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Trilogie ski au Grand Charnier d’Allemont

Camp de base en Belledonne

C’est une idée qui émerge à force de lectures de cartes, de topos, d’attente du créneau parfait : trois jours, trois potes, trois faces et un seul sommet, le Grand Charnier d’Allemond en Belledonne. De la cabane du Chazeau, camp de base d’une expé de proximité, le skieur curieux découvrira un lieu sauvage, préservé parce que sans refuge digne de ce nom, et tentera d’en percer les secrets auprès du guide local. Allez venez, il vous dit (presque) tout.  

Ce serait vraiment trop con de se la coller maintenant : éclair de lucidité aux trois quarts du raide couloir nord-est du Grand Charnier d’Allemont, que nous remontons en crampons les skis sur le sac ce dimanche 17 février. Il est 9h, le ciel est bleu métal. Trois jours qu’on en profite, que nous montons et descendons à ski cette haute montagne méridionale de Belledonne, par ses itinéraires principaux : les couloirs sud-est et nord avant-hier et hier, et aujourd’hui, le nord-est. Il y a du gaz, dans celui-là.
Les deux compagnons sont plus haut, peut-Ăªtre Ă  quarante mètres. Pensent-ils Ă  la descente ? Pour moi, il est hors de question, tout Ă  l’heure, de riper Ă  ski sur la neige dure et de finir au fond d’un cratère trois cents mètres plus bas dans la combe. C’est tellement beau ici, la neige Ă©tait jusque-lĂ  si bonne, les moments si prĂ©cieux : on a croisĂ© trois traces et personne en trois jours, hormis l’avion Pierre Gignoux et deux semblables au sommet, hier samedi. Dans cet Eden du massif pour le ski-alpinisme, dans cette dernière course du sĂ©jour, se la mettre serait … un Ă©chec, comme on dit.
Ce couloir nord-est, haut perché sur cette rive droite de la vallée de l’Eau d’Olle, prend pourtant le soleil depuis presque trois heures. La température est celle d’un début de printemps, mais la nuit il gèle dur : on s’en est rendu compte chaque matin au réveil, à la cabane du Chazeau, notre camp de base, 1 000 mètres sous le sommet du Charnier. Là, la brise légère qui souffle dans cette pente suspendue achève l’espoir d’un bon dégel qui sécurise le ski en pente raide : je fais demi-tour serein, en crampons et face à la pente, soutenue au-delà des 45°, frisant les 50. Plus haut, les deux compères abordent le bol sommital de sortie : ils s’enfoncent au-dessus des genoux dans une neige accumulée par le vent et plus ramollie. Échange de cordée bref, efficace : ils poursuivent.

La combe nord et le couloir nord-est suspendu du Grand Charnier, encore vierge le samedi. ©Manu Rivaud

C’est tellement beau ici, la neige était jusque-là si bonne,
les moments si précieux

Jour 3. Prise de distance dans la raide pente d’accès au couloir nord-est. ©Thibault Michoux

