les protagonistes m’en excuseront) en quelques échanges, avec pour fil conducteur, celui d’une certaine philosophie de l’acceptation.

Lise Billon, l’anti-conformiste – et ces règles à réinventer

Au retour du K7 (demi-tour 400m sous le sommet), tu déclares à Alpine Mag que le sommet n’est pas une fin en soi. Tu plaisantes ?

Lise : Non non, je pense qu’atteindre forcément la cime est une règle de l’alpinisme qu’on peut décider de ne pas suivre. Je n’aime pas les règles, je pense que c’est à chacun de jouer avec ses propres règles. Même si c’est facile à dire pour moi, avec beaucoup d’expéditions réussies, je pense vraiment qu’on peut se contenter du voyage qu’offre l’alpinisme, sans forcément monter au point le plus haut. C’est à chacun de définir ses propres règles du jeu. Ne pas atteindre le sommet n’est pas forcément synonyme d’échec. 

Jean-Michel Asselin : le psychanalysé – et ces échecs qui nous font avancer

Après cinq expéditions à l’Everest et zéro sommet, je ne trahis pas un secret en disant que cette montagne est une véritable obsession dans ta vie d’alpiniste et de journaliste. Après tous ces demi-tours, l’Everest reste-il un rêve ?

Jean-Michel : Oui l’Everest a marqué mon existence. Au plus haut, je suis monté jusqu’au ressaut Hillary, à 8800m et j’ai fait demi-tour à la demande de mon compagnon de cordée qui ne le sentait pas. Grâce à quelques années d’analyse, je pense que je n’avais tout simplement pas moi-même les capacités pour aller au sommet. Avec le recul, je me dit aussi que c’est cet échec qui m’a poussé à aller plus loin dans une réflexion plus large sur l’alpinisme en général. De ces échecs a émergé une raison d’être. En allant au sommet, je serais sûrement passé rapidement à autre chose. 

Oui oui, on peut aussi rire en parlant du demi-tour. ©Jocelyn Chavy

©JC

Benjamin Védrines : le pragmatique – et cet esprit de cordée qui nous unit

À 7700m environ, dans le versant Rupal du Nanga Parbat, ton compagnon de cordée David Goettler t’annonce qu’il renonce. Pour toi, tous les feux sont pourtant au vert, à tel point que l’idée de continuer seul te traverse furtivement l’esprit. Mais tu décides finalement de l’accompagner vers le bas. Toujours vrai en Himalaya l’adage selon lequel on va vite tout seul mais loin à plusieurs ?

Benjamin : C’est sûr que je me sentais très bien et que j’aurais pu continuer, faire la trace, me mettre au rythme de David. Mais il s’est avéré qu’il ne pouvait pas monter plus haut. C’est une déception mais la nécessité de ne pas laisser un compagnon seul dans un versant immense, crevassé et dangereux prend vite le dessus. Être dans le même état d’esprit que son compagnon de cordée est essentiel pour atteindre un sommet. Mais lorsque l’un des deux flanche, il n’est plus question de se demander si c’était le bon et il faut l’accompagner. Et pourquoi pas penser déjà à y retourner plus tard. 

Clovis Paulin : Le novice – à qui on ne la refera pas trois fois

Cette expé au K7 était ta première expérience en Himalaya. Tu reviens sans le sommet pour cause de météo difficile. Tu te dis que c’est le jeu, qu’en Himalaya il y a beaucoup d’échecs pour peu de réussite ? 

Clovis : Peut-être oui. Mais si on me dit maintenant que mes trois prochaines expés en Himalaya se termineront sans sommet, alors je ne repars pas ! Quand tu investis énormément en termes de temps, d’argent, d’entraînement, de vie personnelle, faire demi-tour est, pour moi, une vraie déception. Contrairement à Lise, je n’ai pas ce bagage d’expés réussies, donc j’ai du mal à relativiser. Même si sur le moment, nous étions tous d’accord (NDLR avec Lise Billon, Aymeric Clouet et Charles Dubouloz) qu’il fallait redescendre. Le sentiment d’avoir pris la bonne décision n’évite pas le regret. 

Conclusion

Que retenir de tout ça si ce n’est qu’il faudrait bien plus de temps pour creuser le sujet ? Peut-être, quand même, l’idée qu’on a toujours une bonne excuse, au sens propre du terme, pour faire demi-tour. Que ceux qui ont hésité mais ont continué en parlent rarement. Et que ceux qui auraient dû faire demi-tour et l’ont payé au prix fort ne sont plus là pour le raconter. 

Conclusion à notre petit devoir du week-end : si l’avenir est devant soi, faire demi-tour ne revient pas forcément à lui tourner le dos. Bonne semaine.