En quête d’inattendus, deux savoyards embarquent leurs VTT sur les chemins de l’Ethiopie. Au coeur du berceau de l’humanité, ils rouleront tout étonnés sur un itinéraire encore vierge de traces de roues : une traversée à la journée du Mont Bwawhit (4 437m) jusqu’au Ras Dashen (4 550m), sommet de l’Ethiopie. Le tout suivi de près par un scout local, fusil à l’épaule, sandales aux pieds et sourire aux lèvres.
Après avoir étudié quelques destinations insolites pendant l’hiver dernier, nous avons vite été tentés par l’Éthiopie, avec Guillaume. Le berceau de l’humanité… rien que cela ! Ça sent bon le trip rempli d’odeurs d’encens, de sentiers parfumés et de grosses montagnes méconnues. Et puis admettons que ce n’est pas la première destination à laquelle on pense lorsque l’on parle de VTT. C’est aussi (et surtout) ce qui présente un intérêt incontestable… La décision est donc prise et le projet est validé. Sur le papier, le plan est simple : partir de Baher Dar (ville posée sur le Lac Tana et zone des sources du Nil Bleu) pour rejoindre le Ras Dashen, le plus haut sommet du pays (4 543m), quelques 450 km plus loin. C’est donc simple sur le papier…
Sur la route d’une première insoupçonnée. ©Fred Horny
je tombe nez à nez avec une famille de babouins.
en un claquement de cils, ils étudient déjà la cinématique de suspension
de nos vélos
Scoutisme éthiopien
Un retard aéroportuaire et quelques péripéties plus loin, nous voilà en route pour traverser le nord du pays en longeant le lac Tana. Les décors sont inhabituels, les gens sont sympathiques, tout y est. Même la traditionnelle tourista qui nous coupe déjà dans notre élan après 70 km. Nous passons une première nuit dans un petit village planté là, au milieu de cultures d’orge et de blé. Trois jours plus tard, nous sommes à Debark, la Mecque du trekking en Afrique. Nous prenons nos marques dans un petit lodge, le temps d’établir les formalités qui nous ouvriront les portes du parc du Simien, premier parc de l’histoire inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Dawit, mon contact sur place depuis des mois, est un peu dépité. Malgré les promesses des autorités quelques mois en amont, il n’est visiblement plus possible d’évoluer à vélo dans le parc, sans être suivi par un 4×4… Ce n’est pas trop notre vision des choses. Mais en effet, il y a une seule chose impérative ici, c’est de rentrer dans le parc avec un « scout », une sorte d’ancien combattant armé (souvent d’un AK47) servant à nous protéger des bêtes ou… de certains humains mal intentionnés (ce qui est tout de même très rares, il faut bien le noter). Notre garde du corps ne fera pas tout le chemin à pieds. Voilà pourquoi nous serons accompagnés d’un véhicule. Je suis peut-être un peu trop puriste, mais se faire suivre par un véhicule motorisé pendant qu’on roule ne m’enchante guère. À ce moment-là, je suis prêt à tout arrêter, ne serait-ce que par principe. Mais, il faut se faire une raison, on est la pour ça… Je cède. Le Land Cruiser de 1990, dans son jus, nous suivra donc, et quand nous prendrons les sentiers, notre scout Worgo nous suivra ou nous laissera seuls certains moments selon l’endroit.
Premières impressions
Au départ de Debark (2 850 m) nous attend une première étape de 75km, avec 2000 de D+ pour arriver au campement de Chennek à 3 650m. Ici, les champs de blé cohabitent avec les moutons, les cultures d’orge au bord de falaises interminables, les vaches et les ânes. Avec ce sol sec, la sensation d’aridité est bien là. Au détour d’une épingle, alors que je me pose pour prendre une photo, je tombe nez à nez avec une famille de babouins. Pas farouches d’ailleurs. Je garde mes distances pour ne pas les déranger. Sauf qu’en un claquement de cils, certains membres de la troupe étudient déjà la cinématique de suspension de nos vélos et la section de nos pneus. Des spécialistes, assurément. Mais on s’amuse de la situation et c’est un vrai moment privilégié que nous sommes en train de vivre dans l’Afrique profonde, loin des touristes venus en bus. Arrivés au campement dans l’après midi, Firew nous propose de modifier notre planning : plutôt que d’attaquer le toit de l’Éthiopie le surlendemain, de nuit comme prévu, pourquoi ne pas partir demain très tôt, enchaîner le Mt Bwawhit (4 437m) puis le Ras Dashen dans la journée. Puis redescendre dormir à un campement de fortune. Rien que ça ! La route étant effondrée après le premier sommet, il nous laissera seuls à partir de là, et ‘’Worgo la machine’’ nous suivra en courant avec son fusil… On ne le sait pas encore, mais on prépare une première.
