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Ski alpin, camembert et rosbifs

Depuis ce matin, un copain moniteur de ski s’arrache les cheveux. La France a annoncé, jeudi 16 décembre, la fermeture de ses frontières avec le Royaume-Uni le 18 décembre. Les stations de Tarentaise (Savoie) mais aussi nombre de stations de Haute-Savoie (Chamonix, Châtel, Le Grand Bornand…) enregistrent de nombreuses annulations de sujets britanniques qui ne peuvent plus venir en France, sauf motif impérieux, et le ski n’en est pas un. Le copain est moniteur dans les Trois Vallées, en Tarentaise, là où certains restaus peuvent servir des plats de fruits de mer à 99 € contenant des crevettes, des huîtres, des langoustines… et des coquilles St-Jacques avec seulement les coquilles (véridique). Amer, il avait déjà fait une croix sur ses clientèles russe et israëlienne, qui ont déserté les Alpes depuis le début du Covid. C’est au tour des Anglais de passer à la trappe.

©Les Bronzés

Ce n’est sûrement qu’une question de semaines avant que l’expansion du variant Omicron qui affecte la Grande Bretagne ne se poursuive sur le continent européen. On peut également se souvenir que la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne ne date pas d’hier. Outre « l’impératif sanitaire », il ne fallait pas être devin pour comprendre que M. Macron ne ferait pas de cadeau à un pays qui a systématiquement contré ou mis des bâtons dans les roues de la France depuis quelques mois.

Mais dans la tête de certains irréductibles montagnards, et dans celle des Britanniques eux-mêmes, les Anglais devaient venir, c’était sûr. Selon Domaines Skiables de France, ils représentent, 10 à 15% de la clientèle. Mais cette absence de « seulement » 10 à 15% cache d’énormes disparités : en Tarentaise et en Haute-Savoie ce chiffre atteint 30%, voire, dans des cas particuliers comme Val d’Isère, 50%. Val d’Isère où le directeur général de l’OT Christophe Lavaut s’insurge, affirmant, en colère : « le manque à gagner va être phénoménal, c’est toute la balance économique de la station qui est en danger. »

Le manque à gagner va être phénoménal. Christophe Lavaut, Val d’isère

Refrain identique chez les élus. Le sénateur de Haute-Savoie (LR), Cyril Pellevat, « demande à ce que, comme l’année dernière, dans les communes classées en zone de montagne, des aides soient mises en place pour les acteurs économiques qui subiraient de trop fortes pertes de chiffre d’affaires du fait de cette décision compte-tenu de l’impact que celle-ci aura sur plusieurs stations de ski », avec l’appui de maires comme Nicolas Rubin, maire de Châtel. Le député de la Savoie, Vincent Rolland, « demande au gouvernement de mettre en place des dispositifs de compensation afin de limiter les conséquences économiques de ces décisions. »

Au lieu d’affréter des trains Eurostar et TGV depuis Londres qu’ils doivent aujourd’hui annuler en catastrophe, les acteurs de la montagne de Savoie et de Haute-Savoie auraient pu réfléchir, après une saison off, à motiver la clientèle française. Les Français qui font du ski sont moins nombreux année après année. Parce que le ski est trop cher. Le prix du forfait est un tabou, alors que les impôts viennent de déclarer illégaux les forfaits à tarif réduit ou gratuits pour les élus, les résidents ou les clubs. Le fisc pointe du doigt ces avantages en nature et la rupture d’égalité de traitement des usagers devant le service public. Mais tant que les clients payent plein pot…

Privatisation des bénéfices et mutualisation des pertes as usual.

Élevé, le prix des forfait est un frein pour la clientèle française. Ce prix est validé par des maires à la tête des syndicats mixtes, qui justifient ces tarifs élevés et/ou l’augmentation sans fin des forfaits par les investissements qu’ils font dans les stations. Sans doute faut-il réfléchir à mieux doser les investissements pour pouvoir réduire les coûts – et par ailleurs aller dans le sens du changement climatique, malgré ce début d’hiver généreux en neige.*

Ensuite, il s’agit de collectivement faire cesser ce qui devient gros comme une maison avec le Covid, à savoir la privatisation des bénéfices et la mutualisation des pertes, et que les élus cités plus haut s’en souviennent. Sans doute faudrait-il réfléchir, enfin, à donner le goût de la montagne hivernale, d’abord, et celui du ski, ensuite, aux Français. Et le copain moniteur pourra bosser.

* le communiqué de presse d’Europe Ecologie Les Verts – daté du 18/12 – signé par EELV Haute-Savoie s’interroge ainsi :

Les stations vont devoir se passer de la clientèle britannique. (…) Cette trop grande dépendance aux touristes étrangers doit nous interroger sur le modèle économique des stations de sports d’hiver. Paradoxalement, nous constatons qu’en parallèle, les habitants de nos départements sont de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir avoir accès aux pratiques sportives nécessitant l’achat de forfaits pour accéder aux remontées mécaniques. Le moment n’est-il pas venu, pour les stations, de réduire les prix des forfaits pour les habitants de nos régions ?