Il Ă©tait Vosgien, il a choisi les Ă®les. Moniteur, il s’est fait ultra organisateur. On lui avait dit « impossible » : il l’a fait, et en plein cirque. Ainsi naviguent Jean-Marie Daval, sa carrure et son truc pour rĂ©ussir. Pirate de GĂ©rardmer au regard passion, faut pas l’embĂªter mais on peut causer, surtout quand le projet est infaisable. Organisateur de jeux de Cirque(s) : Jean-Marie Daval, c’est le trail en RĂ©union, de Mafate Ă Cilaos et jusqu’à Mada’. À quelques jours du rendez-vous de Mafate 2019, quelques questions au Capitaine Haddock de Saint Pierre.
Il est Monsieur Cimasarun : 24 Ă©ditions, 55 kilomètres et 3 cirques (Mafate, Cilaos, Salazie). Monsieur Raid 97.4 et Isalo Raid (12 Ă©ditions) ou aux onze Marathons de Diego Suarez, etc. Organisateur de 11 courses autour de l’OcĂ©an Indien, lĂ oĂ¹ beaucoup continuent de prĂªcher l’irrĂ©alisable. FutĂ© ou franc, filou ou fin stratège, c’est surtout un passionnĂ© qui nous prend au dĂ©bottĂ©. Par la simplicitĂ© du discours et du geste. DĂ©but lesannĂ©es 1980, c’est un coureur tombĂ© sur l’île intense et qui se prend d’amour pour une terre volcanique. Époque pauvre en formalitĂ©s, riche en Ă©ruptions et en jaillissements d’idĂ©es dingues, c’est le temps d’avant l’ultra et la protohistoire du truc. Le trail. Fleur au fusil et cÅ“ur vaillant, l’administratif on verra plus tard. L’essentiel est d’y aller, car le basalte appelle autant que la jungle.
Oyez l’histoire d’un Zoreille* du Grand Est.
Ainsi naitront 25 années d’organisation qui n’avaient rien d’évident : UNESCO, enclavement, et cette manie qui commence à faire du bruit…des gens qui traverseraient l’île en courant ? Quelques courses devenues grandes classiques, dossards très recherchés et éditions parfois aventureuses, tous les acteurs du trail sont aujourd’hui unanimes pour reconnaitre le travail accompli par ce Zoreille des Vosges – mais très Réunionnais. Ces épreuves, on les dit toutes expressives de la diversité de l’île, et l’on vante la magie d’un organisateur depuis 25 ans, à tenir et innover. Et puis, un jour de 2020, Jean Marie Daval passera un flambeau, mais pour rester hyper actif. Retour sur un parcours, et éclairage sur un avenir riche.
Pour la première Cimasarun, le bilan est Ă©vocateur : 150 participants et pas de sponsor ! Rouge foncĂ© de nĂ©gatif. Aujourd’hui, la Cimasarun existe toujours et rassemble 900 coureurs. Et des sponsors …
JG : 25 ans d’organisation en Réunion. Une histoire de fuite, ou d’amour ?
Jean-Marie Daval : C’est vrai qu’en 1981, tout commence par un dĂ©part. « Quand tu aimes il faut partir » paraĂ®t-il. Alors je quitte mes Vosges : un peu marre de la grisaille et du froid. Ou plutĂ´t d’un gris MĂ©tropole, ce demi-ton qui nous caractĂ©rise nous, les « Zoreilles » qui rĂ¢lons tout le temps. Qui prĂªchons des valeurs mais aimons bien nous attrister. J’en fais partie sans doute, mais je pars ! Tandis que Mitterrand fait rĂªver pas mal de monde alors… En revanche je ne prends pas la tangente ; je recherche autre chose. Moi-mĂªme, sans doute en partie. Je suis alors moniteur d’auto-Ă©cole, et l’on en recrute dans les T.O.M. Je postule pour la RĂ©union, les plages et le cliché…et je m’aperçois que les plages, ça n’est pas exactement Maurice ! Par contre, il y a surtout un volcan actif Ă 3000 mètres, des cirques, de l’inconnu complet. Et encore du sauvage, du non foulĂ©, non reconnu, non appropriĂ© je dirais. Je pense avoir la chance de tomber Ă un moment encore prĂ©servĂ©, rare et extrĂªmement excitant en termes de nature. On est un peu dans l’idĂ©e d’un monde premier, en tous cas par rapport Ă la MĂ©tropole que je quitte, et les cartes postales que la tĂ©lĂ© diffuse. Oui, choc et coup de cÅ“ur, sauvage et passionnant.
