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La première ascension du mont Aiguille en 1492, entre prouesse humaine et innovation technologique

© Ludovic Veltz.

Le 26 juin 1492, pour la première fois, un homme accède au sommet du mont Aiguille. Antoine De Ville, militaire aux ordres du Roi Charles VIII, entre dans l’histoire pour son ascension de ce que l’on nomme encore le mont Inaccessible. Si l’on considère aujourd’hui cet acte comme le geste fondateur de l’alpinisme, des zones d’ombre demeurent : qu’est-ce qui a motivé cette ascension ? Et surtout, comment De Ville et ses hommes sont-ils parvenus à gravir les 300 mètres de face qui les séparaient du sommet ?

Pour en savoir plus sur cette première ascension, Stéphane Gal, historien à l’Université Grenoble Alpes, a embarqué avec lui les habitants du village voisin de Chichilianne, pour une ascension exceptionnelle. 530 ans plus tard, l’étude a permis de reconstituer les tenues et équipements de l’époque, pour finalement retrouver l’itinéraire qu’Antoine De Ville aurait probablement emprunté dans la paroi. Une aventure humaine et scientifique, documentée par Ludovic Veltz dans son film Retour au mont Aiguille, diffusé en avant-première aux Rencontres Montagnes & Sciences, le 11 novembre 2023 à Grenoble.

Une histoire de passionnés

Le projet est d’abord né d’une convergence autour du mont Aiguille : celle de Ludovic Veltz, réalisateur spécialiste de la photogrammétrie au drone, et de Stéphane Gal, historien expérimentaliste à l’Université Grenoble Alpes (LARHRA-ITTEM), spécialiste des liens entre milieu vertical et politique, et déjà connu pour sa traversée des Alpes en armure (à pied et à cheval).

Très vite, leur rencontre donne lieu à un projet ambitieux : gravir le mont Aiguille à la manière d’un chevalier du XVème siècle. Une démarche d’archéologie expérimentale, dont l’objectif est de comprendre la manière dont Antoine De Ville et ses troupes sont parvenus à atteindre le sommet, en reconstituant les conditions de l’époque.

Pour cette aventure, ils sont accompagnés d’un autre passionné : Bernard Angelin, alpiniste à l’impressionnant record de près de 2 000 ascensions de cette Merveille du Dauphiné ! Son expertise des différentes voies et sa connaissance fine du mont Aiguille en font un grimpeur précieux pour déterminer les accès les plus plausibles empruntés par Antoine De Ville et ses hommes.

Stéphane Gal et l’échelle connectée élaborée par le laboratoire GIPSA-Lab (CNRS/Grenoble-INP/UGA), permettant de comprendre les rapports du corps, en armure ou non, à une échelle.

Ils réalisent des ascensions
à l’aide d’échelles de bois
telles qu’on pouvait en Trouver
au 15ème siècle

Ensemble, ils entreprennent des premières démarches expérimentales pour confronter les données historiques au terrain. Équipés de tenues proches de celles des chasseurs de chamois de l’époque – non pas des armures, mais des vêtements en lin, en laine, avec des chaussures en cuir… – ils réalisent des ascensions à l’aide d’échelles de bois, telles qu’on pouvait en trouver au XVème siècle, alors utilisées dans les assauts de châteaux forts.

Là encore, ils s’entourent d’experts et artisans locaux, qui partagent tous leur enthousiasme pour le mont Aiguille. Depuis le lancement du projet, une chose est certaine : la passion pour cette montagne et son histoire est partagée par les habitants, dont nombreux sont ceux à s’être déjà interrogés sur la manière dont on aurait pu gravir le mont Inaccessible au XVème siècle. Les 530 ans de la première ascension ont ainsi été célébrés à Chichilianne, les 25 et 26 juin 2022.

La technologie au service d’un projet historique

C’est alors qu’entre en scène l’expertise de Ludovic Veltz, réalisateur du documentaire, et de son équipe. Spécialisés dans la photogrammétrie au drone, ils ont rapidement vu comment leur technologie pouvait répondre au besoin des scientifiques. La photogrammétrie permet de déterminer les dimensions et reconstruire numériquement les volumes d’objets ou de surfaces à partir de photographies prises sous différents angles, notamment les photos aériennes. À montagne remarquable, proportions exceptionnelles : en tout, ce ne sont pas moins de 28 000 photographies qui ont été nécessaires, pour trois mois de modélisation 3D !

Grâce aux plans ainsi réalisés, Stéphane Gal et Bernard Angelin ont pu étudier les différents accès, en s’appuyant sur un savant mélange d’outils technologiques, d’expertises historique et scientifique et d’une connaissance précise du terrain. À la manière d’un jeu de construction, ils ont virtuellement positionné échelles, plateformes, et autres installations complexes, pour enfin, espérer reconstituer l’itinéraire qui permet de parvenir jusqu’au sommet.

Positionnement des échelles dans la modélisation 3D et en montagne. © Ludovic Veltz.

Positionnement des échelles dans la modélisation 3D… © Ludovic Veltz.

Positionnement des échelles dans la modélisation 3D et en montagne. © Ludovic Veltz.

… et en montagne ! © Ludovic Veltz.

Des images inédites du mont Aiguille

Outre l’aventure scientifique dépeinte dans le film de Ludovic Veltz, c’est également un objet cinématographique précieux, unique en son genre. Jusqu’à présent, le Parc Naturel du Vercors n’avait jamais autorisé aucun survol en drone afin de protéger les aigles et vautours qui y font leurs nids. Exceptionnellement, le réalisateur est parvenu à obtenir une permission de tournage, permettant de filmer au plus près de la montagne, en dehors des périodes de nidification des oiseaux.

Ces images nous permettent de découvrir un mont Aiguille comme on ne l’a jamais vu, et n’auraient jamais pu voir le jour sans les habitants passionnés et acteurs du territoire, qui ont cru en ce projet et l’ont défendu. Preuve s’il en est que la célèbre ascension du mont Inaccessible n’a pas fini de fasciner.

Retour au mont Aiguille est à découvrir en avant-première aux Rencontres Montagnes & Sciences, le 11 novembre 2023 au Palais des Sports de Grenoble, puis en tournée : Chambéry le 21 novembre, Bourg d’Oisans le 28 novembre, Valence le 7 décembre, L’Argentière-la-Bessée le 15 décembre, Clermont-Ferrand le 16 janvier, Lyon le 23 janvier, Modane le 26 janvier, Le Châble (Suisse) le 23 mars.