L’année prochaine, dès mars 2022, des quotas seront mis en place pour limiter la fréquentation de certains lieux du Parc national des Calanques. Quotas : le mot est lâché, mais pas par le Parc qui parle de « contingentement », ce qui revient au même. Dans son projet de réglementation de la fréquentation de la Calanque de Sugiton, et par la voix de son conseil d’administration, mi juillet, le Parc a décidé de voter « la mise en place d’une mesure expérimentale de contingentement plafonnant le nombre de visiteurs autorisés à fréquenter la calanque » en question. Autrement dit, un quota sera établi, et l’accès sera réservé aux visiteurs « porteurs d’un permis de visite nominatif, valide pour le jour et la plage horaire considérée » (1). L’obtention des permis se fera via un système de réservation ouvert au moins quatre semaines avant le jour de visite.
Au sommet de l’une des voies d’escalade de la calanque de Sugiton. ©Jocelyn Chavy
Les mises en garde, le « démarketing territorial », photos de parkings et plage saturées sur les réseaux n’y ont rien fait : de deux millions de visiteurs en 2019, le Parc national des Calanques est passé à 3 millions en 2020. Sûrement plus cette année. Dans la calanque de Sugiton, c’est jusqu’à 2000 personnes par jour qui s’entassent sur les rochers autour de la petite plage, un chiffre énorme par rapport à l’étroitesse des lieux, à 45 minutes du parking. Alors Didier Réault, le président du CA du Parc, et le directeur François Bland, connu pour ses positions peu favorables aux sports de nature, se sont inspirés des systèmes en place à l’étranger, aux États-Unis et au Canada, mais aussi pour l’ascension de sommets. Vous réservez plusieurs semaines à l’avance, en priant pour la météo, et voilà, le tour est joué. Mais attention. Tout ne va pas se résoudre avec un QR code, qui, s’il a été adopté pour barrer la route à la pandémie, va finir par devenir le sésame qui permet de se déplacer à l’intérieur du territoire de la République.
Les Calanques ne sont pas un musée
Tout d’abord, le Parc n’a pas décidé quel sera le seuil du « contingentement ». Sera-t-il de 400 à 500 personnes par jour (selon le président Didier Réault) ou de 150 personnes (selon le directeur François Bland) ? Puisque, conformément aux missions de service public du Parc ladite réservation et ledit permis sera gratuit, comment éviter que des personnes, ou des groupes de personnes, clubs, ou tour operateurs, ne réservent des brassées de slots (comme on dit à l’américaine) à l’avance, ne laissant qu’aux randonneurs et amoureux des Calanques, locaux ou de passage, que peu d’espoir de pénétrer dans ce nouveau sanctuaire ? Les Calanques ne sont pas un musée, n’en déplaise à M. Réault. (2)
En-Vau, la prochaine calanque soumise à quotas ? ©JC
La réalité ? Les parcs, les communes comme celles des massifs de la Chartreuse et du Vercors, proches des grandes villes, sont dépassées par la surfréquentation. Les pouvoirs publics ne peuvent rien contre la soif de liberté post-confinement de la population, et la démocratisation de l’accès à la nature, avec les topos et cartes en ligne, les étoiles et avis de Google pour le moindre site, et, plus sûrement que le reste, la toute puissante voiture que nous voulons toujours garer au plus près, moi le premier. Je n’ai jamais vu autant de monde sur le sentier du refuge du glacier Blanc cet été, y compris beaucoup de gens qui à l’évidence n’avaient guère mis les pieds en montagne auparavant. Et alors, de quel droit pourrais-je leur dire que c’est un peu con, qu’il y a trop de monde sur ce sentier ?
Le parc des Ecrins, ou celui de la Vanoise, vont-ils trouver l’idée du parc des Calanques a leur goût ? Nul doute qu’ils vont regarder avec un oeil gourmand cette expérimentation, qui, sachons-le, n’en sera pas une. Puisque déjà, la Calanque d’En-Vau, elle aussi saturée au printemps et en été, est la prochaine sur la liste des sites du parc soumis à quotas.
Nul doute que les autres parcs nationaux vont regarder avec un oeil gourmand cette expérimentation, qui, sachons-le, n’en sera pas une
Si on veut éviter les quotas, pourquoi ne pas commencer par l’éducation ? En France, un parc n’a-t-il pas pour mission officielle de « sensibiliser aux enjeux de la préservation » ? Quid des classes vertes, enterrées depuis des années par le manque de soutien (politique et économique) de l’État et de nos représentants ? Quid du parc national des Calanques, qui passe beaucoup d’énergie et d’argent à dissuader, à interdire, plutôt qu’à encourager, tiens donc, la pratique des sports de nature comme l’escalade ou la randonnée – alors que ces activités, compatibles avec le parc, voient une circulation des personnes plutôt que leur fixation sur une plage ?
Si nous ne voulons pas d’une vie protocolaire, et présenter son QR code au détour d’un chemin à une société privée de sécurité, il va vraiment falloir changer d’ambition : celle d’informer plutôt que de limiter, celle de promouvoir les activités de nature plutôt que de les restreindre. Celle d’expliquer plutôt que d’interdire.
(1) Le document issu du vote résumé dans ce pdf ici.
(2) Un choix que défend D.Réault ainsi : « Les Calanques offrent à voir des oeuvres naturelles aussi précieuses que les peintures présentées dans les grands musées du monde. Personne ne conteste de devoir réserver sa visite au Louvre ou au Palazzo Vecchio pour en profiter pleinement. Il n’en est pas autrement ici », article de Paul Molga dans les Échos du 3 août.
(3) missions officielles édictées ici.