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Espionner pour mieux voler : duo au sommet entre rapaces et parapentistes

À des milliers de mètres au-dessus de nos têtes ont parfois lieu d’étranges rencontres… Depuis toujours, les êtres humains cherchent à imiter les oiseaux. Et certains y parviennent ! Les meilleurs parapentistes au monde ne s’en cachent pas : on apprend beaucoup en observant les majestueux oiseaux en action. Pourtant, des questions demeurent quant à la manière dont s’orientent et se déplacent ces maîtres de vol. Comment volent-ils en groupe ? Comment repèrent-ils les ascendances thermiques ? Tant d’éléments qui pourraient nous permettre de mieux les comprendre, pour peut-être finir par voler aussi bien qu’eux.

Hannah Williams, écologue au Max Planck Institute for Animal Behavior, est spécialiste de l’écologie du mouvement. Cette discipline cherche à décrire et comprendre la manière dont les déplacements des animaux sont liés à des dynamiques déployées à l’échelle des individus et des groupes, basées sur la recherche de ressources et, par conséquent, la survie. Elle a mené de nombreuses recherches sur les mouvements des rapaces et particulièrement des vautours.

Mais aujourd’hui, pour mieux comprendre ces oiseaux, ce ne sont pas les rapaces qu’elle étudie, mais bien les parapentistes ! S’il est habituel d’observer les animaux pour comprendre l’être humain, c’est ici l’approche inverse qui a été choisie, faisant des pilotes de précieux guides pour se mettre dans les ailes des vautours. Une aventure scientifique dans les airs, racontée par les sportifs et les scientifiques dans le film Spy to fly, réalisé par Aurélien Prudor et diffusé en avant-première dans le cadre des Rencontres Montagnes & Sciences*.

Un vol guidé par de nombreux choix

Grâce à la technologie GPS, il est possible, depuis une dizaine d’années, d’obtenir des données sur les trajectoires et paramètres de vol. Ces éléments factuels sont essentiels pour comprendre le déplacement des oiseaux planeurs, qui se caractérisent par un appui fort sur les éléments extérieurs.

Les ascendances thermiques, colonnes d’air chaud dépendantes de la topographie et invisibles à l’œil nu, sont au cœur de leur stratégie de vol. Les oiseaux pratiquent un vol plané : sans battements d’ailes, ils utilisent les thermiques pour prendre de l’altitude, avant de se laisser glisser à l’horizontale. Leur vol est donc guidé par plusieurs moments clé de prises de décisions : le choix du thermique, le positionnement à l’intérieur de celui-ci, et le passage d’un thermique à l’autre. Dans tous ces moments clés, il s’agit d’adopter la bonne vitesse, pour parcourir de longues distances en minimisant les mouvements d’ailes et, de ce fait, la dépense énergétique.

comment les vautours se représentent-ils leur environnement ?

Une information manque pourtant à la compréhension de leurs déplacements : comment les vautours se représentent-ils leur environnement ? Quel est le rôle du vol en groupe pour prendre ces décisions cruciales ? Puisqu’il n’est pas possible de demander aux oiseaux, Hannah Williams a eu l’idée de travailler avec les meilleurs parapentistes au monde pour mener cette enquête.

L’équipe nationale anglaise de vol cross-country a accepté de jouer le jeu de cette étude. Dans leur discipline, l’objectif est de rejoindre le maximum de points en un temps le plus court possible. Pas très loin des trajectoires de vol de nos vautours…

Affiche du film « Spy to fly » (2023) réalisé par Aurélien Prudor et projeté en avant-première lors des Rencontres Montagnes & Sciences. La projection à Grenoble sera suivie d’une démonstration de vol d’aigle par Jacques-Olivier Travers, fauconnier.

Une étude livrant ses premiers résultats

Pour parvenir à une analyse fine du comportement de vol en groupe des parapentistes, Hannah Williams les équipe d’une batterie de capteurs (accéléromètre, magnétomètre, gyroscope, lunettes de suivi oculaire) mais aussi d’un micro et d’une caméra, qui permettent aux pilotes de partager avec la chercheuse l’ensemble de leurs décisions.

En mettant en relation commentaires et performances de vol, Hannah et son équipe créent des modélisations, permettant d’analyser les mouvements de chaque parapentiste, mais aussi et surtout qui il regarde, et quand. Ces informations constituent de précieux outils pour comprendre le fonctionnement du groupe et son importance pour la prise de décisions. Parmi les premiers résultats, les chercheurs ont remarqué que grâce à l’observation de leurs pairs, les pilotes anticipent leurs déplacements dans les courants thermiques, jusqu’à 7 km en avance !

Comme les oiseaux, les pilotes cherchent en permanence
à optimiser leur utilisation des thermiques,
en adaptant leur vitesse et leurs choix de déplacement

Extraits du film Spy to fly. ©Aurélien Prudor

©Aurélien Prudor

À la recherche des meilleures performances

Ces informations sont importantes à la compréhension du vol des vautours, mais quel intérêt les parapentistes y trouvent-ils ? Malin Lobb, parapentiste et instructeur au sein de la British Paragliding Academy, précise que cela permettra de perfectionner le vol en comparant les données des différents pilotes. Ainsi, ils pourront répondre aux défis que représente le vol en montagne, nécessitant une lecture permanente du paysage pour imaginer la façon dont les reliefs vont influencer les conditions de vol et le placement. Comme les oiseaux, les pilotes cherchent en permanence à optimiser leur utilisation des thermiques, en adaptant leur vitesse et leurs choix de déplacement.

Mais cette étude ne permet pas seulement d’améliorer les performances compétitives : il s’agit aussi de sécurité. Une mauvaise prise de décisions est malheureusement à l’origine de la majorité des accidents en milieu montagnard. Avec une meilleure compréhension des différents paramètres de vol, la formation des pilotes à ces enjeux pourrait être améliorée.

L’étude, menée par Hannah Williams et son équipe et commencée en janvier 2022, va se poursuivre sur plusieurs années, pour en apprendre plus encore sur le vol des meilleurs pilotes au monde, qu’ils soient à plumes ou dotés d’une toile. Et qui sait, les seconds égaleront peut-être un jour les premiers.

* Les Rencontres Montagnes et Sciences démarrent leur tournée les 10 et 11 novembre à Grenoble. Puis : Chambéry le 21 novembre, Bourg d’Oisans le 28 novembre, Valence le 7 décembre, L’Argentière-la-Bessée le 15 décembre, Clermont-Ferrand le 16 janvier, Lyon le 23 janvier, Modane le 26 janvier, Le Châble (Suisse) le 23 mars.