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Skieurs et animaux : une multitude de traces à concilier

Zones de quiétude et préservation de la biodiversité alpine

Un panneau de prévention à la Balme. ©Geoffrey Garcel

Certains sont nés avec des skis aux pieds, d’autres les chaussent pour la première fois cette saison à la montée. Tous recherchent la pente vierge en bonne neige qui fera de la descente un plaisir inégalable. Ces pentes de neige, que l’on parcourt en ski ou en raquettes, à la descente comme à la montée, sont cependant les milieux de vie d’espèces adaptées à l’environnement montagnard bien avant que nos skis en fassent partie. A nous de concilier nos traces avec celles des animaux. 

Stations de ski, routes, villes, voies ferrées, l’aménagement des territoires de montagne a pris une ampleur considérable depuis la seconde moitié du XXe siècle. En parallèle pour préserver écosystèmes et paysages, des espaces naturels emblématiques ont été classés en réserve naturelle. En Haute-Savoie, elles sont six à avoir vu le entre 1974 et 1992 en territoires de montagne, créant une mosaïque d’espaces protégés et gérés à tous les étages altitudinaux. Ces réserves naturelles ont été pensées comme des havres de paix pour nombre d’espèces et de milieux emblématiques des Alpes, en marge des grands domaines skiables.

Entrée dans la réserve naturelle de Passy, en Haute-Savoie. ©Julien Heuret 

Repoussés vers les marges

Ces réserves naturelles sont gérées par Asters – Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie à l’échelle du département. Dès les années 2000 la fréquentation y a fait l’objet d’études. La montée en puissance de l’« outdoor », l’engouement des urbains pour les sports de nature, le besoin de reconnexion ressenti après trop de temps derrière un écran sont autant de facteurs qui font exploser la fréquentation été comme hiver. De ces tendances sociales indépendantes des politiques de la nature ressort un constat indiscutable : ces territoires pensés comme espaces de conservation de la nature ne sont pas en marge mais bel et bien liés aux dynamiques et influences humaines.

La fréquentation des espaces de montagne en Haute-Savoie est étudiée depuis les années 2000. ©Geoffrey Garcel

A ces dynamiques de fréquentation se superpose une menace d’une toute autre ampleur : le changement climatique à l’œuvre à toutes les échelles est particulièrement intense en montagne où le gradient altitudinal fait ressortir les anomalies de température et transforme le régime de précipitations. Cela modifie notamment les quantités de pluie et la fréquence de la neige.

En découle une perte de terrain de la plupart des écosystèmes d’altitude avec un rythme d’autant plus rapide qu’on se trouve en altitude. La disparition de ces espaces s’accompagne d’une réduction de la biodiversité inféodée, repoussée toujours plus vers les confettis résiduels de ces milieux en cours de raréfaction.

En parallèle les skieurs montent eux-aussi repoussés toujours plus haut où la neige est présente, et s’y trouvent, pour ainsi dire, « concentrés » pendant une saison de disponibilité de cet or blanc qui a tendance à se raccourcir.

Le maître mot :
rendre conciliables ces pratiques sportives
avec la protection de la biodiversité

Une rééquilibre du partage de l’espace

Asters-Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie s’est donc engagé en lien avec d’autres espaces protégés alpins, dans un projet européen intitulé Birdski, qui s’intéresse à la réduction des impacts des activités hivernales sur les populations d’oiseaux emblématiques des Alpes : notamment les Tétras-lyres et Gypaètes barbus.

Le maître mot : rendre conciliables ces pratiques sportives avec la protection de la biodiversité. Issu d’une réflexion approfondie sur le partage de l’espace entre pratiquants d’activités de pleine nature et espèces alpines, ce projet a donné naissance à des zones de quiétude pour les tétras-lyres sur plusieurs itinéraires accessibles depuis les domaines skiables ou en ski de randonnée. Une zone de quiétude est une aire dans laquelle il est demandé aux pratiquants de ne pas pénétrer, pour y laisser la faune sauvage vivre à son rythme, sans dérangement.

Ces zones sont d’autant plus importantes que l’hiver 2020-21 a vu les pratiques diffuses (ski de randonnée, raquettes) démultipliées par la fermeture des remontées mécaniques. Dans tous les espaces protégés suivis, la fréquentation des itinéraires en ski de randonnée ou raquettes a explosé.

La zone de quiétude créée en décembre 2020 dans la réserve naturelle nationale des Contamines-Montjoie. ©Geoffrey Garcel

Le renoncement demandé aux amateurs de glisse ?
Quelques m² de neige sans trace

Ainsi dans la réserve naturelle nationale des Contamines-Montjoie, une zone de quiétude a été matérialisée en décembre 2020 afin que les tétras-lyres, passant les journées d’hiver sous la neige dans leurs igloos, ne soient pas dérangés par les skieurs. Les printemps précédents, les comptages scientifiques de cette espèce ont montré une concentration importante d’oiseaux dans cette zone de 2,5 kilomètres carré environ. Issue d’un processus de concertation locale, ses limites ont pu être définies en accord avec les différents acteurs du territoire.

La rencontre entre un habitat propice à l’hivernage des tétras-lyres et une importante fréquentation par les skieurs détermine une zone de quiétude nécessaire. Une attention particulière est portée à la contrainte imposée aux skieurs qui doit être minimale : pouvoir repartir par gravité sans traverser la zone. Ainsi la combe voisine, plus large et fréquentée est laissée libre, de même que l’arrête qui longe la zone et la surplombe. Le renoncement demandé aux amateurs de glisse ? Quelques m² de neige sans trace, et qui ambitionnent de le rester. Dans cette neige laissée majoritairement vierge, d’autres traces apparaissent : lièvre, tétras-lyres, ongulés, renard, la faune discrète et invisible est bien là, au calme.

Le Tetras-Lyre et ses traces. ©Geoffrey Garcel

3 questions à Loïc, stagiaire sur le projet Birdski

Quelle est ta mission au sein du projet ?

Depuis février, je travaille à l’évaluation de la zone de quiétude en réserve naturelle des Contamines-Montjoie. J’interroge les pratiquants, dénombre les incursions en comptant les traces (de skieurs, raquettistes, piétons) dans le périmètre.

Connaissais-tu le concept de zone de quiétude avant de commencer ce travail ?

Ma première zone de quiétude pour l’hivernage des tétras-lyres, je l’ai croisée à 16 ans, en pleine session de free-ride avec des copains. On s’est regardé et on l’a traversé en riant. Depuis j’ai fait des études en écologie et j’ai changé de regard sur un tel champ de poudreuse et les écosystèmes de montagne en général.

Comment adaptes-tu ta pratique pour répondre à ce changement de regard ?

J’aime toujours autant skier je et rêve des belles lignes que je peux voir (comme les Dômes de Miage qui sont dans la réserve naturelle des Contamines-Montjoie). Le ski est un jeu, mais je cherche à concilier ma pratique avec un minimum d’impacts et le respect du milieu montagnard et des espèces qui y vivent. Pour ça, je choisis mes itinéraires en évitant les zones sensibles comme les zones de quiétude, je pratique plutôt de jour. Dans les zones boisées je respecte le principe de l’entonnoir, c’est-à-dire que je suis les traces existantes pour ne pas déranger la faune qui profite du couvert forestier.

Principe de la descente en entonnoir.