Ras Dashen : deux vélos et un fusil
Départ à 4h30, par -5 degrés. La première montée s’enclenche facilement, on bascule vers 7h30 plein Est et tout éblouis : le soleil, les montagnes grandioses, les canyons vertigineux… C’est absolument magnifique ! Le Bwawhit a mis les bouchées doubles pour nous accueillir et pour nous ébahir. On en prend plein les mirettes. Une fois au fond de la vallée (à 2 800m), il nous reste alors à remonter au Ras Dashen en passant d’abord par le camp du soir (Ambiko, 3 100m) pour nous délester de notre tente et de quelques affaires. La montée est rude, très dure ! On arrive au village vers 11h. Là, on trouve un adolescent qui se propose de garder nos affaires jusqu’à notre retour moyennant quelques Birrs éthiopiens. On verra bien si nos affaires sont toujours là ce soir, mais on tente le coup… L’ascension peut reprendre. Le chemin s’étend non seulement en hauteur, mais surtout en longueur. L’altitude fait bien sûr son effet et les efforts du matin se font ressentir dans nos jarrets. La clé sera la gestion, il faut y aller en douceur et en calcul. Le soleil ne nous épargne pas une seconde durant notre chemin. Worgo, toujours l’arme à l’épaule, déroule. Mais il a chaud, car il est habillé d’un vieux costard et il a mal aux pieds, sans doute à cause de ses claquettes en plastique… Oui, on est loin de l’image du trailer européen suréquipé, mais croyez-moi, celui-ci va au moins aussi vite. Il se charge d’écarter certains enfants qui peuvent être trop envahissants avec les ‘’farandjis’’ (touristes). La journée commence à être bien longue, et je commence à douter de nos chances de succès : « vaut-il mieux redescendre et tenter demain? ». Mais Worgo, au début plutôt septique à l’idée de réaliser cet enchaînement un peu fou de sommets, me fait comprendre qu’il ne faut pas lâcher maintenant. On ne parle pas la même langue, et pourtant on se comprend. Le langage de la montagne, et plus généralement d’une même passion, est universel. C’est finalement lui, l’homme au fusil, qui va nous motiver pour continuer.
Des crêtes arides jusqu’aux cascades verdoyantes, la magie opère. ©Fred Horny
Le virage carte postale, mode VTT.
©Fred Horny
Vélo ou fusil, chacun son arme. Worgo le scout a choisi la sienne. ©Fred Horny
Communion internationale
Guillaume se bat comme un diable, et après déjà 11 heures passées sur notre destrier, nous voilà enfin au pied du Graal. Il nous reste 50 mètres d’escalade facile pour toucher la borne symbolisant le toit de l’Éthiopie. Un enfant berger me guide jusqu’au sommet. Majestueux ! On en profite bien avant d’attaquer la descente qui se fera tantôt dans des pierriers, tantôt dans des prés d’un vert tropical sorti d’un épisode d’Ushuaïa, ou sur des sentes de terre battue noire et fraîche. Je m’inquiétais d’arriver au campement avant la nuit, notamment du fait que Worgo soit à pied derrière. Grossière erreur. Cet homme d’une cinquantaine d’années serait qualifié de mutant dans ma Savoie d’adoption. Le soir, nous retrouvons des trekkers fort sympathiques déjà rencontrés la veille. Autour du feu, nous avons donc des scouts éthiopiens, une Haut-Savoyarde, un Belge flamand, un Américain, et deux Alsaciens, Savoyards d’adoption. Pour moi, c’est le petit détail qui fait de ce trip une vraie réussite et je savoure l’instant : j’adore voir une marionnette mais je déteste les fils qui l’animent. Ce soir là, aucun fil; uniquement des conversations sincères et remplies d’humour (d’amour?). Un instant unique avec rien d’autre comme animation qu’un ciel étoilé nous offrant des étoiles filantes. Il nous reste à regagner le village de Chiro Leba le lendemain matin. Firew nous annonce que nous avons fait ce que personne n’a encore osé faire avant, en cumulant les deux sommets à vélo. Je ne suis pas du genre à courir après les records, mais comme dirait ma grand-mère : « C’est toujours ça que les Allemands n’auront pas ! » L’Éthiopie fut parfois rude envers nous. Souvent accueillante, toujours authentique, droite dans ses sandales et sans demi-mesure. C ‘est sans doute un des voyages les plus marquants que j’ai eu la chance de réaliser.
Coucher de soleil enflammé sur babouin sauvage : un résumé d’Ethiopie. ©Fred Horny