C’est fou comme un appareil photo peut exciter les passions. La dernière découverte en date, celle des appareils photo du célèbre Bradford Washburn, en est l’illustration. Alors certes, M. Washburn est un personnage du panthéon de la montagne, dont les photos sont exposées en galeries. Découvrir certains de ses clichés jamais développés est un motif assez puissant pour mettre en branle une somme d’énergies hors-normes.
Un fragment de passé retrouvé. ©Ulysse Lefebvre
Pourtant, célébrité mise à part, l’appareil photo est toujours un objet de fantasme. Perdez-le dans la nature et il s’entoure d’une aura fantastique. Comme une lampe d’Aladin dont le génie serait un morceau du passé, sorti des temps anciens. Comme ces bulles d’air emprisonnées dans les glaces d’Antarctique et dont l’analyse permet de connaitre la composition de l’atmosphère il y a quelques centaines de milliers d’années. Découvrir un appareil photo perdu dans la montagne, c’est plonger dans le passé.
Et tant pis si la pellicule n’est pas exploitable, si la bulle d’air fait pschitt. La fascination est ailleurs.
Plus modestement, je me souviens de cet appareil photo jetable trouvé dans les Aravis. Il trône toujours sur une étagère, pellicule en place. Idem pour cette 400 TMAX retrouvée quatre ans après avoir été perdue quelque part en Bosnie-Herzégovine, grâce à un voyageur allemand et par l’entremise des réseaux sociaux et de la poste. Jamais développée. De peur d’être déçu peut-être. Pour garder le mystère sûrement.
De nos jours, on perd encore des appareils photo,
fort heureusement.
On ne remerciera jamais assez les maladroits
De nos jours, on perd encore des appareils photo, fort heureusement. On ne remerciera jamais assez les maladroits. Dans quelques années, on les retrouvera encore, curieux et intrigués. On retrouvera probablement pas mal de drones aussi, crashés dans les parois et les séracs. Allez savoir si une carte mémoire vieillit mieux qu’un film argentique. Peu importe, l’important est de nourrir le chercheur de trésor qui sommeille en nous, quelque part entre Indiana Jones et Tintin au Tibet.
D’ailleurs, l’un des appareils photo les plus connus repose encore quelque part sur les pentes de l’Everest. Celui qui l’a perdu en 1924, George Mallory, tentait de gravir le sommet vierge du monde. Et comme il périt à la descente, l’histoire ne dit pas s’il y est parvenu. Peu importe. Plutôt qu’une hypothétique preuve, tous les chercheurs de trésors espèrent avec cet appareil, un Kodak Vest Pocket, un contact sensible avec l’une des expéditions les plus importantes de son époque.
Et puisque « le temps est la quatrième dimension de l’espace », comme l’écrit H.G. Wells dans La machine à remonter le temps, d’archéologue ou historien on devient explorateur d’un autre genre.
Voilà une autre dimension de l’ascension : gravir les montagnes pour remonter le temps.