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Canada Vertical, une ode à l’immensité arctique

Banff film festival

©Expedition Akor

234 jours. 7600 kilomètres parcourus, à skis pulka, en canoë, à vélo. Canada Vertical, c’est l’expédition de la démesure, imaginée et réalisée par deux Québécois : la traversée nord-sud du Canada. Une aventure qui les a menés de l’île d’Ellesmere à la frontière américaine. Rencontre avec les protagonistes de cette incroyable expédition, dont le film (et le livre 234 jours), est projeté au Banff Mountain Festival.

D‘abord les chiffres, qui parlent d’eux-même : 234 jours, 7 600 kilomètres parcourus, trois moyens de transport, quatre années de préparation. Ensuite, les distinctions : « Expédition de l’année » en 2021 par la Société géographique royale du Canada et troisième expédition ayant le plus marqué le monde la même année par le magazine Explorers Web. En 2021, les deux Fellows de la Société géographique royale du Canada, Nicolas Roulx et Guillaume Moreau, ont traversé le Canada du nord au sud en ski, canoë et vélo. Un exercice encore jamais réalisé auparavant.

Le premier enseigne l’histoire-géographie au lycée, le second est professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université de Laval, au Québec. Les deux amis férus d’aventure depuis leur plus jeune âge fondent, en 2016, les expéditions AKOR. L’objectif est de réaliser des voyages dans des régions isolées, démesurées et créatives. De cette traversée du Canada est issu le film Canada Vertical, projeté au Festival de films et de livres de montagne de Banff

Rencontre avec des Québécois trentenaires qui n’ont peur ni des bœufs musqués, ni du froid polaire, ni de l’isolement.

Nicolas Roulx et Guillaume Moreau, au festival de Banff cette semaine. ©Zoé Charef

Alpine Mag : Comment vous êtes-vous retrouvés à faire cette traversée Nord-Sud du Canada ?

Nicolas Roulx : C’est vrai que c’est un gros pas en avant par rapport à tout ce qu’on a fait avant… Même si on avait déjà pas mal d’expérience dans les expéditions. Avec Guillaume, on s’est rencontrés dans une colonie de vacances spéciale aventure. Depuis, on forme une équipe. On est tout le temps le nez dans les cartes, à chercher des trajets. Les idées sont tout le temps là, en suspens.

Mais l’idée de cette traversée est venue d’une expédition précédente, grâce à un gars que nous avons rencontré au Labrador (Canada). Il nous a donné l’idée de traverser le Canada, on n’y avait jamais pensé, mais on a de suite trouvé ça super inspirant. En rentrant de l’expé, on s’est tout de suite mis à faire des recherches, on était vraiment tentés par le challenge que ça représentait au niveau organisationnel. Ça imbriquait quasiment tous les défis qu’on voulait se donner à différents moments de notre vie.

On voulait faire une longue expédition de ski, on voulait traverser plusieurs saisons. On voulait également faire une expédition d’au moins 6 mois parce qu’on était super intrigués par la longueur et le temps. Les choses qui se passent quand tu pars longtemps. C’est un style d’expédition en soi, il se passe quelque chose dans la tête et on ne connaissait pas encore ça.

comprendre que ça n’avait pas encore été fait
parce que c’était trop complexe
nous a convaincus à y aller

L’idée ne venait pas de nous, mais on a échangé plein de courriels avec une légende des expéditions du grand nord canadien pendant quatre ans et d’une blague, c’est devenu un vrai projet. C’est sûr que le fait que ça n’ait jamais été fait avant a ajouté un grand défi et a rendu ça attirant d’un point de vue mental.

Guillaume Moreau : C’est même ça qui nous a vraiment attiré, qui a piqué notre curiosité ! On fait des expéditions depuis toujours et il n’y a rien de mieux qu’une expé pour te donner l’idée de ta prochaine. Mais souvent, quand on a l’idée, c’est tellement gros que c’est une blague. Puis au fil du temps, ça devient de plus en plus concret.

