Non, ce ne sont pas des laveurs de vitres ou des cordistes égarés. Samedi, deux points ont pourtant rapidement attiré l’oeil des passants sur l’une des tours les plus hautes de Paris, culminant 187 mètres au-dessus du goudron. Les deux hommes ont démarré en parallèle avant que l’un ne grimpe au-dessus de l’autre. Une cordée ? Symbolique, sans doute, puisqu’aucun des deux n’était encordé. L’un est un habitué : il s’agit d’Alain Robert, l’homme qui a gravi plus d’une centaine de gratte-ciels dans le monde entier.
L’autre beaucoup moins : Seb Bouin est sans doute l’un des meilleurs grimpeurs mondiaux, auteur du deuxième potentiel 9c de l’Histoire de l’escalade (DNA au Verdon), mais n’est pas connu pour grimper souvent en solo, même s’il a joué dans le jeu en gravissant un 8b à Pen-Hir, sans corde mais au-dessus de l’eau. Selon Alain, c’est Seb Bouin qui l’a contacté « il y a six mois, pour grimper en solo un building pas trop difficile ou de difficulté moyenne.» Et notre Spiderman national d’y répondre favorablement, en le conviant à Paris pour ce solo à deux de la tour Total.
Alain Robert est un double mystère. Gravement accidenté, il est pourtant devenu l’un des meilleurs grimpeurs de sa génération, avec le solo de la Nuit du Lézard à Buoux (8a/b) ou le lunaire solo (car très aléatoire) de Polpot (7c+) au Verdon. Comme il le raconte dans le podcast de notre partenaire France Bleu Isère, c’est par manque de reconnaissance, et pour gagner sa vie, qu’il se tourne vers les buildings dans les années 90. Et c’est le second mystère Alain Robert : non seulement il a survécu à une centaine de buildings en solos (et un paquet d’arrestations), mais il continue, comme ce samedi, pour fêter, dit-il, ses …62 ans.
Mais il n’est plus le soliste de la verticale : il a fait de jeunes adeptes, tel Alexis Landot. Mais Seb Bouin ? Sans doute le serial climber (qui a un nombre ahurissant de voies en 9a et au-delà à son actif) n’a plus rien à prouver, si ce n’est à lui-même. Peut-être n’a -t-il plus tout simplement de caillou suffisamment lisse, ou déversant, à se mettre sous les chaussons ?
Hier, Seb Bouin a donné quelque explication sur ses réseaux. « Nous revendiquons la vie et la liberté ! La capacité de vivre pleinement, de poursuivre nos rêves, de sentir notre cœur battre et d’être libre d’agir et de penser. Nous essayons d’éveiller les esprits par un geste audacieux (…). Parce que cela nous fait rêver, parce que nous nous sentons vivants et parce que la vie est précieuse. »
Nous revendiquons la capacité de vivre pleinement, de poursuivre nos rêves, de sentir notre cœur battre.
Seb Bouin
Cent-quatre-vingt-dix mètres d’escalade en solo. Absolument verticale. Des prises lisses, et les pieds posés sur un mix d’aluminum et de verre. C’est la preuve que les (meilleurs) grimpeurs ont toujours quelque chose à (se) prouver. Alain Robert est le troisième grimpeur qui à l’âge de la retraite est encore capable d’impressionner tous les autres et qui fait la Une cette semaine (après la première en Himalaya des vétérans Mick Fowler 68 ans et Vic Saunders, 74 ans !)
Quand à Seb Bouin, il prouve que le meilleur grimpeur français a voulu goûter au (gros) frisson mais n’a pas tremblé, comme le Norvégien star de youtube, Magnus Midtbø, quand il a grimpé en solo avec Alex Honnold (et a juré qu’on ne l’y reprendrait plus).
D’ailleurs heureusement : faire du solo l’un au-dessus de l’autre, cela peut se révéler plus risqué que seul. Loin des murs et de la compétition, la perf’ de samedi reste une belle démonstration des derniers punks de l’escalade. Et un pied de nez (pour rester poli) à l’escalade sous cellophane entre quatre murs.