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L’alpiniste de la dernière chance

Après quelques semaines en montagne, déconnecté des réseaux et autres notifications, je retrouve la planète virtuelle. Là, les alertes et photos déprimantes fleurissent : glaciers-peau de chagrin, lacs asséchés, éboulements rocheux et chutes de séracs accélérées, fréquentations de sites exagérées. Le scénario catastrophe est en marche. 

Gros coup au moral à la rédaction d’Alpine Mag. Les grandes courses estivales ont changé d’allure. Certaines sont déconseillées ou retirées du catalogue par les compagnies de guides, d’autres sont à reconsidérer en terme de difficulté, d’engagement et de temps de parcours. 

L’alpinisme, discipline démodée mais moderne ? Dans la longue descente de la pointe Whymper en face sud des Grandes Jorasses. ©Ulysse Lefebvre

Sur les arêtes de Rochefort, en route pour la traversée jusqu’aux Grandes Jorasses, on a cessé de compter le nombre de chaussages/déchaussages de crampons au-delà de la vingtaine de fois. Plus de trace de l’arête immaculée, ourlée de sa corniche charnue qui faisait l’éclat des photographies de montagne il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, on cramponne sur des restes de neige brunie par la poussière et le sable tombé cet hiver. Quand on n’avance pas sur des arêtes de rocher délité, fraîchement apparu. Puis à nouveau un vestige de neige etc. Sur place, François Damilano le constate amèrement : « L’alpinisme joyeux de Gaston Rébuffat n’a plus lieu ici. On grimpe en plein anthropocène ». 

Alors quoi ? L’alpiniste serait-il un touriste de la dernière chance malgré lui ? Et ce depuis toujours ? Un alpiniste de la toute dernière chance alors. Ne cherche t-il pas à trouver en altitude des paysages qui n’existent nulle part ailleurs, des ambiances d’époques révolues, les conditions rudes d’un autre temps ? Grimper ou marcher là-haut n’est-ce pas s’extraire du capharnaüm des hommes, là où son influence n’aurait pas encore eu d’effets visibles ? 

la montagne flanche

Force est de constater que c’est terminé. Certes les pierres et les séracs ont toujours chuté en été. Mais cette saison hors-norme semble bien marquer un triste jalon par le nombre et l’intensité des phénomènes. Du glacier Blanc dans les Ecrins, aux Grandes Jorasses dans le Mont-Blanc en passant par la réserve naturelle des Aiguilles Rouges ou le glacier de la Marmolada dans les Dolomites, la montagne flanche. 

L’alpinisme n’est pas à la mode et il ne l’a jamais été. C’est une activité longue, laborieuse et lente. Parfois risquée. Souvent ingrate. Ainsi apparait un grand paradoxe. C’est à la fois tout ce qui est dénigré dans les faits (puisque certains privilégient toujours un accès rapide et ponctuel à la montagne, sur un mode de consommation), mais c’est aussi tout ce qui est vanté dans les discours (marketings notamment, mais aussi politiques avec de fausses mesures ou des références malheureuses, aux premiers de cordée par exemple). 

Alors chers amis grimpons ! Grimpons doucement, escaladons lentement ! Parlons d’alpinisme sans tambours ni trompettes, mais sans fard non plus. Ne boudons pas une certaine fierté à parcourir les hauteurs sans bruit. Si nous sommes des alpinistes de la dernière chance, c’est qu’il en reste une, de petite chance. C’est qu’il reste de l’espoir. Tâchons d’en assumer, humbles et fermes, l’impérieuse responsabilité.