On a sorti des cartes, on a scruté l’archipel des îles arctiques qui s’étend sur tellement de kilomètres, on a vu la complexité du territoire, le bassin versant qui coule vers le Nord, le fait que ce soit tellement long qu’on doive changer de saisons … Tout ça nous a fait tomber amoureux du projet. C’était comme si comprendre que ça n’avait pas encore été fait parce que c’était trop complexe nous a convaincus. On s’est basé sur un tracé proposé, on l’a adapté à notre sauce, et on est partis. 

Une soirée au calme, ou presque. ©Expedition Akor

 ©Expedition Akor

L’objectif est de traverser le plus vite possible
en essayant d’être le moins atteint et blessé possible

Peut-on vraiment se préparer à ce genre d’expédition ?

Guillaume : On avait déjà beaucoup de connaissances, on s’est entraîné environ quatre ans, spécifiquement pour des expéditions polaires mais aussi en été en canoë.

Nicolas : Tout ce qu’on avait en notre possession, on savait comment le réparer. On s’est aussi beaucoup entraîné, mais finalement c’était tout juste assez ! Au départ de l’expédition, tout au nord, à ski, on s’est vraiment pris un coup. 

Guillaume : Finalement, j’étais sous entraîné au départ de l’expédition parce que je m’étais blessé pendant l’entraînement. On a surtout travaillé la musculature et la prise de poids. Nicolas a pris 30 livres (environ 13,5 kg) et j’en ai pris 20 (environ 9 kg) avant de partir. Et on les a perdus si vite ! Sur la section ski, les premiers 40 jours, Nicolas en a perdu 17 (environ 7,5 kg) alors qu’on mangeait 7 000 calories par jour. 

Mais ce qu’on a fait en ski n’est vraiment pas quelque chose de soutenable pour un humain, même en mangeant 7 000 calories par jour. On était dans une zone où c’est vraiment trop difficile pour le corps. Il faut traverser le plus vite possible en essayant d’être le moins atteint et blessé possible. Arrivés à nos points de chute, dans les villages des communautés autochtones, on se retapait le plus possible avant de repartir pour une autre section de l’expédition.

Le livre paru au Canada.

Les autochtones trouvaient ça absurde
qu’on se fasse autant souffrir

D’ailleurs, comment se sont passées les rencontres avec les autochtones ?

Nicolas : Rencontrer les communautés n’était pas un objectif à cocher sur notre liste. C’était juste logique. On passait par là, on avait prévu d’y passer un temps pour se retaper. Ça n’a jamais été forcé ou pour valider quelque chose. C’étaient de belles rencontres, ils posaient plein de questions, ils trouvaient ça plutôt impressionnant, surtout qu’on venait vraiment du nord. Ils comprenaient les compétences et l’unicité de ce qu’on faisait. Ils ont dû halluciner quand ils ont vu trois gringos arriver en ski, dégueux, après 40 jours… et du nord, en plus !

Guillaume : Eux aiment aller dans le nord mais ne peuvent pas souvent à cause des conditions de glace. Ils nous ont donc de suite posé des questions sur la glace pour pouvoir chasser l’ours polaire en motoneige ou en chien de traîneau. La plupart du temps, ça ne passe pas. Même nous, avec nos skis et nos traîneaux, on a vraiment eu du mal.

Une relation de respect et de curiosité s’est vite installée. Ils s’informaient et riaient de nous, se demandaient pourquoi on s’imposait ça, trouvaient ça absurde qu’on se fasse autant souffrir, mais ils le respectaient quand même. C’était vraiment intéressant. Et puis on partage le même amour de ce territoire !

Il faut vraiment juste être capable de souffrir en toute jovialité

C’est vrai qu’on vous voit très sereins et résilients en regardant le film. Vous dites que c’est la galère, mais vous avancez. Qu’est-ce qui vous poussait à continuer ?

Nicolas : Je pense qu’on avait une bonne équipe ! Surtout en ski, dans les moments les plus durs. Ça a beaucoup fonctionné sur l’auto-dérision, le sarcasme. Notre coéquipier est un guide professionnel, donc avec des compétences sociales, de la sagesse et beaucoup d’abnégation. C’était comme un mentor pour nous, il nous a expliqué tout ce qu’il savait du camping d’hiver, il nous a apporté beaucoup de connaissances. De notre côté, on lui a partagé tout ce qu’on savait. On était très complémentaires. C’est la force de tous qui a fait en sorte que le projet puisse se réaliser. Et surtout : on n’est vraiment pas des plaignants, pas des chialeurs.

