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Imperméable ?

Tu marches. Dans la rue, pour aller au travail, faire des courses. Tu prends le bus, le train, le masque sur le nez, un casque audio dans les oreilles. Déjà, avant tout cela, parler dans les transports en commun avec un ou une inconnu(e) tenait du miracle, de l’exceptionnel. Aujourd’hui, autant de chance que cela arrive que Castex annonçant une free party à Marseille. Tu marches, et tu penses que tu es isolé(e) de ce monde devenu dingue. Un monde enveloppé de Gore-Tex, où il s’agit de se rendre étanches les uns des autres. Un rêve de Durex ou de Christo, l’artiste qui emballa un pont entier à Paris.

Tu marches avec ce masque qui te couvre les deux-tiers du visage, peut-être même que des lunettes de soleil achèvent de te transformer en braqueur de supermarché. Radio-covid dans les oreilles, tu switches sur de la musique*, du mastic pour le cerveau, pour t’isoler de cette société des masques, ajoutant une membrane sonore à la couche de protection qui maintient ce monde à distance.

Un monde enveloppé de Gore-Tex, où il s’agit de se rendre étanches les uns des autres

Vaudou ?

Jamais, sans doute depuis longtemps, les humains que nous sommes n’ont été autant isolés les uns des autres. Autant par une maladie nouvelle que par un sentiment de panique : celle d’habitants d’une capsule spatiale qui voient leur cocon se fissurer. Celui des Népalais se fend en deux, après une année zéro en matière de tourisme – et de devises.

La lucidité est la blessure la plus proche du soleil, écrivait René Char. Personne n’a envie de s’y brûler. Procastiner ses sens, sa vie, jusqu’au sens même de démocratie – le vouloir vivre ensemble – paraît plus raisonnable. Il n’en est rien. Que tu sois passionné(e) d’altitude, de haute montagne ou de volcans d’Auvergne, la nature te manque : l’’automne est aussi lourd que l’été a été léger. Ta propre nature te manque : celle d’un être humain qui décide de mettre ses pas là où son regard a porté.

Souviens-toi de ce goût : celui de décider.  Souviens-toi de ce parfum-là, que nul écran ne peut altérer.

Les montagnes rapprochent. De Briançon au mont Blanc, elles ne sont pas faites pour les carcans, mais pour la liberté. Tu te souviens de ce plaisir de partager une bière en terrasse du Soreiller ou de Vallonpierre, l’été dernier, montagnards chanceux que nous étions.

Souviens-toi de ce goût : celui de décider. Celui de sortir du duvet, bien avant le lever du soleil. Celui de marcher, dans la nuit, vers ce col ou cette rimaye inconnus, tendu vers ce sommet, intimidante terrae incognitae. Celui de ton libre-arbitre.

Souviens-toi de ce parfum-là, que nul écran ne peut altérer. Sous le masque et le casque audio, n’oublie pas ton discernement, c’est-à-dire le contrôle de tes actes. N’oublie pas la joie qui crépite encore à l’idée de marcher dehors, de sortir du cocon. N’oublie pas le sourire qui se dessine derrière l’inconnu(e). N’oublie pas, quoi que tu fasses, que tu n’es pas imperméable.

* With the lights out, it’s less dangerous
Here we are now, entertain us
I feel stupid and contagious
Nirvana – Smell likes teen spirit