«On a voulu par orgueil et par jalousie installer des pieux sur le toit de l’Europe, alors je deviens un lion pour protéger ce sommet » écrit Christophe Profit. En colère, le guide chamoniard a démonté deux des quatre pieux en fer plantés sur l’arête des Bosses pour sécuriser celle-ci alors qu’une crevasse importante s’est formée au milieu de l’itinéraire. Et promet de revenir avec une « disqueuse » pour achever le travail. Christophe Profit explique que le passage de gauche, usité depuis ce printemps, permet de contourner par la gauche ladite crevasse, qu’il n’était pas nécessaire d’équiper des amarrages sur la voie qui permet de contourner par la droite.
A l’initiative de cet équipement effectivement amovible, les guides de Saint-Gervais ne mâchent pas leurs mots. Comme nous l’a expliqué Olivier Begain, leur président, l’objectif n’est pas de faciliter la progression mais d’améliorer la sécurité. Et pointe le fait que les guides de Chamonix n’ont pas été mis devant le fait accompli. Cette décision a été prise en concertation avec eux et le PGHM lors d’une réunion. Ce que confirme son homologue de la compagnie des guides de Chamonix, Olivier Greber, qui est d’accord… avec tout le monde. Christophe Profit ? « Je respecte sa position ». Les pieux sur la voie normale ? « Quand il s’agit d’améliorer la sécurité il n’y a pas de débat » nous a-t-il expliqué. Est-ce vraiment la fin de la discussion ?
Vue sur les Bosses depuis le passage de gauche, dite variante Dédé Rhem, voie normale du mont Blanc ©Christophe Profit
Même sans parler des sommets rocheux célèbres (Dent du Géant, Cervin, Meije) dotés d’amarrages, voire de cordes fixes, des équipements plus ou moins éphémères sont placés régulièrement sur les 4000. On se souvient de l’échelle puis de la corde fixe apparue comme par magie (personne n’en assumant la paternité) au mont Maudit, pour permettre la traversée des Trois Monts. Devant la maudite crevasse des Bosses, chacun pourra sans doute se féliciter du choix qui était, ou est encore, proposé, en fonction des conditions, de passer à gauche by fair means ou à droite en s’assurant avec les pieux qui restent. Un guide normand ou non pourrait presque y trouver son compte !
À défaut de trouver la bonne réponse, Christophe Profit pose les bonnes questions.
Le membre le plus célèbre de la compagnie des guides de Chamonix s’érige en défenseur de l’alpinisme tel qu’il est décrit, et ce pourquoi il est inscrit, au patrimoine de l’Unesco. Sur le principe, Christophe Profit a raison. L’alpinisme, ce n’est pas compter sur tel ou tel équipement dans une pente de neige, fut-elle en glace. Vouloir une montagne sans artifices, promouvoir un alpinisme dépourvu d’aide à la progression, est-il compatible avec la sécurité ? Sans doute la réponse est dans la question. Les professionnels sont partagés devant l’attitude du franc-tireur. Mais à défaut de trouver la bonne réponse (sauf à considérer que la moitié des pieux est le bon chiffre) Christophe Profit pose les bonnes questions.
Pourquoi faut-il une via ferrata pour monter au Goûter ? Pourquoi faudrait-il des pieux pour franchir un passage en glace quand d’une part il existe une autre alternative, et quand d’autre part le cramponnage fait partie, en principe, du bagage technique ? Et l’apprentissage pour les débutants, l’apanage des guides ?
On ne peut à la fois regretter la pénurie de guides, dont une bonne part pour le mont Blanc, et tout faire pour continuer à satisfaire ladite demande
On ne peut à la fois regretter la pénurie devant la forte demande de guides, dont une bonne part pour le mont Blanc, et tout faire pour continuer à satisfaire ladite demande, y compris en favorisant le mont Blanc pour les nuls. On ne peut à la fois regretter la forte fréquentation du mont Blanc, et tout faire pour continuer à l’augmenter. On ne peut également laisser les agences – parfois grosses, parfois petites – surbooker le mont Blanc, et continuer d’en faire toujours plus la réclame.
De même se posera à moyen terme la question de l’accès aux refuges, toujours plus rare, quand les professionnels proposent désormais le mont Blanc en trois, quatre (voire cinq) jours d’ascension, et trois nuitées. « On finit par passer plus de temps assis au refuge qu’à marcher… » plaisante un guide. À plus long terme, n’y a t-il pas le risque de voir l’accès au mont Blanc être restreint, pour en limiter la fréquentation ?
Est-il opportun de sécuriser une voie normale qui se dégrade ? Pourquoi pas, mais pas sans faire l’économie de réfléchir à « l’orgueil » qui conduit autant de monde, amateurs ou non, au mont Blanc.
A lire : notre article Rififi sur la voie normale du mont Blanc : des amarrages ôtés par Christophe Profit