Chercher le sublime

 De retour dans la combe Nord au pied du couloir proprement-dit, je les aperçois au sommet, prĂªts Ă  descendre. Un par un, ils Ă©voluent doucement mais sĂ»rement, cherchent les meilleures zones de neige revenue, plutĂ´t rares. Ça racle des carres. Deux rochers plantĂ©s en plein axe du couloir sont gĂªnants, renforcent l’exposition : chute vraiment interdite. Cela n’arrivera pas – il y a du pied d’alpiniste chez eux – et lorsque l’on se retrouve au pied de la combe après deux dizaines de grandes courbes en poudre, on a comme rempli la mission. La mission de concrĂ©tiser une idĂ©e nĂ©e lĂ  il y a quelques annĂ©es. Une idĂ©e qui Ă  force de lectures de cartes, de topos, d’attente du crĂ©neau parfait, a vu le jour : 3 jours, 3 potes, 3 faces, 1 sommet, le tout Ă  partir de la cabane du Chazeau, abri très agrĂ©able avec vue sur les Grandes Rousses, et complètement seuls ! Par des conditions mĂ©tĂ©o et nivologiques pareilles (risque 2, modĂ©rĂ©), c’est bizarre et sublime en mĂªme temps.
Pourquoi si peu de frĂ©quentation sur cette montagne, alors qu’au fond de la vallĂ©e, depuis le Rivier d’Allemont, on ne compte plus les hordes de randonneurs Ă  ski chaque week-end de beau temps vers le pic de la Belle Étoile ? Est-ce le nom de Charnier (1) qui repousse ? Est-ce le dĂ©nivelĂ© consĂ©quent de 1 650 mètres depuis la route et le hameau de La Traverse, et sa forĂªt sur les 600 premiers, qui dĂ©couragent les prĂ©tendants Ă  la journĂ©e ? Est-ce l’engagement de ces itinĂ©raires, aux « pentes relativement raides » selon le guide de haute montagne d’Allemond (2) StĂ©phane Marigot ? « Ce sont effectivement ces dĂ©nivelĂ©s longs Ă  la journĂ©e depuis le bas, ces pentes soutenues (dans toutes les orientations, NDLR) qui demandent de l’analyse nivologique et du savoir-faire, et mĂªme des rĂ©flexes d’alpinistes, qui expliquent que ce coin reste souvent dĂ©sert » affirme le guide. Un endroit sĂ©lectif donc : « c’est comme ça chaque saison… », rit-il doucement.

[1]Lieu oĂ¹ l’on dĂ©posait les ossements des morts, oĂ¹ sont entassĂ©s des cadavres

[2]Allemond avec un d, allez savoir pourquoi

Jour 2. Attaque du couloir nord. 5 jours après la dernière chute, c’est tout poudre. ©Manu Rivaud

 

Jour 2. La sortie du couloir nord, bien davantage travaillée par le vent (congères, neige dure), est à ski le passage clé de l’itinéraire. ©Manu Rivaud

Sortie au sommet du Grand Charnier à pied depuis la brèche du couloir sud-est, le premier jour. Au fond, la Grande Lance d’Allemont. ©Manu Rivaud

Bons plans

 Séjourner au Chazeau est pour Marigot une très bonne stratégie : le « baroudeur » qu’il est vante les vertus « d’une immersion prolongée » en montagne. On ne le contredira pas cette fois. Il précise, partageant son jardin qu’il atteint bien souvent à ski depuis sa maison : « il y a des alternatives, des possibilités moins engagées pour faire du bon ski sans s’élever vers le sommet du Charnier. Traverser la Barre des Écus par exemple, de la combe au sud à celle au nord, est, à partir du Chazeau, une magnifique boucle relativement courte et offrant du très bon ski. »
Cette combe au sud de la barre des Écus – comme quoi cet endroit vaut cher – c’est celle que l’on remonte pour accéder au couloir sud-est du Grand Charnier (le plus court des trois et le plus « facile » pour gagner la cime). D’abord très ouverte et peu raide, elle se raidit et se rétrécit dans le haut, formant cirque. La Grande Lance d’Allemont, voisine du Grand Charnier, domine l’ensemble, mais un petit col permet d’en faire le tour : « c’est une boucle plus longue et de nouveau en terrain exigeant, avec des pentes soutenues », prévient Marigot. Ne pas en dire plus, découvrir aura plus de saveur. Une dernière question taraude : pourquoi n’y a-t-il pas là, au pied du Grand Charnier et du Grand Pic de Belledonne, un grand refuge ?