JG : Passé le choc thermique, tu débarques et t’amourache de l’île. Mais comment s’approprie-t-on un environnement si nouveau ?
JMD : L’envie m’obsède de dĂ©couvrir la RĂ©union de l’intĂ©rieur. Imagine dans les annĂ©es 80 ce qu’un T.O.M comme la « Run » pouvait Ăªtre : moins de règles, un univers entier Ă arpenter et la sensation de rĂ©aliser tes propres explorations. Envie d’aller voir lĂ -bas ? Vas y, prend ton sac et tes responsabilitĂ©s. En revanche, une attitude m’a immĂ©diatement frappĂ© d’évidence ; notamment face Ă des comportements que l’on voyait alors : faire silence et se faire petit ! Le respect des mentalitĂ©s, cadres et codes. Une banalitĂ©Â ? Revenons aux annĂ©es d’alors, on a la mĂ©moire courte ! Repensons Ă un certain regard que les français de MĂ©tro’ portaient sur les DOM/TOM et leurs rĂ©sidents. Un peu la tentation de dĂ©barquer en se sentant chez soi, ou de dĂ©nigrer une « sous-culture ». Bref, je rencontre un ardĂ©chois aussi mordu que moi, et l’on passe vite des treks aux courses : randos, trails d’alors, sur fonds d’éruptions et de dĂ©nivelĂ©. Du 16/9e, du THX avant l’heure. Et quelle facilitĂ© alors : on allait battre le carrĂ© jusqu’au pied de la lave, casse-croute et coup de rouge.
Les paysages escarpĂ©s de La RĂ©union : un rĂªve de trailer.
©Serge Pothin
JG : Premiers « trails », jusqu’à la révélation de l’organisation ?
JMD : Tout part de la course, oui. 1989, c’est l’aventure Grand Raid – Ă l’Ă©poque la Marche des Cimes : 110 kilomètres avec un sandwich Ă Cilaos, Ă mi-parcours. Pour le reste ? On se dĂ©brouille, ravitos dans le sac et Ă©quipement minimum. Mais avec un tel format minimaliste, nous Ă©tions remontĂ©s Ă bloc et centrĂ©s sur le plaisir, l’effort pur. Un mental d’enfer, et 7 Ă©ditions parcourues. 1990 reprĂ©sente un grand pas personnel, car l’organisateur du Grand Raid Ă©tend alors son action Ă Madagascar, avec le Mada Raid : nouveau coup de foudre et de nouveautĂ©, je dĂ©couvre Mada’ sur 5 Ă©ditions de l’épreuve avec des amis, et bon sang que c’est divin ! Mais le vrai cap, je le franchis en 1994 avec la crĂ©ation de Randorun : terminĂ©s, Codes Rousseau et vĂ©hicules-Ă©coles, on ose. Je dĂ©cide de passer du statut de coureur Ă celui d’organisateur : retour Ă l’école pour passer le diplĂ´me d’Accompagnateur Moyenne Montagne, et crĂ©ation de la 1ère course de Montagne RĂ©unionnaise. Ce sera la Cimasarun… tiens, j’en parle encore avec Ă©motion, suis-je bĂªte. Le bilan est Ă©vocateur : 150 participants et pas de sponsor ! Rouge foncĂ© de nĂ©gatif. Mauvaise pioche, le Vosgien ? Alors le Vosgien retourne faire de l’auto-Ă©cole pour payer les factures. Mais la tĂªte un peu trop dur et pas mal de persĂ©vĂ©rance passent par lĂ . Aujourd’hui, la Cimasarun existe toujours et rassemble 900 coureurs. Et des sponsors…Ensuite, les choses se sont enchainĂ©es assez logiquement.
JG : Mais l’idĂ©e de crĂ©er une course au cÅ“ur des Cirques ou sites ClassĂ©s : une folie douce ?
JMD : L’aventure Cimasarun, qui rĂ©ussit après ce premier flop, me donne l’envie. Pourquoi renoncer avant un projet, qui a parlĂ© dâ€™Ăªtre raisonnable ? Essayons… puis on verra. Alors naissent d’autres courses, du 50 au 100 kilomètres et sur des sites et formats plutĂ´t variĂ©s. A chaque fois, l’idĂ©e n’est pas de reproduire un produit marketing qui marche, mais de crĂ©er une course Ă forte identitĂ©. Unique, si l’on veut oser le terme. On crĂ©e le Raid 97.4 typĂ© ultra, le Mafate Trail Tour centrĂ©e sur ce cirque, ou encore la CWT rĂ©servĂ©e aux femmes. Folie ? sans doute, mais on se rend vite compte que les parcours plaisent et que la participation augmente. Ne t’inquiète pas, les reproches ou critiques accompagnent toujours l’enthousiasme, le contraire m’aurait inquiĂ©tĂ© d’ailleurs – très louche et assez peu humain et constructif : des ravitaillements minimalistes, peu d’animation. Je le reconnais, on tente de faire Ă©voluer ces points Ă chaque nouvelle Ă©dition. On se gave de l’énergie que l’on reçoit en retour des participants. Le feu reste sacrĂ©, mais en 2008 j’avance cotĂ© Madagascar car des projets sont passionnants aussi, de ce cĂ´tĂ© ; tout en restant aussi actif sur la RĂ©union. Faire des choix, accepter de lĂ¢cher des choses… tout doux.
