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Une brève histoire du temps

Nulle prétention ici de citer l’ouvrage éponyme de Stephen Hawking : la brève histoire du temps passée dont je vais parler, c’est celui de notre enfermement, puis de notre libération, puisque ce mardi 2 juin marque la fin de la limite de nos cent kilomètres règlementaires (depuis le 11 mai), faisant suite à la précédente libération de notre kilomètre règlementaire (depuis le 16 mars). Amis lyonnais, obligés de vous contenter des parkings surpeuplés de Chartreuse, du caillou magnifiquement douteux des Rochers de l’Épenet ou de risquer la prune en poussant jusqu’à Omblèze, vous voici libres d’aller crapahuter plus loin. Ami(e)s nomades, vous voici libres de foncer, à fond sur la pédale du VW, vers le parking de Céüse (déjà plein, désolé), ou dans la queue de l’Aiguille du Midi, enfiler un énième Tacul (n’y voyez pas de mauvais esprit). Et mes ami(e)s, sachez que le Parc National des Calanques a consenti à rouvrir notre bien commun ce 2 juin à minuit !

L’appel du 2 juin : sortez des cent kilomètres. Les sorties sur Strava, les stories sur Insta : tout baigne.

Pourtant, nous avons appris des choses (je ne parle pas de comment il ne faut pas planter une poutre directement dans du placo). Nous avons suivi sans le savoir les conseils de Plotin, philosophe néo-platonicien qui théorisa le détachement d’une « sortie de soi » dans le silence et la méditation, ou comment fuir « seul vers le seul ». En 2013, un certain Gauthier Toulemonde, 54 ans à l’époque, est parti vivre quarante jours seul sur une île déserte. Il a raconté ensuite comment il a réussi à vivre et à travailler à distance en pilotant sa boîte depuis un archipel indonésien. Le web Robinson a récidivé deux mois en Oman en 2017. Mais toi le télétravail, tu en as ras la souris, comme du rôle d’enseignant que le ministre des enseignants continue contre toute raison à imposer à ceux qui sont parents. Le bilan ? Tu as appris la patience, un peu, et la joie, immense, des retrouvailles avec la montagne.

La libération, donc. Les sorties sur Strava, les stories sur Insta : tout baigne. Même si l’UTMB a tiré le rideau cette année, le monde d’après ne sera pas celui de l’ultra sieste. Les boulimiques ont accumulé du D+, « Refuge Vallot depuis la vallée », l’alpinisme à la journée est une (re-)découverte, le but aussi. La montagne à la journée, c’est un plaisir sans nul doute, un plaisir goulu, sans parler de faire un pied de nez à la déjà fanée interdiction de bivouaquer en Savoie(s). Cette façon de grimper des sommets ne date pas du 11 mai. En 1877, la Meije, 3984 mètres, était gravie d’une traite depuis la Bérarde, 1727 mètres, une manière qui perdura jusqu’au début du XXème siècle.

Le monde d’avant n’était jamais assez grand pour nos projets, celui d’aujourd’hui nous paraît pourtant immense.

« la Terre est trop petite pour le progrès », a dit Paul Virilio, un penseur plus rationnel que décroissant. « Le pire, ajoute Virilio, serait de faire que le monde soit trop petit pour nos projets ». Ça tombe bien, le monde est redevenu lointain. Pas de risque cet été de foule à Kalymnos ou sur le Baltoro. Alors il y a la version Daudet (Lionel), ou Ocean Peak, un bateau pour aller grimper loin. Même en 2 CV c’est possible, l’un des plus grands photographes-aventuriers, Roland Michaud, l’a démontré. Il reste plein de voies à inventer. Des sommets qui ne sont pas des restes, derrière celui que tu as fait il y a déjà longtemps. Le monde d’avant n’était jamais assez grand pour nos projets, celui d’aujourd’hui nous paraît pourtant immense.

Sur la route du Lautaret, l’autre jour, il y avait un cycliste qui descendait au milieu des alpages verts, avec une paire de skis et de chaussures de ski sur le dos. Revenu des dernières écharpes blanches, d’autres rêves plein la tête.