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Parole de pacer : le GR10 avec Seb Andriol et Pascal Blanc

Il est des traversées, qui deviennent épopées. De par leur difficulté mais aussi la manière dont elles se déroulent. Quand tout déraille, les cannes et la caboche, mais que l’on trouve un moyen de continuer. On appelle ça l’esprit du trail. On en parle souvent un peu trop, pour exprimer tout et parfois n’importe quoi. Il nous semble pourtant en avoir trouvé toute la sincerité dans la traversée des Pyrénées de Pascal Blanc à la dramaturgie touchante. On en parle avec Sébastien Andriol, son pacer. Comprenez : celui qui donne le rythme de la foulée mais aussi du moral. 

On a écarquillé les yeux en janvier 2018 à l’annonce de son projet :  900KM. 58000+. Mais surtout un nom et une aura, et une formule qui pour une fois, sonnait vrai : Pascal Blanc – Méditation en mouvement –  et retour à la terre. Pas dessus, pas à coté : En et Avec. Après la réunion (2013 – 440K / 26000 +) puis le GR5 (2015 – 621K/41000 +), l’ultra quinqua façon XXL s’attaquait aux Pyrénées. Tentative de record du GR10, départ le 24 juin 2019 de Banyuls.

Et puis Pascal s’est arrêté. 31 juillet 2019. KM550. Canicule, caboche ou cannes, pour une fois nous allons nous en moquer. Larmes et révélation. Douleur et transcendance d’un sportif qui pige. D’un coup, l’évidence, Pascal saisit pourquoi il trotte. Ou pour qui. Mais pas le temps de souffler : un fiston qui lui claque : « Ta balise, donne-la nous et arrête de nous les briser. Nous, on continue pour toi, et avec toi. Et on va te l’emmener, à Hendaye ». Un groupe, des potes et une compagne, et voici un Pascal Blanc qui se fera coach et guide. C’est décidé, KM550. L’histoire change mais s’anime différemment.

Or, il y en a un qui était au cœur de la chose. Pas meilleur, ni moi je – pas le style d’un groupie de P. Blanc. Il s’appelle Sébastien Andriol*, et c’est son ami. Parmi d’autres, il est venu, a retrouvé Pascal et vécu l’heure clef. Au-delà de la dramaturgie, c’est dans le blanc des yeux qu’il lui a dit « J’arrête ». La suite ? Difficile d’en parler mieux que Sébastien. Partie d’un tout, membre d’un groupe, égalité totale.  Pacer ? Finisher AVEC les potes de Pascal : Titi, Pierrot, Seb, toi, lui. Une course de bande et un relais partage. Hendaye au final, bringue monumentale et de l’émotion qui reste encore dans la gorge.

Avec et au-delà. Voilà ce que nous retiendrons, en leçon universelle, d’un GR10 à la Blanc. Parole de pacer-poursuiveur : récit, éclairage, et inspiration, au lendemain de ces Pyrénées folles.

Ta balise, donne-la nous et arrête de nous les briser. Nous, on continue pour toi, et avec toi

Sébastien Andriol. ©Stéphanie Bluche – Airpurstudio

Julien Gilleron : Sébastien, comment t’es-tu retrouvé sur ce projet aussi fou que XXL, de Pascal Blanc

Sébastien Andriol : En octobre 2018, je retrouve Pascal et Ombeline à la Réunion pour le grand Raid, et c’est là qu’il me présente ce projet de la traversée des Pyrénées. De suite, impossible pour moi de penser le contraire. Et Pascal a le don de t’embarquer par un regard, un mot, un magicien de l’énergie « projet ». Je lui dis qu’il peut compter sur moi pour faire un bout de chemin avec lui. Aussi long qu’il soit.

JG : Pourquoi la motivation de faire 700km pour le rejoindre ?

SA : Le projet me correspond totalement, je pense aussi que c’est ce qui match entre Pascal et ses amis coureurs, tout le groupe présent. Faire une traversée hors norme en montagne et avec des potes, c’est ma vision du trail, c’est l’essence même de ce sport. Profiter, partager tout simplement. Oui, partager et frôler…la pleine conscience la plus élémentaire ?! On se rapproche avec des mots simples, des idées basiques, de ce que Pascal peut chercher et prôner dans ses états d’éveil quasi mystique, intégré à la nature. On ressent, on pige cela, mais avec nos mots simples en traduction.

Faire une traversée hors norme en montagne et avec des potes,
c’est ma vision du trail, c’est l’essence même de ce sport

JG : À quel moment le rejoins-tu et avec qui ?

SA : Je le rejoins le dimanche 28 au ravito de Maison Vallier, KM400. Je suis avec mon ami Pierre Brive, avec qui j’ai fini le Grand Raid l’année dernière. Pierre est prévu sur le relais de Maison Vallier…on est confiant, le soleil brille (bien), on prévoit une tranche énorme de course entre copains, tout roule, en somme. Vacances parfaites !

JG : Dans quel état de forme et de mental le retrouvez-vous ?