Parfois le bitume remplace les chemins, ça déroule ! ©Serge Pothin
JG : Le 30 novembre 2019, le Mafate Trail Tour (MTT)** reviendra pour la 5e édition. Focus sur l’une des courses à ton actif, qui semblait la plus irréalisable.
JMD : L’idée du MTT se résume en une phrase : « Mafate, paradis des marcheurs ? alors mettons-y des trailers ». On secoue, puis on voit ! Autrement dit, le but initial part toujours d’une sensation dans un site. On tente de monter le son, pousser d’un cran l’émotion (et toujours, sans trop savoir ce que ça donnera la première année) par l’effort. Sorte de filtre à plaisir, ou de catalyseur de ressenti. Mafate se livre alors d’une autre façon – ou peut ne pas se livrer. Au centre, encore et toujours ce cadre naturel comme azimut, et l’expérience intime de chaque coureur. Une mystique qui ne s’avoue pas ? Qui sait. Par contre, si l’idée est jolie, pas évident en effet de la concrétiser.
 IrrĂ©alisable ? disons plutĂ´t « dĂ©fi complexe » : parcours UNESCO, inaccessibilitĂ©, secours et ravitos Ă l’hĂ©lico (3400€ la virĂ©e, ça pousse Ă optimiser). Donc obligation de rĂ©unir pas mal de participants pour y arriver. Et tu l’auras notĂ©, un mois après la grand-messe Diag’ ! Mobiliser et remobiliser les volontaires, pas simple. Et pourtant, 500 inscrits dès la première Ă©dition. On partait du Port, Rivière des Galets, Canalisation des Orangers puis retour par le fond de la RDG : 60 kilomètres et sans bitume, facile d’accès, bonheur. Mais nous dĂ©chantons vite, car dès 2016, le lit de la RDG nous sera interdit. En 2017, le sentier s’effondre sur la Canalisation la veille, encore un souci. Mais ça marche toujours, et l’engouement nous pousse : le MTT 2019 visera encore 500 inscrits. Grand Ilet, Col de Fourche, La Nouvelle, Ilet des Orangers, Ă Bourse, Sentier scout…et ce rĂªve qu’un jour, le parcours originel se relibère. Mais ça, ce sera mon repreneur qui le vivra.
JG : Un passage de tĂ©moin en 2020 et dĂ©jĂ beaucoup de travail Ă Madagascar, on n’arrĂªte vraiment jamais ?
JMD : je passe la main…à la RĂ©union. Le barbu part en semi-retraite, mais reste organisateur de course Ă Madagascar. Ce pays est un rĂ©servoir de magie et d’écrins. Quand je parlais d’expĂ©rience personnelle, on y est Ă plein. Je poursuivrai donc, notamment avec l’Isalo Raid et le Nosy Be Trail, le Marathon de Diego Suarez ou et le Malagasy VTT raid, le Raid Madarun. Le bilan de tout ça, c’est la leçon d’avoir Ă©tĂ© coureur avant tout : le mental reste d’enfer et la passion intacte. Car l’organisation reste très dure ; entre les cahiers des charges dĂ©mentiels, l’exigence lĂ©gitime des coureurs, la concurrence ou le manque de solidaritĂ© entre organisateurs, c’est un florilège d’embĂ»ches. L’égoĂ¯sme demeure une belle constante humaine ! DĂ©moralisant souvent. C’est alors que les coureurs t’attrapent Ă l’arrivĂ©e pour te dire qu’ils ont vĂ©cu un rĂªve Ă©veillĂ©, ou qu’ils se sont transcendĂ©s avec une banane inouĂ¯e : et lĂ , tu oublies tout et tu repars pour une nouvelle aventure. Vive la mĂ©moire courte !
*Zoreille : en créole, individu provenant de la Métropole. Par opposition aux habitants « de souche ».
** Mafate Trail Tour : 30 novembre 2019. 55K / 3500D+.