Robert Paragot et Lucien Bérardini : deux parigots qui pendant vingt ans ont formé une cordée indéfectible. Une amitié forgée dans l’exploit de la face sud de l’Aconcagua. Malgré les amputations subies par Lucien, la cordée continuera à ratisser les Alpes. Dans ce grand classique paru en 1974, Robert et Lucien narrent leur rencontre et leurs ascensions, depuis Fontainebleau jusqu’au Huascaran en passant par les Dolomites. Il faut dire que pour inaugurer leur cordée, Paragot et Bérardini commencèrent par la première répétition de la Bonatti au Grand Capucin !
Robert Paragot n’est plus. Il a rejoint son compagnon Lucien, disparu en 2005. L’histoire de leur premier contact, qui n’est pas une rencontre, vaut son pesant de cacahuètes. En 1952, Robert Paragot raconte qu’au bivouac en pleine face nord des Grandes Jorasses, à la Walker, il voit la lumière d’un autre bivouac au sommet du Dru : ce n’est rien de moins que celui de Lucien Bérardini, qui vient d’ouvrir avec sa cordée la mythique face ouest des Drus. Bleausards, parigots donc, Robert et Lucien vont très vite se trouver.
L’un grimpe fort dans le groupe de la Dame-Jeanne, tandis que l’autre est un pilier du Cuvier : Robert ne va pas tarder à rejoindre le second groupe de Bleausards, celui de Lucien et des « pures lumières » du rocher. Lui est plutôt grand et fin, grimpe en finesse, Lucien est court sur pattes et costaud, passe en fermant les bras. Robert est réservé, tandis que Lucien, surnommé le Fou par ses jeunes camarades, est plein de gouaille. Les deux vont faire la paire dès l’année suivante, en 1953, en faisant la première répétition de la fameuse voie Bonatti en face est du Grand Capucin, au prix de deux bivouacs. Quand ils passent, les faces trépassent.
Et cela va durer vingt ans. Malgré l’Aconcagua. Ou peut-être, à cause de l’Aconcagua. En 1954, Lucien et Robert font partie des aventuriers qui prennent un aller simple (véridique) pour tenter la gigantesque paroi argentine. Ils n’ont pas de sous, mais du courage à revendre. Ils réussiront avec leurs compagnons à gravir la face sud de l’Aconcagua, mais au prix de gelures et d’amputations – sauf Robert Paragot. Mais il ne va pas laisser tomber son pote, loin de là . La cordée continue, malgré les handicaps de Lucien. Et ils ne font pas de figuration : ils ouvrent la voie des Parisiens à la Pelle, ED à l’époque, ou s’adjugent la première française du dièdre Philipp-Flamm à la Civetta. Paragot et Bérardini repartent en expédition et gravissent la dangereuse face nord du Huascaran au Pérou, un succès terni par la mort de Dominique Leprince-Ringuet à la descente. La cordée, avec Robert en chef d’expé, sera du succès collectif au pilier ouest du Makalu, sans aller au sommet. Lisons Robert Paragot, fonctionnaire de la Sécu, futur ex-président de la FFM : « je me rappelle Lucien au-dessus du quatrième bivouac de l’Aconcagua, qui contre toute prudence, a enlevé ses gants, est parti en rage à l’assaut de ce morceau qu’il a vaincu avec rapidité. Sans lui, sans sa colère, sa sauvagerie, nous ne serions pas passés. » Plus loin, Robert Paragot conclut : « Sans violence (…), sans rage, sans furie même il n’y aurait pas de bons alpinistes, de ceux que l’on rencontre dans les refuges (…) aux visages calmes, qui ne disent rien de ces luttes livrées dans la solitude« . Nul doute que Robert a souffert en voyant Lucien s’éteindre en 2005.
Vingt ans de cordée, Paragot et Bérardini.
Editions Flammarion. 226 pages, 1974. Chez les bouquinistes.
A lire également, Paris Camp de Base, Sophie Cuenot et Robert Paragot, éditions Guérin.
Et bien sûr : Robert Paragot, de la Sécu aux géants de l’Himalaya