SA : Nous décidons de remonter le GR pour partir à sa rencontre. Au bout de 20 minutes, nous le voyons arriver avec une heure d’avance ! Il a le sourire en nous voyant, il est content de nous retrouver. Il a l’air en pleine forme, balance deux ou trois vannes. Je suis vraiment content de le voir ainsi, c’est juste formidable de le retrouver aussi lucide. On se dit que le meilleur est à venir. Et l’on est à 10 000 d’imaginer que dans plus de 100 km, Pascal va prendre une décision si lourde, subir d’un coup ou voir sa réalité en face. J’en reste encore saisi, quel moment d’humanité… dur d’en parler, c’est de l’humain simple et basique, mais les tripes y sont à plein. Que l’on soit coureur un peu neuneu ou grand sentimental, impossible de rester de marbre. Et puis la suite, tu vois, j’ai toujours un sourire (alcoolisé encore ? non…) de ce que ce GR10 est devenu d’un coup. On a fait le plus incroyable relais de ma vie, de nos vies, et aux manettes ? Pascal Blanc, avec, pour, ensemble tout simplement. Au final ce qui est fou, c’est que le garçon se transcende, se révèle à lui-même en même temps. Alors on peut être sensible ou fermé, mais à ce degré d’émotion ça nous a imprimé. Tous. Et les mots me manquent encore.

Pascal Blanc, dans le doute sur le GR10. ©Stéphanie Bluche – Airpurstudio

JG : Ce rôle de pacer ou de compagnon ponctuel de traversée : Pascal l’avait-il prévu dans un plan réfléchi dès le départ ? Quel est votre rôle technique et sportif ?

SA : J’étais sur la liste des pacers, tout était carré au niveau des tours de passage. Nôtre rôle était de vraiment l’assister, porter son eau, ses bâtons, sa nourriture. Notre fonction jouait également pour sa sécurité. Il n’y avait pas de consigne particulière, de parler ou de se taire, etc… Plutôt à nous de faire en sorte de ne pas trop lui prendre la tête ! Nous étions prévus sur plusieurs tronçons chacun et pour ma part, j’ai enchaîné lundi mardi, mercredi et jeudi pour un total de 135km et 9000 m de D+. Un bon bloc de travail

JG : Le projet de Pascal : un off, ce qui souvent veut dire « encore plus dur et long ». Julien Chorier et le Beaufortain, Stéphane Brogniart et le Pacifique, ou même la GTA de Pascal en 2015. Pour toi, quelle est sa motivation sur ces Pyrénées, toi qui le connais dans son environnement réunionnais ?

SA : Pascal fait partie de ces trailers hors norme, ils ont besoin de défis pour faire voir qu’ils existent encore, et il ne faut pas oublier que c’est leur job. Je pense qu’il savait que cette traversée était la dernière, un dernier tour de piste avant de passer à autre chose. Honnêtement. Je pense qu’il serait d’accord. On ne se ment pas, il ne se ment pas. Telle était aussi la raison d’être de ce groupe, saine.

Après la décision de s’arrêter, Pascal est devenu un autre homme,
comme s’il s’était libéré d’un poids

JG : Quelle leçon, sensation ou source de motivation, retiens-tu de ces jours en Pyrénées ?

SA : Nous avons tous vécu une aventure collective extraordinaire. Avec le début, où nous sommes tous derrière Pascal. Avec une fin où Pascal est derrière nous tous pour boucler le projet. Après la décision de s’arrêter, Pascal est devenu un autre homme, comme s’il s’était libéré d’un poids. Toute l’équipe était à fond et a pris beaucoup de plaisir dans une ambiance extraordinaire. Enfin, les mots me manquent toujours autant, tu vois…

JG : Pas de record pour Pascal et il « perd » celui de la GTA en même temps. Les médias peuvent être cruels, mais c’est l’info. Qu’en retiens tu du fonctionnement des médias et des projets de Pascal, faits pour être dépassés ? 

SA : Au final, le record ? Pascal s’en fiche. Il voulait vivre quelque chose de fort avec ses amis et de ce côté il a été servi. Le coureur qui a battu le record de la GTA, je ne crois qu’il ait eu un mot pour Pascal ? Corrigez-moi si je me trompe. Il me semble que Pascal lui avait donné plein d’infos pour qu’il puisse être encore meilleur. Ces records ne veulent plus rien dire, et il faudrait que les médias essaient – juste essaient – de questionner l’essence même de ce qu’est le trail. Pour y revenir, essayer, ou inciter à y retourner. Pour moi, la course en montagne doit retrouver ces valeurs : partage, respect de la nature. Malheureusement les coureurs regardent trop leurs places et leurs chronos, leurs pompes ou leur tenue, que le cadre dans lequel ils trottent. Respect, mais c’est dommage. Ça viendra, j’en suis sûr, et je ne suis pas plus sage qu’un autre. Je veux y croire. Et sans doute, grâce à des projets comme ce GR10 et à Pascal, son groupe. Le nôtre.

Sébastien Andriol est Accompagnateur Moyenne Montagne (Instinct Montagne), vit et court entre La Roche et Annecy. Ultra Trailer passionné, il garde des tremolos dans la voix lorsqu’il évoque ses années réunionnaises, sa rencontre-amitié avec Pascal Blanc, et un certain GR10 début aout 2019. Et courir avec ses potes, encore et toujours.