Wild, Wider, only one trace : la combe Est du Grand Charnier d’Allemont, le premier jour. Le sommet est au fond, au centre de l’image. ©Manu Rivaud

Depuis la cabane, la récompense tous les soirs du coucher de soleil sur les Grandes Rousses et la station de l’Alpe d’Huez. ©Manu Rivaud

Jour 3. Dans le portillon de départ du couloir nord-est. ©Thibault Michoux

Quand il y avait un refuge

L’hiver, StĂ©phane Marigot forme avec une dizaine d’autres collègues le bureau des guides de l’Alpe d’Huez. L’idĂ©e d’un refuge sur ce balcon Est de Belledonne est dans toutes les tĂªtes. Depuis quatre dĂ©cennies au moins, quatre cabanes et chalets, de celle des Chalanches au sud Ă  ceux de Roche Coutant au nord, servent effectivement d’abris confortables en lisière de forĂªt, mais ils n’offrent qu’un petit nombre de couchages (4 Ă  8 officiellement). PlacĂ© Ă  proximitĂ© du lac de Belledonne, sous le Grand Pic, un vĂ©ritable refuge permettrait aux randonneurs d’envisager un raid sur l’ensemble du versant, aux alpinistes d’avoir un accès rapide aux itinĂ©raires du Grand Pic, et offrirait aux skieurs une base solide pour sĂ©journer, et profiter d’un grand ski Ă  la saison neigeuse.
Raymond Joffre, l’Ali Baba taulier de la Librairie des Alpes (1) à Grenoble et auteur de Belledonne, l’histoire d’une conquĂªte, rappelle que dès 1875 et la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© des Touristes du DauphinĂ© – « moins d’un an après le CAF ! » – fut construit lĂ  le second refuge STD du massif après celui du lac de Cos (Sept-Laux). C’était lâ€™Ă¢ge d’or de l’alpinisme, « le Grand Pic avait Ă©tĂ© gravi pour la première fois le 16 aoĂ»t 1859 par Etienne Favier, Michel Perrin et Chapuis, et Favier avait portĂ© le chantier du refuge pour la STD, raconte Joffre. En plus– s’emportant presque –  ce refuge Ă©tait dĂ©jĂ  Ă©colo, avec des tuiles en bois ! ». Mais lorsque la grande guerre dĂ©marra, le refuge fut abandonnĂ© « par la STD, car la frĂ©quentation touristique de la montagne changeait, la plupart des adeptes se tournait vers la randonnĂ©e confortable. Pour cela, le versant du GrĂ©sivaudan avait un profil plus doux et propice. » poursuit le libraire. Levant enfin presque les bras au ciel et maugrĂ©ant : « le CAF l’avait bien compris et nous avait construit le refuge de La Pra (2) ! »

Trève de guerres de clans, nous reposons l’idĂ©e sur la table. Car le vieux refuge de Belledonne a aujourd’hui disparu, peut-Ăªtre pulvĂ©risĂ© Ă  petit feu par les soubresauts de la montagne. Placer lĂ  un refuge retirerait aussi au lieu sa quiĂ©tude actuelle : choix cornĂ©lien au-delĂ  des considĂ©rations structurelles. Signalons enfin que si les quatre cabanes du secteur offrent des abris de qualitĂ©, elles sont gentiment laissĂ©es aux bons usages des randonneurs et skieurs par leurs propriĂ©taires. Des dĂ©gradations Ă  la cabane du Chazeau ont nĂ©anmoins eu lieu fin dĂ©cembre dernier : la commune d’Allemond et les propriĂ©taires le savent. C’est triste, et il faudra peut-Ăªtre en tirer consĂ©quences.
En attendant, restera-t-il cet hiver un créneau pour vous immerger au sud de cet envers de Belledonne, avec pour promesse l’embarras de l’espace pour y faire votre propre trace ?

(1) Librairie des Alpes, 1 rue Casimir Périer à Grenoble.
(2) En 1889, à proximitĂ© du col de la Pra, d’oĂ¹ la Croix de Belledonne s’atteint en 2 Ă  3 heures de marche par une sente alpine et quelques nĂ©vĂ©s peu raides Ă  la belle saison.

 

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Le refuge STD de Belledonne était situé en amont du lac de Belledonne, dès 1875. ©DR

Préparation

Accès
D’Allemond sur la D43, rejoindre le hameau de La Traverse.
Sécurité neige et avalanche
BRA massif de Belledonne et massif de l’Oisans 
Archives consultables des bulletins passés : http://k6.re/1OmHm
Carte
IGN 1 : 25 000 3335 ET Alpe d’Huez Grandes Rousses
Topo 
Le Toponeige Belledonne (3èmeédition 2005), par Volodia Shahshahani, est de loin le plus exhaustif et précis sur le secteur.