Guillaume : Dans une expédition comme celle-ci, c’est vraiment davantage une question d’attitude que d’aptitude physique. C’est beaucoup plus les connaissances qui vont te permettre de bien gérer les risques, de réparer ton équipement et de réparer toi-même. Tu n’as pas besoin d’être un ultra-marathonien. Il faut vraiment juste être capable de souffrir en toute jovialité.

©Expedition Akor

 ©Expedition Akor

Comment s’est passé le retour à la vie réelle, après 7 mois et demi coupés du monde ?

Nicolas : C’est sûr que c’était dur. Un mois après notre retour, on s’est lancés dans le documentaire. Mais pendant le premier mois, on était dans une bulle. En partant en expédition, j’avais une copine. Je suis revenu, je n’en avais plus. Il y avait le confinement, je me suis cassé la jambe en escalade, je ne pouvais pas travailler. La totale. Guillaume avait des symptômes fantômes de commotion cérébrale d’une ancienne chute…

Guillaume : Oui, sûrement dus au surentraînement et à mon corps qui me demandait de me reposer. Je n’arrivais pas à travailler, à rester assis. Nicolas s’est consacré au documentaire et au livre. On voulait que les gens puissent découvrir ça, qu’ils puissent se reconnaître un peu dedans, comprendre notre démarche.

Nicolas : Je me suis lancé dans le livre parce que c’était la seule chose que je pouvais faire avec ma jambe cassée. On avait écrit dans des carnets tout au long de notre expédition et on avait filmé beaucoup d’images, au téléphone et au drone. Ces deux projets de film et livre m’ont pris un an. On s’est beaucoup demandé de quoi parler, de quoi ne pas parler. On a essayé de faire un film simple, un récit de l’expédition telle qu’on l’avait vécue. On voulait juste refléter l’ambiance de notre expédition et que ce soit plaisant. On n’a pas cherché à donner des sensations fortes, des records de vitesse, de la cinématographie. On n’a pas non plus eu la prétention d’en faire un film axé très social ou environnemental ou scientifique.

©Expedition Akor

On va traverser le canada d’ouest en est
par le nord

Maintenant que tout cela est fait, vous avez sûrement une prochaine expédition en tête ?

Guillaume : La prochaine est dans 6 mois…

Nicolas : Ça avance trop vite ! Mais oui, on repart déjà, avec sensiblement la même équipe. On va partir d’Alaska pour traverser le Canada d’ouest en est, forcément. Mais en traversant les trois territoires du nord. On part de la frontière de l’Alaska, traverser le Yukon en vélo en deux semaines, traverser les territoires du Nord-ouest puis le Nunavut en canoë pendant trois mois, puis atteindre l’île de Baffin en voilier. 

Guillaume : Et finir dans des plus beaux parcs nationaux du monde, en randonnée, pour se rendre à l’extrême autre côté du Canada. Ce serait la première fois qu’on traverse complètement tous les territoires nord du Canada, et j’ai vraiment hâte parce qu’on verra les joyaux de l’Arctique.

Comme la précédente expédition, il y aura des projets scientifiques : je vais prélever des échantillons de bois de la forêt boréale pour mes recherches, et on travaille avec des Québécois atteints de douleurs chroniques qui essayent de réaliser le même nombre de kilomètres que nous sur la durée de l’expédition. Ça ne leur enlève pas leur douleur mais ça les aide à se reprendre en main, à apprendre à vivre avec leurs douleurs. On voit qu’appartenir à un projet plus grand que soi est bénéfique.

Pour en découvrir davantage

En addition au film documentaire Canada Vertical, les explorateurs québécois Nicolas Roulx et Guillaume Moreau ont mis en page leurs carnets de voyage. En résulte un bel ouvrage photos et textes de leur aventure, 234 jours aux éditions Cardinal.