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Piolets d’Or 2021 : l’alpinisme sous le signe de l’adaptation et de la créativité

Après une année 2020 marquée par le confinement et la fermeture des frontières, on attendait le palmarès des Piolets d’Or 2021 avec une impatience mêlée de curiosité. Résultat ? Un palmarès hétéroclite, témoin des tribulations de la dernière saison de l’alpinisme de haut niveau. Les lauréats sont les jeunes Français Fine-Welfringer pour leur ascension au Sanu-Pakush (Pakistan), les Anglo-Saxons Berman (USA) et Hawthorn (GB) pour leur nouvelle ligne au mont Robson (Canada) et une mention spéciale pour Silvia Vidal (ES), alpiniste acharnée du solo. Un cru 2021 étonnant qui rappelle à sa manière les capacités d’adaptation des alpinistes. Célébration prévue à Briançon du 26 au 29 novembre 2021.

Comme chaque année, on se demandait bien quelles ascensions allaient pouvoir être mise en avant grâce aux Piolets d’Or. Les ascensions oui, pas leurs auteurs puisque les Piolets d’Or célèbrent non pas les alpinistes eux-mêmes, mais bien leurs ascensions, pour l’esprit et le style alpin qu’elles véhiculent. Cette année, le jury était constitué d’un panel d’alpinistes internationaux, de toutes générations : Victor Saunders (GB), Valery Babanov (RU), Ines Papert (AL), Kelly Cordes (US) et Hélias Millerioux (FR). Et pour leur 30 ans, « ces Piolets d’Or sont un cru particulier ! » nous confirme Christian Trommsdorf, président du Groupe de Haute Montagne (GHM), organisateur de l’évènement. Après trois éditions célébrées à Ladek, en Pologne, c’est à Briançon que les Piolets d’Or prendront place fin novembre prochain.

 les alpinistes ont du faire preuve de réactivité

Explorer à l’heure de la pandémie

Pas facile de grimper loin en 2020. Entre confinements et fermetures de frontières, il fallait être malin pour trouver un projet d’ampleur. Comme ceux-ci se déroulent la plupart du temps sur les hauts sommets d’Himalaya ou du Karakoram, les alpinistes ont du faire preuve de réactivité. Après la fermeture soudaine des frontières népalaises, et donc l’accès aux sommets himalayens, le Pakistan devenait pendant une courte période la terre des grands projets.

Symon Welfrynger et Pierrick Fine ne s’y sont pas trompés. Leur projet du Sani Pakush (6952m) au Pakistan est décidé en moins de 15 jours. Leur ascension est réalisée dans une face sud immense et inconnue, le sommet n’ayant été gravi qu’une fois par son arête nord-ouest par une équipe allemande en 1991. Pour les détails, relisez le récit par Symon et Pierrick eux-mêmes sur Alpine Mag.

Tracé de Revers Gagnant (2500 m, ED+ / 90° / M4+ / WI4+) ouvert du 16 au 20 octobre 2020 par Pierrick Fine et Symon Welfrynger. ©Symon Welfrynger

Alpinisme maison

Le grand alpinisme « domestique » est lui aussi redécouvert. Chose rare aux Piolets d’Or : une ascension sur un sommet de « seulement » 3954m, le mont Robson (Canada), est primée. Grand écart avec l’engagement lié aux expéditions de haute altitude sur des sommets reculés, cette mise en valeur récompense la créativité d’Ethan Berman (USA) et Uisdean Hawthorn (GB) pour trouver une ligne d’ampleur et logique dans Emperor Face, déjà rayée de cinq itinéraires. Mais les rares ascensions de cette face en font un objectif d’ampleur à part entière. Jugez plutôt : 20km de marche d’approche (et de retour), 1800m de face, 3 bivouacs. Et, plus étonnant, sans avoir recours à l’hélicoptère pour l’approche ou la descente, ce qui n’était plus arrivé depuis 40ans de ce côté du Robson. La cordée anglo-saxonne ouvre Running with the shadows (2300m, US VI, M6 1I5 A0).

Tracé de Running with the shadows (2300m, US VI, M6 AI5 A0) par Ethan Berman et Uisdean Hawthorn. ©Berman

Dans la « Big List » qui recense les ascensions significatives de l’année, les experts des Piolets d’Or que sont Lindsay Griffin (American Alpine Journal), Dougal MacDonald (American Alpine Journal) et Rodolphe Popier (Himalayan Database) ont pointé d’autres équipes jouant à domicile et ouvrant des lignes néanmoins d’ampleur au-travers de cet alpinisme domestique.

Citons l’ascension de l’éperon sud-ouest du Pik Mechta (2590m) dans la chaine des Muyksy méridionales, en Sibérie (Russie) par une cordée russe, une nouvelle voie dans les Tian Shan (Kazakhstan) en face ouest du Pik Trud (4636m) par deux Kazakhs, le Daddomain Ouest (6296m) dans la chaine du Minya Konka (Chine) gravi par une cordée chinoise ou encore la face nord-ouest de l’Ushba Sud (Géorgie) gravie par un alpiniste géorgien de grand talent que l’on suit avec attention chez Alpine Mag : Archil Badriashvili.

Enfin, cocorico, on peut noter la belle ascension en face nord de l’Épéna (Vanoise) par Manu Pélissier, Jessy Pivier et Luc Mongellaz, racontée sur Alpine Mag.

Autoportrait de Silvia Vidal. ©Vidal

Mention spéciale pour l’authenticité

Le jury des Piolets d’Or marque cette année son attachement à une forme de discrétion et d’authenticité, mêlée de détermination.

En remettant une Mention Spéciale à Silvia Vidal, ce sont 20 ans d’escalade solitaire en big wall, d’une pureté stackhanoviste qui sont mis en valeur. L’Espagnole est en effet rompue aux marches d’approches terriblement longues sur des sommets plus que reculés. Elle n’hésite pas à y consacrer parfois des semaines, avant de se lancer dans des envolées solitaires qui repousserait le commun des grimpeurs. Elle est aussi capable de passer deux semaines à fixer le socle d’une paroi comme au Chili dans Serrinia Avalancha (2012). Elle passe ensuite 32 jours seule dans la paroi ! Au Shipton Spire, elle grimpe seule pendant 21 jours (Life is Lilac, 870m, 6a, A4+, 2007, Pakistan). En Inde, elle grimpe 25 jours seule dans Nafragi (1050m,, 6a+, A4+, massif du Raldang, 2010).
Plus récemment, en 2020, elle passe 16 jours au Chili à faire des déposes de matériel et fixer les 180 premiers mètres de Sincronia Magica (1180m, 6a+, A3+, chaine d’El Chileno Grande), avant de grimper, seule toujours, pendant 33 jours en paroi…

Silvia Vidal est un monstre d’abnégation et de détermination. C’est aussi un regard unique sur l’alpinisme et l’escalade solitaire.

Ces Piolets d’Or s’annoncent enthousiasmants, parce qu’ils mettent en valeur une fois de plus une forme particulière de l’alpinisme en particulier et de l’exploration en général. Mais aussi parce qu’il montre combien cet alpinisme demeure vivace en temps de crise, ce qui est de bon augure pour le futur.

A suivre, la révélation du Piolet Carrière 2021…