Stratégie 3 jours, 3 faces  

J1  montée à la cabane du Chazeau (1 778 m) depuis le premier parking à 1 130 m (jusqu’en avril, parking à 1 270 m plus tard en saison) à la sortie du hameau de La Traverse, et couloir sud-est. D+ 1 640 m ou 1 500 m.

J2  couloir nord depuis la cabane du Chazeau, en boucle par le précédent ou en aller retour par le Pas du Bessey.

J3 couloir nord-est, retour Ă  La Traverse (qui peut Ăªtre une punition, garder un peu de marge physique et morale).

Remarque : ces trois couloirs peuvent Ăªtre combinĂ©s en passant par le sommet ou très proche. Ce passage au sommet consiste en un court parcours d’arĂªte mixte, plus impressionnant que difficile cĂ´tĂ© nord, plus facile en venant du couloir sud-est.

©Manu Rivaud

©Manu Rivaud

©Manu Rivaud

Depuis le sommet, vue sur le Petit Belledonne (nom historique de la Croix de Belledonne), le Pic Central et le Grand Pic (versant Est, Eau d’Olle). Sur la droite de la face du Grand Pic, l’arĂªte du Doigt (alpinisme D). ©Manu Rivaud

Les suggestions avisées du local, Stéphane Marigot

La traversée de la Barre des Écus (2 323 m) 
Par la combe au sud de la barre, ou la combe Est du Grand Charnier et de la Grande Lance d’Allemont, atteindre l’altitude 2 200 m depuis la cabane et repĂ©rer plusieurs brèches assez Ă©videntes au sommet de la barre. Elles conduisent Ă  de jolies pentes nord de 250 Ă  300 mètres de dĂ©nivelĂ© oĂ¹ la neige reste longtemps poudreuse. D+ 500 m depuis la cabane du Chazeau, 1 150 depuis La Traverse.

Le tour de la Grande Lance d’Allemont (2 842 m) 
MĂªme dĂ©part, puis atteindre en rive droite le col pointĂ© 2459. Descendre au sud puis tourner Ă  l’ouest vers le point 2422, franchir le col de la Portette, descendre au replat du Jas du Four et remonter au Grand Charnier par la face ouest et la pente de sortie du couloir nord, par lequel on descend. D+ 1 500 m environ depuis le Chazeau (3 montĂ©es et descentes).

Exploration de la face E de la Grande Roche (2 483 m)
Beau versant assez raide dont le sommet dépasse des arbres à proximité de la cabane, cette face est striée de couloirs raides et sinueux, ludiques, mais gare aux coulées. Les remonter sont conseillés avant de les descendre, néanmoins la voie normale de la Grande Roche est au sud-ouest par la raide combe des Sagnes. D+ 700 m depuis le Chazeau, 1 350 m depuis La Traverse.

La cabane du Chazeau, 1 778 m.
LaissĂ©e par le propriĂ©taire gracieusement aux randonneurs et skieurs, cette presque luxueuse cabane plutĂ´t bien isolĂ©e de l’humiditĂ© est Ă©quipĂ©e d’un poĂªle Ă  bois (rĂ©serve Ă  rĂ©-alimenter, une scie est disponible), d’une table, de bancs, d’une batterie de cuisine. 6 places de couchages sur matelas de sol en mezzanine. Sceau, balais Ă  poussières et serpillère Ă  disposition pour le nettoyage du sol carrelĂ©.
Si vous avez de la chance, vous y trouverez aussi quelques canettes de bières.

Le poĂªle joue son rĂ´le (on a atteint les 10°C Ă  l’intĂ©rieur le soir) mais un rĂ©chaud et du gaz en suffisance sont indispensables pour faire de l’eau l’hiver.
Des dĂ©gradations fĂ¢cheuses ont eu lieu fin dĂ©cembre dernier, commune et propriĂ©taires trancheront…