
C’est l’histoire d’un acte manqué. Ai-je vraiment cru que le livre intitulé Punk Altitude parlerait de sommets et d’élévations alpines ? Son sous-titre, « Petit traité de spiritualité destroy » ne devait-il pas mettre sur la voie des riffs de gratte électrique, plutôt que sur celle de la musique des cimes ? Serait-ce le Psychisme ascensionnel d’Etienne Klein qui a induit en erreur mes aspirations à l’élévation ?
Pourtant, d’altitude, ce petit livre de Bertrand Pavlik en parle ; non pas en montagne, mais dans l’histoire du mouvement punk au début des seventies, avec sa philosophie de vie qui élève et a sorti par le haut toute une génération d’oubliés. Ici rien n’est écrit mais tout est vécu. Volume à fond. Le « no future » se veut la révélation d’une fin du monde si non atteinte, du moins annoncée ou prévisible. Tiens, un lien avec la collapsologie actuelle ?

Punk altitude, petit traité de spiritualité destroy, Bertand Pavlik, Editions Dandelion, 2024, 126p., 7€.
Il y a pourtant un peu de fin du monde dans l’air. Thatcher n’est plus là pour fermer les usines mais la question de produire en Europe (voire en France) continue d’agiter les débats. Le bourbier vietnamien a laissé place aux enlisements ukrainien et palestinien. La critique de la société de consommation est toujours le fer de lance de la contestation. Les glaciers fondent, la Terre se réchauffe. Alors le duct tape qui rafistole les doudounes trouées aurait-il remplacé les épingles à nourrices sur les oripeaux du punk ? Calmons-nous.
Et si le punk pouvait mettre
tout le monde d’accord ?
Dans son édito consacré au solo intégral de Seb Bouin et Alain Robert sur la tour Total à Paris, Jocelyn Chavy osait qualifier les deux grimpeurs de « derniers punks de l’escalade ». Cette utilisation alpine d’un vocable hors-champ lui a valu quelques cris d’orfraies, tout comme la mise en avant, indirecte, de l’une des plus grosses sociétés pétrolières (et donc polluante) du monde. D’un côté, les tenants de la rigueur punk, pour qui le terme doit être réservé à quelques personnages fondateurs, Sid Vicious en tête. De l’autre, des écologistes rigoristes pour qui l’apparition d’un logo polluant signifierait que les grimpeurs et les médias adhèrent à ses activités puantes.
Comme souvent, la dichotomie pêche par simplisme. Observons plutôt la scène sous un angle décalé, d’un peu plus loin que le bout des santiags en croco d’Alain. Et si le punk pouvait mettre tout le monde d’accord ?
Dans son chapitre consacré à la théologie du punk, Bertrand Pavlik rappelle sa proximité avec le situationnisme, qui n’est finalement ni plus ni moins que la version artistique et théorisée de la dynamique punk. Ses credo ? Détournez la réalité, créez la subversion, provoquez symboliquement ! Comme gravir une tour qui pue le fric et le mazout au risque d’en mourir, gratuitement ? Sans rien à vendre ? Comme une critique du spectacle des films d’escalade sponsorisés ? Des sports de plein-air marchandisés ? Est-ce tellement gros que certains seraient passés à côté ? Il est vrai que ni Bouin ni Robert n’ont revendiqué ouvertement un acte subversif.
Sur la tour Total,
nulles crêtes sur les têtes
Sur la tour Total, nulles crêtes sur les têtes. Alain Robert porte ses habits de lumières et Seb Bouin sa tenue de grimpeur de falaise. Et Pavlik de rappeler les mots de Johnny Rotten (chanteur des Sex pistols) : « Il ne suffit pas de s’habiller, il faut aussi avoir l’attitude. Et le but n’est pas d’être juste vêtu, mais d’affirmer certains partis pris délibérés ». Ne serait-ce pas de cet esprit punk que la montagne manque cruellement aujourd’hui, pour gagner en créativité, en solutions et tout simplement en fun ? En sortant des rails, en étant disruptifs comme disent les managers d’aujourd’hui ?
En tous cas, je vous invite à poser cinq minutes les livres « de solutions » pour vous plonger dans ce petit traité de spiritualité destroy. Sans prétendre agir, il a le bon goût de réveiller.