Drôle d’anniversaire. Il y a dix ans, en avril 2012, était créé le Parc National des Calanques. Dix ans plus tard, le Parc National créé un classement entre les citoyens qu’il est censé accueillir. Comment ? En exigeant, dès le 25 juin prochain, une réservation pour pénétrer dans les Calanques de Sugiton et de Pierres Tombées, réservation dont la présentation d’un QR code sera la preuve. Le Parc est confronté à une surfréquentation que la crise Covid – et la décision inique d’interdire, hors 1km, puis 100 km (etc) les sports de nature, a amplifiée. Pour les dirigeants du Parc, la fin justifie les moyens. Mais, pour paraphraser Alain Damasio, qui justifie la fin ? Qui justifiera les quotas et le chiffre de ces quotas ? Un directeur dans son coin ?
C’était l’année dernière, en juillet : le CA du Parc a décidé de voter « la mise en place d’une mesure expérimentale de contingentement plafonnant le nombre de visiteurs autorisés à fréquenter la calanque » en question. Un quota sera établi, écrivais-je, et l’accès sera réservé aux visiteurs « porteurs d’un permis de visite nominatif, valide pour le jour et la plage horaire considérée ». Dix ans pour créer deux catégories de citoyens, ceux qui auront le QR code, et les autres. Dix ans pour qualifier les grimpeurs de délinquants, rééduquer les équipeurs jugés déviants et bannir les VTTistes. Dix ans qui se résument en une application, « Mes Calanques » qui pourrait être rebaptisée « Mes Calanques ? Pas aujourd’hui. »
Escalade à Sugiton. ©Jocelyn Chavy
Mais aussi dix ans de boues rouges : malgré ce que dit le Parc, les boues rouges sous leur forme liquide ont continué à être rejetées en mer. « En 2016, le Parc prétend avoir mis fin aux boues rouges en mer. En réalité, Altéo a une dérogation de six années l’autorisant à rejeter la partie liquide et incolore de ces boues » écrit le Platane, collectif marseillais. Ce qui fait dire à Gérard Carrodano, pêcheur et militant, que « le parc national des Calanques est le seul parc au monde qui décrédibilise les aires marines protégées ».*
Dix ans à fermer des sentiers historiques (tracés noirs), dix ans à créer des parkings sauvages sur le bord de la route Marseille-Cassis. Dix ans pour placer des caméras de surveillance, dont une, à En-Vau, a été démontée par des « usagers ». Dix ans à ne pas dialoguer, à faire du « démarketing territorial » pour rien, avant de découvrir le sésame (dystopique) qui va tout résoudre : le QR code, qui a montré la capacité de l’État à contrôler les flux. Le Parc a oublié sa mission qui est de protéger l’espace naturel, mais aussi de former et d’informer les visiteurs. La seule mission qui vaille, c’est la gestion des flux, ceux où les visiteurs sont réduits à suivre leur chemin balisé numériquement ou physiquement, conduisant à la Calanque X ou Y, mais pas Z.
Ce permis Calanques ouvre la voie à toutes les dérives, et établit une inégalité entre citoyens
Limiter l’accès à une ou plusieurs calanques ne fera que déplacer le problème vers les Calanques voisines. Le Parc argumente sur la « gratuité » du système de réservation avec QR code, mais il oublie que le logiciel et le gardiennage dudit pass a un coût – comme le rappelle le Canard Enchaîné, d’environ 60000 euros, et oblige le citoyen à réserver la veille ** – et à posséder un smartphone, une inégalité de plus. Les pratiques de réservation identiques dans d’autres pays montrent des détournements sans fin : sur-réservation, no-show…
L’artisan de ce permis Calanques qui ouvre la voie à toutes les dérives, le directeur François Bland, va quitter ses fonctions et verra un successeur désigné d’ici l’été ; le président du PNC, Didier Réault, sera contraint de quitter un fauteuil qu’il occupe depuis 2013, s’il est – comme il en a l’ambition – élu député dans la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône ***. Faut-il espérer de nouvelles têtes pour sortir de cette impasse ?
En attendant, il est plus simple de fliquer les visiteurs de Sugiton plutôt que de réduire ou réparer les nuisances inhérentes à l’industrie ou à la ville de Marseille. Un dernier exemple ? Cortiou, la « calanque du paradoxe », doux euphémisme choisi par le Parc pour qualifier ladite calanque, où les eaux usées de Marseille continuent d’être rejetées… en plein parc. Sachez que le déversement des collecteurs, bien qu’ayant été traité par la station d’épuration toute proche, « génère un fumet nauséabond, que l’on peut éviter seulement par Mistral », dit l’office du Tourisme marseillais.
« Mes Calanques » puent. Hélas.
* à lire ici
** À lire dans le Canard Enchaîné du 4 mai : « Il sera impossible de réserver à 10h pour y aller à midi, les inscriptions seront closes la veille », explique la direction du PNC, qui poursuit : « nous ouvrirons et fermerons les accès à une certaine heure que nous n’avons pas encore définie ». Et ceux qui n’ont pas de smartphone ? « Ils pourront réserver par téléphone et venir à nos locaux pour se faire imprimer le QR Code ».
*** selon Le Monde du 6 avril.