La montagne « ouverte à tous » selon certains, lointaine pour « ces jeunes qui n’ont plus le goût de l’effort » pour d’autres. Notre article publié le 18 février et intitulé « La démocratisation de la montagne, c’est pour quand ? » a fait couler beaucoup d’encre en commentaires du réseau social bleu.
Schématiquement, deux grandes tendances se dessinent. D’un côté, ceux qui voient dans la montagne un espace accessible à tous, ouvert, disponible à tous ceux qui le voudraient, sans distinction d’origine sociale, éthnique, géographique ou d’âge. Cette vision ressemble fort à un idéal, vœux pieu qui bute immanquablement sur le profil des pratiquants révélés dans l’article. Le principe de réalité.
En face, un point de vue plus sévère attribue à la montagne des vertus presque purificatrices, par une forme de sélection naturelle. Là-haut, seuls ceux capables d’endurer les rudes conditions de la montagne, le goût de l’effort, du dépassement ou de ressentir l’élévation du corps et de l’âme seraient les bienvenus.
©Ulysse Lefebvre
Un peu facile non ? Les premiers semblent éluder le plafond de verre qui persiste sur les contreforts des montagnes. C’est le même principe que l’accès aux femmes ou des « personnes issues de la diversité » aux postes à responsabilités : ils existent, certes, mais c’est une minorité qui a plus valeur d’exception qui confirme la règle.
Quant à ceux qui réservent la montagne à une certaine partie de la société (les plus performants capables de se dépasser physiquement, les plus instruits capables de s’élever moralement, les plus malins capables de se débrouiller même sans le sou), gaffe à ne pas se poser en censeurs auto-proclamés. Une sorte de caste, qui se régènère, un entre-soi qui convient bien, entre montagnards avertis face aux touristes, « cassos’ », monchus, parigos ou toute autre caste d’intouchables de l’altitude. La conclusion de la sociologue Rozen Martinoïa est aussi pertinente que dérangeante : « Dans quelle mesure ont-ils envie que ça s’ouvre ? »
il faut parfois les prendre par la main,
qu’on le veuille ou non
En d’autres termes, les uns prônent une liberté individuelle utopique qui ne colle (malheureusement) pas à la réalité de la société. Ces existentialistes (Sartre nous voilà !) ne voient pas (ou ne veulent pas voir) que la liberté de chacun se heurte aux freins structurels de la société. Plus lourd encore, les freins personnels que sont les facteurs familiaux, le poids de l’héritage, cet « habitus » (un peu de Bourdieu) sont de lourdes oeillères.
Ouvrir la montagne, c’est permettre de sortir des jeunes ou moins jeunes de ces pesanteurs. Non pas pour en faire des montagnards à tout prix mais pour attiser leur curiosité pour un milieu particulier, les sensibiliser à sa préservation, leur montrer le terrain de jeu qu’il représente aussi. Mais pour ça, il faut un élément déclencheur. Et il faut parfois les prendre par la main, qu’on le veuille ou non.
ils se marraient
comme on aimerait tous se marrer plus souvent
Robert Paragot était un prolétaire, réparateur de machine à écrire à la Sécu. Il est devenu l’un des plus grands alpinistes français. Le skieur croisé dimanche au Pécloz dans les Bauges était blanc, la quarantaine, vêtu et chaussé de deux ou trois SMIC en carbone. Il kiffait l’enchaînement des faces du coin, à la vitesse de l’éclair et en solitaire. Quant à la bande de jeunes dévalant la piste de luge du Champoléon le week-end dernier, à bord d’un canot gonflable de plage, ils devaient découvrir la montagne pour la première fois et ils se marraient comme on aimerait tous se marrer plus souvent.
Tous sont tombé un jour sur une étincelle qui a allumé leur goût de la montagne, une étincelle déjà présente dans la famille ou les amis, ou plus ardue à déceler, à l’aide de sections sportives de syndicats, d’associations ou de MJC. On a tous connu un jour cette étincelle. Et il est bon de s’en souvenir, de savoir « d’où on parle ? », quels sont nos propres détérminismes sociaux, pour savoir aussi accueillir les nouveaux venus et à venir.
PS : en commentaires Facebook de l’article cité, certains avis plus ou moins racistes ou haineux ont dépassé les bornes de notre ouverture d’esprit. Nous les avons donc masqués ou supprimés.