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Un hiver amer

Il est arrivé, puis il est reparti. Décembre, un peu janvier, et puis c’était fini. Jusqu’à jeudi dernier. L’hiver nous est retombé dessus. Jusqu’à la tragédie d’hier, on l’avait presque oublié : le bulletin d’estimation du risque d’avalanche. Qui aurait pu croire qu’un tel drame – quatre morts – survienne cet hiver en Auvergne à 1600 mètres d’altitude ?

On avait presque oublié ce BERA, qui a affiché un niveau incongru de 1/5 pendant de longues semaines de janvier où la neige s’est barrée… sous deux mille mètres. Au-dessus ? Une année record, tant dans le Mont-Blanc que dans les Écrins. Des mètres de neige qui s’accumulent. Située sur la moraine du glacier de Bonnepierre, à 2970 m., la balise Nivose des Écrins indique un cumul supérieur à 374 centimètres de neige ! L’un des plus gros cumuls de ces cinquante dernières années. Mais en bas, c’est marée basse.

L’hiver sur le mont Blanc. ©JC

Sous 2000 mètres, l’enneigement est souvent non seulement faible, mais très déficitaire. La raison est la même qui a conduit les bistrots à sortir les tables sur les terrasses : des températures élevées en plein hiver, un isotherme zéro degré qui fait le yoyo et atteint des sommets. Une limite pluie-neige qui dépasse parfois les 2500 mètres d’altitude. Fatal pour la pratique de la cascade de glace, et pour le ski de fond, et surtout pour les petites stations comme St-Colomban-des-Villards, en Savoie, qui a fermé le 19 février dernier.

A contrario, les stations de haute altitude font le plein. Sans neige en bas, les skieurs de randonnée, comme les skieurs en station, lorgnent les points d’accès les plus hauts et les plus enneigés, comme en avril. Sans glace, les alpinistes font du mixte avec leurs piolets sur du caillou plus ou moins enneigé. Chacun fait comme si.

Sans neige en bas, les skieurs font comme en avril : ils montent. Sans glace, les alpinistes font du mixte. Chacun fait comme si.

Abreuvés d’images d’hiver, nous étions, et sommes sans doute, en manque d’hiver. Notre perception de ce qu’est l’hiver est pourtant sans cesse biaisée par ces images de poudreuse et de glace sur les réseaux sociaux. Photos de l’autre bout du monde, mais aussi et surtout images de « créateurs de contenu » basés dans les grandes stations, de guides et d’athlètes basés à Chamonix… et qui, à plus de 3000 mètres, ne voient guère l’hiver de misère qui sévit en moyenne montagne. Le genre d’hiver que nous sommes probablement appelés à connaître dans les prochaines décennies.

Le résultat ? Au niveau du grand public, le PGHM n’a cessé de rappeler que les simples balades en hiver sur sentier plus ou moins déneigé ne sont pas exemptes de danger et que l’activité rando s’apparente à l’alpinisme hivernal. Au niveau des pratiquants, nous vivons ce biais phénoménal entre notre perception de la saison hivernale vue sur instagram et la réalité elle-même disparate du terrain – partagée entre neige surabondante en haute altitude (ou surabondante sur un temps très soudain) et la neige et le froid absents en moyenne altitude. Une dichotomie entre le désir d’aller en montagne et les conditions, plutôt bonnes à Cham’, et plutôt pourries en général.

un biais phénoménal entre notre perception de l’hiver vu sur instagram et la réalité du terrain

Quand l’hiver revient, d’un coup, c’est comme si on avait oublié. Mais comme l’a écrit le guide Blaise Agresti, « la montagne nous épargne souvent ». L’art d’aller en montagne est d’une complexité infinie, rappelle cet ancien commandant du PGHM. Aussi complexes sont sans doute les sentiments ambivalents que provoque cet hiver amer, trop chaud, où le risque atteint 3/5 sur l’échelle du déni.