Au milieux de tous les débats concernant le défi réussi du Népalais Nirmal « Nims » Purja de gravir les 14 sommets de 8000m en moins de 7 mois (rappel en deux épisodes ici et là), il est difficile de voir tout noir ou tout blanc, sans jamais tenter le gris.
Dénoncer l’utilisation de l’oxygène ? C’est passer pour un puriste, ascendant Ayatollah.
Critiquer les cordes fixes et la poignée Jumar vachée au baudar ? Quel élitisme.
La formidable réussite entrepreneuriale que représentent la levée de fonds et la logistique pour se payer 14 sommets ? Une vision horriblement libérale de l’alpinisme.
Une forme physique hors-norme alors pour encaisser les liaisons entre les sommets, l’effort des ascensions, les effets de l’oxygène rare ? Allons bon : juste de l’endurance qui vient avec l’entraînement, surtout chez un Ghurka surentraîné.
Alors quoi ?
Et bien l’apparente impasse du cas Purja, qui cristallise tous les points de vue, pourrait bien avoir l’énorme avantage de signer une bonne fois pour toutes la fin de l’idée d’aventure à 8000 sur les voies normales.
Et ce n’est pas là dresser un tableau sombre et pessimiste. Non, juste la mise en exergue d’un constat déjà ancien.
Les drapeaux à prière au sommet sont déjà là,
aussi difficiles à atteindre soient-ils
L’himalayisme a évolué à une vitesse incroyable, depuis les premières ascensions des 8000 dans les années 1950 bien sûr, mais plus encore avec le (sur)développement des ascensions guidées ou « commerciales », Everest en tête de peloton dans les années 1990.
Le monde entier peut désormais se payer (s’il est friqué ou prêt à tous les sacrifices pour économiser) un 8000 et cocher un symbole de l’aventure et de l’exploration.
Pourtant non, désolé. C’est un symbole désuet. Gravir l’Everest, le Shishapangma ou le K2 est une expérience hors du commun, un rêve personnel, qui demande de la détermination, de l’effort, de la chance aussi avec les conditions météo… Mais ce n’est plus une aventure. Pas plus qu’une exploration. Les chemins sont tracés. Et même si les inconnues subsistent, l’issue recherchée est toute trouvée, connue. Les drapeaux à prière au sommet vous attendent, aussi difficiles à atteindre soient-ils. Simone Moro, rompu aux ascensions en Himalaya, notamment en hiver, ne s’y est pas trompé chez nos confrères anglophones d’Explorer’s web : « Purja a disqualifié tous ceux qui se considèrent comme des héros en accumulant les 8000 par beau temps, avec oxygène, cordes fixes et guides ».
Cela restera toujours un fantastique défi, pour n’importe qui, friqué ou pas, alpiniste amateur ou de haut-niveau (voyez combien de chantres du style alpin s’essaient sur un 8000) mais il est désormais plus limpide que jamais qu’il faudra aller voir ailleurs que sur les voies normales à 8000 pour toucher du doigt l’exploration, les sommets vierges, les voies nouvelles, le culot de la découverte.
« Maitre Nims » est passé par là et a tout raflé avec une arrogante facilité,
on peut enfin déduire que ce n’est pas surhumain
Gravir un 8000, et a fortiori en enchaîner plusieurs, a toujours été un défi au regard des difficultés du commun des mortels pour y parvenir. Maintenant que « Maitre Nims » est passé par là et a tout raflé du premier coup, on peut enfin déduire que ce n’est pas surhumain (sa nationalité népalaise prouve aussi que le registre de l’exploit n’est pas réservé à l’Occident). Tout cela reste compliqué certes, mais monter au sommet de l’Everest n’est plus aventureux. Effort ne rime pas avec exploit. Un exploit qui reste vivace, mais ailleurs. Celui de Nirmal Purja aura été de prouver au monde entier que l’ère des voies normales fixées permet une course fantastique mais balisée. C’est un point final à l’idée d’aventure sur des voies normales à 8000. Une conclusion à l’éternel débat des ascensions commerciales en Himalaya : elles sont là, le monde entier s’y bouscule, profite, assouvit ses désirs, ses rêves, mais n’invente rien.
On compte plus que jamais sur les alpinistes curieux et créatifs pour fouler de nouveaux sommets, ou même dessiner de nouvelles lignes sur des sommets surfréquentés. L’incertitude du chemin pour aiguillon. L’alpinisme quoi.